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À Dakar, le procès des opérations de maintien de la paix
Publié le jeudi 16 novembre 2017  |  Le Point
Cérémonie
© aBamako.com par SB
Cérémonie d`ouverture du Forum International de Dakar sur la Paix et ma sécurité
Dakar, le 14 novembre 2017 - Le président de la République Macky Sall a présidé, en compagnie des présidents IBK et Paul Kagamé, l`ouverture solennelle de la 4e édition du Forum international de Dakar sur la Paix et la sécurité.
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Forum. Les intervenants ont prôné des "solutions africaines aux problèmes africains", proposition bien accueillie par la France.

Ce n'est pas franchement une nouveauté, mais le 4e Forum sur la paix et la sécurité de Dakar, au début de la semaine, a vu la vieille rengaine se muer en condamnation sans appel : « L'heure est venue de repenser sérieusement la doctrine de maintien de la paix des Nations unies. On ne peut maintenir la paix là où elle n'existe pas », a asséné Macky Sall, le président du Sénégal.

Une condamnation unanime et sans précédent
Il trônait, lors d'une conférence plénière qui avait, comme chaque année, commencé avec plusieurs heures de retard, au milieu d'autres personnalités « de haut niveau », dont la ministre française des Armées Florence Parly. Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l'Union africaine, a taclé ces opérations pour leur « manque de flexibilité », leurs « limites liées aux règles et modes d'engagement » face à une « menace asymétrique » et leur vulnérabilité aux attaques. Macky Sall est allé plus loin : « Les conséquences de ces interventions sont souvent pires que le mal qu'elles sont censées soigner. » Peut-être faisait-il référence à l'intervention en Libye, vue comme un désastre qui a déstabilisé le continent et mis en circulation les armes des stocks de Muammar Kadhafi. Peut-être était-ce une allusion voilée à une opération antiterroriste de la force française Barkhane (4 000 hommes), qui traque les djihadistes à travers le Sahel. Le 23 octobre, lors d'une opération à Abeïbara, au Mali, 11 otages militaires ont été tués. La France maintient qu'il s'agissait de terroristes, le Mali, que c'étaient bien ses soldats.

Le Mali, un maillon faible pour le Sahel  ?
Son président, Ibrahim Boubacar Keïta, dont le pays représente la principale menace pour la sécurité de ses voisins sahéliens, a pourtant livré un curieux discours de son propre aveu, pas préparé. « À chaque appel de mon téléphone, je m'inquiète, je me dis, que vais-je encore apprendre ? » a-t-il entamé, avant d'enchaîner sur l'énumération d'attaques terroristes dans son pays. La présence djihadiste au Mali s'étend désormais jusqu'à Kayes et Ségou, et au centre du pays, les groupes exploitent habilement les conflits communautaires historiques, notamment les frustrations de la communauté peule. A suivi un hommage inattendu à René Caillié, « le Saintongeois qui a fait le voyage » pour Tombouctou et… un clin d'œil au magicien Gérard Majax : « Quand on voit les convois de pick-up armés de [mitrailleuses de] 12.7 mm et de 14.5 mm, on se demande par quel moyen le ciel s'ouvre sur [les djihadistes] pour les ravitailler. Comme dirait l'autre : “Y'a un truc”. » Si sa prestation a fait sourire l'assistance, elle a aussi dû faire grincer quelques dents. Car IBK s'est également étendu sur les faibles moyens alloués (« quand on demande des moyens de nous équiper, on pousse des cris d'orfraie ») et l'inefficacité de la Minusma, mission onusienne déployée au Mali : « Elle fait de son mieux avec un mandat qu'il a fallu revoir au moins trois fois, mais nous sommes Gros-Jean comme devant, les convois restent soumis à des attaques. »

Des missions qui posent question
Déployée depuis juillet 2013, la Minusma compte environ 12 500 militaires et policiers. C'est la mission de maintien de la paix de l'ONU la plus coûteuse en vies, avec plus de 140 Casques bleus morts, dont 89 tués par des actes hostiles. Huit des quinze missions de l'ONU se trouvent en Afrique et sont sans cesse remises en question. En République démocratique du Congo, la Monusco, la plus importante (22 000 hommes) et la plus coûteuse du monde, a été critiquée pour son inaction lors des troubles dans le pays en décembre 2016, lors de la répression contre les opposants à Joseph Kabila, ainsi que dans le Kasaï, où deux enquêteurs de l'ONU, Zaïda Catalan et Michael Sharp, ont été assassinés en mars 2017. En Centrafrique, la Minusca a échoué à imposer la paix depuis 2013 et la situation hors de Bangui s'est fortement dégradée en 2017.

