Un syndicat s’opposant à l’application de la loi consacrant la lutte contre la grande corruption ! Voilà qui ne manque pas de surprendre d’autant que ce syndicat est censé défendre les intérêts des travailleurs de l’administration d’Etat dont plus de 80% ne sont pas concernés par le volet répressif de la loi. Le passage en revue de certaines dispositions de la loi N°2014-015 du 27 Mai 2014 portant prévention et répression de l’enrichissement illicite devrait aider à comprendre les vraies motivations de ceux qui ont pris devant le peuple malien et la communauté internationale cette lourde responsabilité.
LA LOI TRADUIT L’ASPIRATION LÉGITIME DU PEUPLE
MALIEN À REDEVENIR UN CORPS SOCIAL SAIN ET VERTUEUX
Depuis longtemps, la morale n’est plus ce qu’elle était dans ce Mali dont les ressources publiques sont mises en coupes réglées par des prédateurs bien connus qui profitent de la connivence des élites politiques pour opérer à visage découvert ou par l’intermédiaire de lampistes. Le phénomène est devenu si préoccupant que le vaillant peuple snobe volontiers de nombreux politiciens qu’il considère comme de simples opportunistes malfaisants. La gangrène a touché une bonne partie de la société dite civile qui, sur ce chapitre a perdu la voix. Pourtant, il est de la responsabilité de tous de protéger le bien public pour assurer le droit de chacun à un environnement sain et à la promotion de la qualité de la vie (articles 15 et 22 de la Constitution). On ne peut donc faire l’économie d’une gouvernance vertueuse dans le respect des valeurs républicaines. L’année 2014 avait été dédiée à la lutte contre la corruption et la loi portant prévention et répression de l’enrichissement illicite est le premier acte de cette lutte qui permet au Président de la République d’honorer une promesse de campagne. Mais pourquoi cette loi suscite-telle cette poussée d’urticaire contre nature ? L’enrichissement illicite dont la définition est fournie à l’article 2 est qualifié de délit (article 1 alinéa 2). Ce délit consiste en l’augmentation substantielle du patrimoine qu’on ne peut justifier par rapport à ses revenus légitimes, ou en un train de vie sans rapport avec ceux-ci. Sont concernées les représentants d’institutions publiques, les élus, plus généralement tous les agents de l’Administration agissant au nom et pour le compte de la puissance publique et/ou avec les moyens et les ressources de celle-ci (article 3).
La grande particularité de cette loi, c’est que le délit d’enrichissement illicite est une infraction continue. Ce qui signifie en clair que le délai de prescription ne court qu’à compter du jour de la découverte des éléments constitutifs l’infraction qui est par ailleurs réputée consommée par la seule continuation de ses effets (article 5). Le secret professionnel n’est pas opposable dans le cadre des investigations et lorsque qu’une information est ouverte pour enrichissement illicite (article 24). Difficile donc d’échapper au couperet après avoir mangé le fruit défendu. C’est un véritable épouvantail pour ceux qui se sont servis sans compter, dont les réalisations et le mode de vie n’ont aucune commune mesure avec leurs revenus réels et à qui on veut faire rendre gorge. Sans peut-être se douter de l’onde de choc, IBK vient de soumettre la fourmilière des pilleurs aux rayons d’un soleil brûlant. Comment expliquer le lourd silence de l’opposition politique si prompte à ruer dans les brancards pour décrier les mauvaises pratiques ?
L’APPLICATION DE LA LOI DOIT ÊTRE SOUTENUE PAR LA JEUNESSE CONSCIENTE ET LA SOCIÉTÉ CIVILE RESPONSABLE
La grève dans sa forme et ses motivations est en réalité un aveu de culpabilité de nombreux cadres de l’Administration et du monde politique qui ne pensent qu’à sauver le « corps du délit » constitué par de biens mal acquis.
Cependant, comme le dit l’adage latin « Nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans ». En effet, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude : on ne peut bénéficier du produit de ses actes lorsque ceux-ci sont illicites. Une femme qui a tué son mari peut-elle demander le bénéfice d’une pension de réversion ? Et à supposer que la demande en soit faite, quelle autorité responsable y donnerait une suite favorable ? Cette grève pose en réalité la question essentielle de l’aptitude des cadres politiques et administratifs actuels à sortir le pays de la corruption dans un contexte où le maintien du « statu quo » n’est pas une option acceptable.
Le courage politique du Président de la République est à saluer et on comprend davantage pourquoi certains voudraient le salir à tout prix, mais il doit sortir du piège du « tête à tête » avec le syndicat pour porter l’affaire devant le peuple qui, une fois de plus ne connaît pas le contenu réel de cette loi, afin d’éviter que le syndrome de la réforme de la Constitution vienne biaiser le débat.
La jeunesse consciente et la société civile responsable doivent prendre toute leur part dans ce débat qui porte sur des mesures salutaires pour la bonne gestion des finances publiques et du pays. Les fonctionnaires pris dans le champ d’application de la loi doivent se soumettre ou se démettre, la loi prévoyant des circonstances atténuantes pour ceux qui décident de collaborer (articles 33 et 34). C’est à ce niveau que le syndicat était attendu, pour aider ses adhérents concernés à sortir de la scène en préservant le minimum vital.
A ceux qui pensent que les services judiciaires et les forces de sécurité sont les plus touchés par le phénomène de la corruption, il faut rappeler que les juges, gendarmes et policiers ne sont pas des extraterrestres ; ils font partie du corps social et ils en sont même le reflet le plus fidèle. Avec la mise en œuvre de la loi, le peuple malien se rendra rapidement compte que ses vrais fossoyeurs se trouvent ailleurs, comme il verra qu’il existe toujours des juges, des gendarmes et des policiers professionnels et honnêtes dans ce pays. C’est un combat pour la survie et la renaissance du pays parce que l’Etat doit faire face à des engagements importants dans le cadre du retour de la paix et de la décentralisation. Il n’est pas acceptable que des fonctionnaires et des hommes politiques en situation d’indélicatesse dans la gestion du bien public, plutôt que de faire amende honorable, cherchent à s’auto- amnistier sans penser à leurs nombreuses victimes. C’est une démarche à la fois immorale, scandaleuse et révoltante.
Le phénomène de la corruption a gangréné l’ensemble du corps social. Les différents rapports du Bureau du VEGAL et le sentiment général l’attestent. La loi sur l’enrichissement illicite est indiscutablement une réponse à cette préoccupation. Il appartient au Président de la République de se donner les moyens de la faire appliquer dans toute sa rigueur. Il en tirera deux avantages certains qui le feront entrer dans l’histoire sur une voie royale : le soutien du peuple malien longtemps spolié et l’assainissement promis des finances publiques.
Mahamadou Camara
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