L’Algérien Rabah Madjer a l’habitude de dire dans une de ses interviews, que seul un défenseur, de nationalité malienne, l’a marqué durant sa carrière par sa rigueur et son courage. Ce joueur n’est autre que Ilias Oumar Dicko. Son duel avec l’actuel entraineur des Fennecs d’Algérie date du mois d’avril 1979, à la faveur des éliminatoires des Jeux Olympiques de Moscou. Ilias (puisque Oumar est le nom de son père) avait des qualités naturelles : athlétique, vivace, endurant, le tout soutenu par une santé de fer. Durant sa carrière il a mis à profit ses potentialités pour séduire le public sportif malien et même d’Afrique. Les témoignages de Djibril Diallo, ancien dignitaire du régime du Général Moussa Traoré, à l’occasion du jubilé de Ilias Oumar Dicko en 1986, étaient loin d’être une complaisance. L’ex directeur de la Régie des Chemins de Fer et ancien secrétaire politique du B.E.C de l’Udpm, a dit ceci : ” En effet, quel amoureux des dimanches du Stade Omnisports ne revivrait pas les souvenirs de ces intenses émotions (d’espoir ou de crainte, selon son camp d’appartenance) lorsque Ilias Oumar Dicko devait botter un coup franc pour le compte du Djoliba ou des Aigles ? L’appréhension ou l’espoir ne devenait-il pas quasi certitudes lorsque le point de tir se trouvait dans la fourchette des 18 à 35 mètres des buts adverses, dans un angle variant de 30 à 45 degrés de leur axe. Sociable, avenant et presque timide dans la vie, Ilias Oumar Dicko par sa vigueur, sa rigueur et surtout sa sagacité, a illustré mieux que quiconque les qualités du noble rapace symbole de notre Team National “.
Humble, discret et discipliné, Ilias s’est toujours résigné face à certains traitements dont il a été victime dans son club. Parce qu’il s’est toujours dit que l’homme ne suit que son destin. Convaincu de cette vérité incontestable, il a prématurément mis fin à sa carrière. De tout cela, notre héros du jour nous a entretenus, imaginez dans quel cadre : à l’intérieur de sa voiture aux portes du mythique Stade omnisports Modibo Kéïta, témoin de ses moments de gloire. Bonne lecture !
Doté d’une force de frappe extraordinaire, l’enfant du Gourma Rharous n’avait pourtant pas ce physique comparable aux os et muscles de Boubacar Sow, de Zoba ou de Abdoulaye Koumaré “Muller”, pour donner une explication à ces missiles “Sol-air” qu’il armait pour mettre en difficultés les portiers. Mais c’est en forgeant qu’on devient forgeron.
Kidian et Sadia : les modèles !
Ilias Oumar Dicko nous confie qu’il s’est inspiré des demi-volées de Kidian Diallo et des coups francs de Sadia Cissé pour peaufiner les qualités qui ont marqué sa carrière. Pour cela, il s’entrainait seul à travers les murettes et se corrigeait en fonction des rebonds du ballon. Au fil du temps, il parvient à préciser et cadrer ses tirs dans n’importe quelle position. Les enfants des quartiers de N’Tomikorobougou, Bolibana, Badialan, qui venaient assister aux entrainements du Djoliba n’avaient qu’un seul souci : ne pas tomber en syncope sous le coup d’une frappe de Ilias Oumar Dicko. Pour se mettre à l’abri, les gosses choisissaient toujours le camp de celui qui avait les pétards dans les pieds (comme pour reprendre les termes du doyen Demba Coulibaly).