Dans un couloir, Mahamat Annadif, le représentant du secrétaire général des Nations unies au Mali et chef de la Minusma, soupire à l'évocation de ces griefs : « La question ne se pose pas que maintenant, il y a eu le rapport Brahimi en 2000 et celui sur l'avenir des opérations de maintien de la paix en 2015. Ils ont posé la question de l'efficacité parce que ces missions ont été montées il y a 60 ans. Elles s'interposent avec un principe de non-utilisation de la force, sauf en cas de légitime défense. Or, l'environnement a changé, avec d'autres acteurs, des terroristes, une guerre asymétrique. Il faut faire évoluer ces missions, mais ce n'est pas facile. Le cadre du G5 Sahel offre une possibilité : comme on a une brigade juste pour lutter contre le M23 au Congo, on aura cette force, juste pour lutter contre le terrorisme et aider la mission. »

Dire que l'environnement a changé depuis la période de l'après-guerre est un euphémisme. « Il y a eu un changement de nature des conflits, selon Jean-Pierre Lacroix, chef des opérations de maintien de la paix à l'ONU. Ils sont intra-étatiques et surtout, il y a de nouveaux facteurs comme les réseaux transnationaux, la criminalité organisée, le terrorisme, l'extrémisme. Ce sont des situations beaucoup plus complexes à gérer. » Pour Jacobus Kamfer Cilliers, fondateur de l'Institute for Security Studies (ISS), si l'Afrique connaît une période de faible violence (par rapport au début des années 1990, par exemple), cette violence a changé. « Le terrorisme y a augmenté. Mais il a toujours été plus prévalent ici, même si, après le 11 septembre 2001, il s'est déplacé vers le Proche-Orient. La question est de savoir s'il revient en Afrique aujourd'hui. » Macky Sall est le premier à avoir formulé clairement cette crainte, évoquant l'actualité récente à Mossoul, en Irak, et à Raqqa, en Syrie : « L'État islamique est en train de perdre ville sur ville et il y a un reflux vers nous, le Sahel. »

Quid de l'avenir du G5 Sahel  ?
La force conjointe du G5 Sahel, qui comprend des forces du Mali, du Niger, du Burkina Faso, du Tchad et de la Mauritanie, correspond donc à la « doctrine africaine des opérations de soutien à la paix » prônée par Moussa Faki Mahamat, qui évoquait aussi la Force multinationale mixte contre Boko Haram, l'Amisom en Somalie, la lutte contre la LRA en Ouganda et la Centrafrique. « Le continent doit savoir d'abord compter sur lui-même avant d'appeler à l'aide », a approuvé Albert Pahimi Padake, Premier ministre tchadien. Paul Kagame, président du Rwanda et futur président de l'Union africaine à partir de janvier 2018, a insisté : « Si nous laissons les autres prendre la responsabilité de régler nos problèmes, nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous-mêmes pour les mauvais résultats. » Florence Parly elle-même a estimé que le G5 Sahel, créé en juillet dernier à Bamako, allait dans « le sens de l'Histoire  ». Car la France y voit la perspective d'un retrait, à terme, de Barkhane. Déployé dans trois « fuseaux », zones où se concentrent les djihadistes qui y maîtrisent de larges portions de territoires, le G5 Sahel vient d'achever sa première opération, entre Burkina Faso, Niger et Mali. Mais si tous l'ont présenté comme la panacée, seule une partie de son financement est assurée, et la participation de la Mauritanie est compromise. Même chose pour le Tchad, qui a récemment retiré ses troupes de la région du Lac où elles participaient à la lutte contre Boko Haram, alors qu'Idriss Déby donne la priorité à sa frontière libyenne où il a combattu des rebelles en août dernier.

L'urgence de réformer les États
Il y a pourtant urgence à agir, et pas seulement sur le plan militaire. La dimension humanitaire assignée aux missions (notamment la Minusma et le G5 Sahel) a beau être cruciale, elle est insuffisante. Car le Sahel est devenu, selon les termes de Serge Michaïlof, un « baril de poudre » dont l'explosion pourrait toucher toute l'Afrique de l'Ouest. La main sur le cœur, tous les intervenants sont convenus que les faiblesses structurelles de leurs États étaient à l'origine de l'extrémisme violent, et on a entendu le Premier ministre tchadien répéter que la solution reposait dans l'amélioration de la gouvernance politique, la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Son pays n'est pourtant pas précisément connu pour son respect des droits de l'homme, comme le pointait un rapport d'Amnesty International en septembre, qui soulignait « l'utilisation croissante de lois répressives sur fond de répression brutale des défenseurs des droits humains ». Jacobus Kamfer Cilliers ne dit pas autre chose quand il dénombre les facteurs structurels expliquant la montée de l'extrémisme : la pauvreté crée des États qui sont moins en mesure d'assurer l'ordre. Les « régimes mixtes », combinant des éléments de démocratie et d'autocratie, sont plus instables. La jeunesse de la population (la moitié des Africains a moins de 19 ans) les rend plus fragiles, de même que l'inégalité (la croissance ne se traduit pas par une réduction de la pauvreté). Le fait même que ces pays soient dynamiques constitue un facteur déstabilisant. L'impunité de l'armée, la police et la gendarmerie crée de la défiance envers l'État. Enfin, « les Africains demandent la démocratie et ces pays ne prennent pas les droits de l'homme, la bonne gouvernance et la démocratie au sérieux ». Des défis qui ne relèvent pas des opérations de maintien de la paix, africaines ou pas.
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