En poste depuis début juillet au commandement de la force Barkhane, le général de division Bruno Guibert se penche sur la complexité du théâtre malien et sahélien, sur la résurgence des troubles, l’essor de la force conjointe des pays du G5 Sahel et sûr le rôle de Barkhane. Interview au PCIAT (poste de commandement interarmées de théâtre) du camp Kosseï à N’Djamena.
À combien évalue-t-on désormais la force des groupes terroristes au Mali et aux frontières ?
« On parle de quelques centaines, moins d’un millier probablement sur toute la zone. La difficulté, c’est que ce sont des petits groupes extrêmement mobiles, bien souvent immergés au milieu des populations. Le nord du Mali reste une zone très compliquée comme le retour de l’administration malienne. Le centre du pays subit aussi une forte pression. Les autorités maliennes font des efforts, ça mérite d’être appuyé. »
– Comment la force Barkhane peut-elle agir ?
« Barkhane, c’est une approche globale, une complémentarité tant sur le plan de l’action militaire que sur le plan du développement, de la sécurisation et de l’appui. Il est très réducteur de limiter l’action de Barkhane à l’aspect militaire. L’aspect le plus visible peut-être mais l’action sur le champ des perceptions et des développements est également important. »
On n’a pas l’impression que les choses se calment au Mali…
« Il est vrai qu’il y a des attaques un peu partout mais c’est justement le symbole d’un ennemi qui nous évite. Tout le monde n’a pas forcément intérêt, au Mali principalement, de voir les accords de paix d’Alger mis en œuvre. Vous avez une collusion, manifeste bien souvent, une porosité entre les groupes armés signataires de l’accord et les groupes terroristes. Le jour où nous parviendrons à rompre le lien entre les terroristes et la population, la menace s’évanouira. C’est un combat qui va durer, nécessitera de l’énergie et de ne pas changer de stratégie tous les six mois. »
« On s’adresse à des pays qui font partie des plus pauvres de la planète. Générer une force à partir de leurs propres armées qui manquent déjà beaucoup de moyens, c’est d’autant plus difficile. »
– L’essor de la force conjointe du G5 Sahel est-il un encouragement ?
« Cette force conjointe traduit une vision commune et globalement partagée par les cinq pays du Sahel sur le plan politique. Quatre mois après sa création, la première opération, Hawbi, a été réalisée avec des forces du Mali, du Burkina et du Niger. C’est une première étape à ne pas négliger. La force vise à être pleinement opérationnelle à la fin du printemps 2018. »
– De quoi manque cruellement la force conjointe ?
« On s’adresse à des pays qui font partie des plus pauvres de la planète. Générer une force à partir de leurs propres armées qui manquent déjà beaucoup de moyens, c’est d’autant plus difficile. Il leur manque des outils de combat majeurs, des moyens de renseignement, de mobilité tactique, de soutien du combattant… La conférence des bailleurs de fonds en décembre à Bruxelles montrera une forte mobilisation européenne et de la France. »
– La force Barkhane est-elle appelée à évoluer ?
« À l’horizon d’un changement stratégique et pour la prochaine année, cette force n’a pas vocation à évoluer ni en termes de volume ni de moyens. En revanche, les modes d’action de Barkhane vont évoluer. Cette inflexion stratégique va consister à avoir une approche beaucoup plus interministérielle et globale. Faire en sorte que sur le terrain, l’action militaire se traduise par un transfert aux autorités maliennes, pour agir sur le plan militaire, sécuritaire, du développement et de l’administration. Barkhane n’est pas du tout une force figée. Il le faut : un peu plus de 4 000 dans un espace aussi immense, ce n’est vraiment pas beaucoup ».