L’une des particularités de “Que sont-ils devenus ?” est que chaque héros apporte sa touche particulière. Cela a le double sens d’enchanter la direction du journal et de démontrer l’importance de la rubrique. Quand nous avons contacté Ilias Oumar Dicko, ancien joueur du Djoliba et des Aigles du Mali, il n’a posé aucun problème, aucune condition et cela pour deux raisons : d’abord, il pense que l’initiative de tous les médias qui s’intéressent aux anciens sportifs est louable, ensuite, son ancien coéquipier, Bourama Traoré, lui avait parlé de la rubrique. Faudrait-il rappeler qu'”Allah Ka Bourama” est l’un de nos collaborateurs directs pour l’animation de cette rubrique. En effet, c’est lui qui se charge de nous chercher les contacts de bon nombre de nos héros. Mais, paradoxalement, Bourama, lui-même, considéré unanimement comme le plus grand footballeur malien de sa génération, repousse nos sollicitations, justifiant qu’il est toujours en activité et sous les yeux des gens.
Pour en revenir à Ilias Oumar Dicko, l’homme nous a dispensé du long et interminable trajet qui mène du centre-ville à Niamana sur la RN 6. Il a décidé qu’on se retrouve au Stade Omnisports Modibo Keïta pour réaliser l’interview.
A 65 ans, Ilias n’a pas visiblement changé, il garde encore cette vivacité dans la démarche. Seulement un détail : la petite calvitie juvénile a finalement eu raison de lui et l’oblige à se raser la tête à tout bout de champ. L’enfant de Gourma Rharous nous a séduits par son sens élevé du social.
Le Djoliba à tout prix
Fruit du mouvement pionnier, Ilias Oumar Dicko a commencé à jouer au ballon dès le bas âge, grâce à son maître de premier cycle, Ibrahim Cissé dit Brin de Kita. Il s’est fait remarquer dans les compétitions inter quartiers et surtout entre les différents camps des pionniers. Depuis ces moments, il n’avait qu’une seule ambition : jouer au Djoliba AC et en équipe nationale. Raison pour laquelle, tout ce qu’il menait comme activité devait contribuer à le rapprocher de ses objectifs. Dans ce cas, seul le bon comportement pouvait le cheminer vers Bamako où tout devrait se jouer tel qu’il voulait. Le temps finira par lui donner raison. L’enfant de Gourma Rharous est parvenu à s’imposer au Djoliba durant des années, avec à la clef un titre de meilleur joueur de la saison en 1979, des campagnes des éliminatoires de la coupe d’Afrique des clubs champions. Ce qui lui a également ouvert les portes de l’équipe nationale en 1977. Il ne les quittera qu’à sa retraite. Mais comment son destin pour Bamako fut-il tracé ?
Pour la première fois, il fait un saut à Bamako en 1966, dans le cadre de la Semaine Nationale de la Jeunesse. Au cours du défilé, son premier contact avec le gazon, lui fait vibrer le cœur avec une pluie de questions. Au bout de ces innombrables interrogations, il parvient à la conclusion qu’“à cœur vaillant, rien d’impossible”.
Deux ans après, il est admis au DEF et réussit également au concours d’entrée à l’Ecole des Agents techniques d’Elevage de Bamako. Une fois dans la capitale, Ilias Oumar Dicko loge à la cité des policiers à Missira, à deux pas du Stade Omnisports. Un soir, il décide de faire un tour au terrain et coïncide avec une séance d’entrainement des travailleurs de la structure parmi lesquels un certain Yacouba Samabaly, l’un des plus grands gardiens que le Mali ait connus. Il n’aura passé que quelques jours auprès de l’ancien portier du Stade malien et des Aigles, qui appréciait déjà les qualités techniques exceptionnelles de l’enfant de Gourma Rharous. Un de ses ainés au village, Bathilo Bocoum, ayant appris sa présence à Bamako, va le chercher. Il le présente à Tiécoro Bagayoko, qui donne des instructions pour qu’on lui délivre une licence. Au même moment, Idrissa Traoré dit Poker, Bourama Traoré, Seyba Coulibaly font leurs premiers pas dans le club. Au bout de trois ans, il termine les études, accède à la Fonction publique et continue sa progression au Djoliba AC. Mais il y a problème : Ilias Oumar Dicko est muté à Gao. Avec ce coup dur, il s’en va expliquer aux dirigeants du club sa situation afin qu’il soit réaffecté à Bamako. Tiécoro Bagayoko lui demanda de rejoindre son poste, avec promesse ferme de le ramener à Bamako dans quelques mois. Mais il passera cinq ans dans la cité des Askia. Cela n’affectera nullement son moral, Ilias signa à l’Africa Sport de Gao où il écrira les belles pages de l’histoire de ce club, dans les compétitions de Coupe du Mali et du championnat inter ligues.
