Les politiciens et militaires maliens croient en Dieu mais aussi à l’agilité de leurs jambes. D’ailleurs, Allah n’a-t-il pas donné à l’homme des jambes pour s’enfuir en cas de besoin ? C’est en tout cas ainsi que l’ont compris nos soldats déployés au nord du Mali. Il a suffi de quelques coups de canon rebelles pour leur faire prendre la poudre d’escampette. Sans doute inspiré par l’exemple de ses vaillantes troupes, le général ATT, ce « vieux commando » comme il s’est surnommé, a fui nuitamment le palais de Koulouba à dos…d’homme. Il ne s’est arrêté qu’à Dakar, à 1.000 bons kilomètres de la patrie mère, pour se reposer un peu. Il n’est pas exclu qu’il reprenne sa fuite jusqu’au Somaliland, un pays qui porte le nom du sien et qui l’aidera, peut-être, à vaincre la nostalgie.
A la suite du « vieux commando », nombre de ses amis politiques ont testé le bénéfice des jambes. Premier fils spirituel d’ATT, l’ex- ministre Hamé Diane Séméga a eu la bonne idée de s’engouffrer dans un taxi quand il a entendu les mutins putschistes sonner du canon aux alentours de sa résidence. Séméga bigrement avait raison quand on songe au triste sort réservé à ses chiens bergers par les soldats furieux de l’avoir raté. Lesdits canidés ont pris une sérieuse charge de plomb dans l’estomac et n’ont plus eu besoin de leurs jarrets pour fuir Dame Trépas. Or donc, Séméga s’est retrouvé lui aussi à Dakar, ville décidément hospitalière pour les fuyards politiques.
Dans la cité de la teranga, ni Séméga ni son mentor, ATT, ne s’ennuieront trop longtemps. Ils ont été rejoints, quelques semaines après leur mémorable fuite, par Maharafa Traoré, ex-ministre de la justice. L’histoire ne dit pas si, de Dakar, Maharafa va engager des poursuites judiciaires contre la junte du capitaine Amadou Sanogo; mais ce qu’on sait, c’est qu’il y a désormais à Dakar de quoi former tout un gouvernement malien en exil. Voire une République entière puisqu’il se murmure que l’équipe de fuyards dirigée par ATT a lancé un avis de recrutement auquel aurait répondu avec succès quelqu’un ayant un C.V. et une expérience dignes d’éloges: il s’agit de Jeamille Bittar, ex-président de la chambre de commerce et du Conseil économique et social. La tête, pourtant fort belle et souriante, de Bittar ne plaît pas beaucoup aux militaires qui veulent redresser la démocratie et restaurer l’Etat (quel programme!). La preuve ? Chaque fois qu’il y a eu du grabuge, des éléments lourdement armés ont débarqué chez lui, comme s’il était homme à commander des « bérets rouges », à fricotter avec des rebelles ou à garder des armes de guerre dans sa chambre. Pour quelqu’un qui voulait devenir député, voire chef de l’Etat, Dakar ou Paris est une destination beaucoup plus enviable que nos contrées troublées. Et Bittar ne s’est pas embarrassé d’hésitations pour répondre à l’appel de ses jambes.
Autre membre potentiel de la future République malienne de l’Azawad, pardon!, de Dakar: Modibo Sidibé. L’ancien premier ministre n’a eu aucune peine à disparaître des écrans radar du CNRDRE. Il est vrai que ces écrans ont besoin d’une sérieuse toilette depuis que la CEDEAO les a enfumés par son début d’embargo en mars 2012. Il est vrai aussi que même si les radars étaient perfectionnés, Modibo, le Abdou Diouf malien, qui n’a jamais su combien coûte un sac de riz ou de mil sur le marché du dibidani, a assez d’art policier pour déjouer leur surveillance. Où se trouve-t-il après sa fuite ? A Dakar auprès de son frère et ami ATT ? A Paris où il a fait ses écoles de criminologie ? Nul ne le sait. Pour une fuite, la sienne est une authentique disparition, n’est-ce pas ?
Mais la liste des fuyards ne s’arrête pas là; il y a même lieu de craindre un dépeuplement de l’arène politique si l’exode massif de ses animateurs continue.Tenez ! Oumar Mariko, le Fidel Castro local, a vu la plante de ses pieds le démanger dès qu’il a reçu une convocation de la gendarmerie dans l’affaire de la bastonnade du président Dioncounda Traoré. Médecin de formation, son grand savoir lui a permis de voir dans ces démangeaisons subites la nécessité de s’enfuir dans l’immédiat. Le brave médecin, qui n’écoute que son art du diagnostic, a donc pris la clé des champs. Comme il sait que Dakar pullule de ses ennemis (le « vieux commando »et compagnie), Dr Mariko a choisi le Maroc de Sa grâcieuse Majesté. Le Maroc étant une haute contrée de médecine, il pourra toujours prétendre, s’il est rattrapé par la justice, avoir participé à un séminaire médical prévu de longue date. Comment pourrait-on douter de cette version alors que Dioncounda Traoré, l’honorable président de la transition, a convaincu le peuple que son hospitalisation à Paris était, non pas liée à son tabassage, mais à un rendez-vous pris de longue date ? Le problème, c’est que Dioncounda est parti seul alors qu’à la suite de Mariko, une de ses porte-parole, Pr Rokiatou Sanogo, a elle aussi disparu dans les bois, sans aucun égard pour le salaire mensuel et …la convocation de la gendarmerie qui l’attendent.
A notre avis, la colonie de fuyards politiques en cours de formation a tort de se rendre dans des pays lointains où ils risquent, un jour, de recevoir la visite de courtoisie d’un juge comme le Tchadien Hissein Habré. La meilleure destination pour un fuyard est sans doute Gao, Tombouctou et Kidal. Dans ces grandes villes de l’Azawad où l’on trouve du thé et du tômaliens, Iyad Ag Ghali fait la loi. Aucun soldat ou juge malien ne s’aviserait d’aller emmerder ses hôtes.Mais il y a une condition à l’hospitalité de Iyad Ag Ghali: ses invités doivent être de très pieux musulmans et passer la nuit et le jour en prières ou à égrener du chapelet. La condition pourrait être facilement remplie par El Hadj Vieux Commando et El Hadj Séméga, qui, comme on le sait, ont effectué le pèlerinage de La Mecque en 2011. Mais pour les autres, nul ne peut en jurer… Or Iyad, faut-il le souligner, n’a pas pour habitude d’extrader ceux qui lui résistent: il se contente de la égorger après leur avoir attaché les jambes, ces précieux instruments du salut.