Une carrière à moult péripéties
En 1975, après avoir éliminé le Douga Club et le Sagan de Mopti, l’Olympic de Ségou, l’Africa Sport de Gao devait rencontrer le Djoliba à Bamako. Compte tenu des conditions financières très limitées, la Fédération a trouvé un raccourci, ce sont plutôt les Rouges qui ont effectué le déplacement sur Gao. Pourquoi ? Ilias Oumar Dicko explique et pense même que les Gaois ont été pénalisés avec le changement de programme “L’avion devait quitter Bamako vide pour aller chercher l’équipe de l’Africa Sport. Après le match, l’avion allait ramener l’équipe et retourner vide. Ce qui serait très coûteux pour la Fédération. Si le Djoliba doit se déplacer, les dépenses seront allégées. Mais cela nous a mis sous pression, parce qu’à Bamako on pouvait éliminer le Djoliba. Malheureusement, l’Africa Sport s’est incliné par 3 buts 0. L’occasion était bonne pour moi de m’affirmer et de démontrer que l’heure a sonné pour m’affecter à Bamako. Quelques jours après la rencontre, Tiécoro Bagayoko a pris ses responsabilités et j’ai été muté à Bamako en 1976”.
Pendant son absence, d’autres joueurs ont émergé et avaient tendance à être indéboulonnables à leurs postes. Donc Ilias Oumar Dicko devrait patienter sur le banc de touche.
Une blessure de Kader Guèye lui donna sa chance : il séduit et gagne sa place de titulaire sur le couloir droit. Mais pas pour longtemps. Il sera vite mis de côté pendant deux mois, au motif que le doyen Demba Coulibaly faisait ses éloges et le prédestinait comme le meilleur ailier du Mali et même d’Afrique. D’après Ilias Oumar Dicko, son entraineur n’a pas apprécié ces commentaires du speaker sportif de Radio Mali. Nullement découragé par cette injustice, il garde le moral et redouble d’efforts. L’enfant de Gourma Rharous avait une conviction : ne jamais cesser d’espérer, les miracles arrivent tous les jours. Chaque soir, après les entrainements du Djoliba, il garait sa moto pour monter à Koulouba dans le seul but de maintenir sa forme. Son retour dans les rangs a également consacré sa métamorphose comme latéral droit. Parce qu’au cours d’une séance d’entrainement, le titulaire du couloir étant absent, Ilias prend sa place et marque un coup franc magistral. Sur le coup, Karounga Keïta dit Kéké, alors entraîneur du Djoliba et des Aigles, arrêta le match et ordonna à ce que l’équipe type qui venait d’encaisser le but fasse deux tours du terrain. Depuis ce jour, Ilias est reconverti latéral et s’impose à son nouveau poste comme un élément indispensable du dispositif. Il remporte avec le Djoliba deux coupes du Mali : 1977 et 1979- et perd celle de 1980 face à l’AS Réal de Bamako. Rappel : Beïdy Sidibé dit Baraka a exécuté les Hippo. Un an après, c’est-à-dire en 1981, Ilias Oumar Dicko fait le constat encore qu’il est victime de ségrégation, d’injustice, il met un terme à sa carrière, tout en gardant le Djoliba dans son cœur.
L’étoffe et le mal de dos
Très bon orateur et dans un style où on sent le sonrhaï, Ilias Oumar Dicko donnait l’impression qu’on remuait le couteau dans la plaie, tellement choqué par les traitements dont il a été victime au Djoliba. Ces attitudes des uns et des autres l’ont certes irrité, mais en aucune manière elles ne pourront lui faire oublier les bons moments passés dans son club de cœur. Comme temps forts de sa carrière, Ilias Oumar Dicko retient ce match de championnat contre l’AS Réal en 1977 où il avait marqué un but splendide ; aussi la finale de la coupe du Mali de 1979 contre le Stade. Les Stadistes se souviendront longtemps de ces (3) buts de Cheick Salah Sacko, d’Ousmane Diallo dit Petit Sory et de Poker sur des coups de pied d’Ilias. On parle de trois minutes, trois buts, mais Modibo Dix, le gardien du Stade ce jour-là, le conteste. Ilias Oumar Dicko n’oublie pas aussi le tournoi des clubs champions joué au Gabon en 1979. Antoine Bell a beaucoup souffert ce jour de ses tirs, au point qu’il a demandé à ses défenseurs du Canon de Yaoundé de détacher carrément un joueur sur Ilias Oumar Dicko pour le neutraliser depuis sa base.
Dès l’instant qu’on pense qu’il s’est toujours caractérisé par la rage de vaincre, la vivacité et la rigueur, logiquement ses mauvais souvenirs ne peuvent être que toutes ces défaites avec le Djoliba ou l’équipe nationale.
Ilias Oumar Dicko lors de la finale de la coupe du Mali contre le Stade malien de Bamako en 1975
Qu’en est-il des anecdotes ?
L’enfant de Gourma Rharous se rappelle d’un match qui a opposé l’Africa Sport de Gao à l’Avenir de Ségou. Que s’est -il passé ? Ilias raconte son calvaire : ” C’était au cours d’un match pour les éliminatoires de la coupe du Mali. Depuis l’aéroport, les Ségoviens résidant à Gao ont donné des informations à leurs dirigeants sur mes qualités. C’est-à-dire qu’il fallait trouver une solution à mon cas, à défaut l’Avenir serait éliminé de la compétition. Je ne doutais de rien, sauf qu’au bout de dix minutes de jeu, j’ai ressenti subitement des douleurs dorsales. Ces maux m’obligeront par la suite à demander un changement. Finalement, je suis resté couché pendant un mois après ce match. Quelques années après, j’ai rencontré un Ségovien à Bamako, qui faisait partie de la délégation le jour de mon choc. Ce dernier m’a dit que j’ai été marabouté avec une étoffe qu’on a nouée autour de mon nom, avec une boule au milieu. Le drame a été que le type à qui la tâche avait été confiée a oublié de défaire l’étoffe. Tout simplement, il était sous l’effet de la victoire de son équipe qui a gagné par 2 buts à 0. C’est ce qui a expliqué mon alitement durant un mois. Mais après, tout est rentré dans l’ordre. J’ai continué ma carrière à Bamako. Ce sont des situations qu’on rencontre dans le milieu sportif”.
Après sa retraite au Djoliba en 1981, Ilias Oumar Dicko en sa qualité d’Agent Technique de l’Elevage a servi à Sikasso, Niéna, et à Kadiolo. C’est à Zégoua qu’il a pris sa retraite en 2007. Dans toutes ces localités, il a entrainé les différentes équipes locales. Cela ne saurait surprendre quand on sait qu’il a des diplômes d’entraineur décrochés pour la première fois en 1986. Il approfondira ses connaissances en 2006 et 2012, respectivement avec les licences C1 et C2, à Bamako.
Comme bon nombre d’anciens joueurs, Ilias Oumar Dicko dirige un centre de formation de jeunes au Stade du 26 Mars de Yirimadio, grâce au projet d’insertion des anciens joueurs, initié en 2010 par le président Amadou Toumani Touré.
L’homme avoue sincèrement que le football malien l’a beaucoup servi, sur le plan relationnel. Sinon, avec son statut de fonctionnaire, il s’intéressait moins aux primes, qui étaient d’ailleurs circonstancielles et dérisoires. A l’époque, l’essentiel pour lui était de jouer au ballon, pour honorer son village natal. Parce que les dimanches, son nom résonnait sur les transistors dans toutes les familles du Gourma Rharous. Cela constituait pour lui une fierté et une source de motivation pour ne pas décevoir. On comprend à travers ces déclarations, pourquoi Ilias Oumar Dicko épousait toujours la grande forme.