Avec l’entrée en scène du G5, la militarisation de cette vaste région de l’Afrique de l’Ouest de la part de la France, des Etats-Unis et des armées locales avance et se porte très bien. Tout comme la guerre contre les forces djihadistes et d’autres milices qui ont été activées -ne serait-ce qu’indirectement- pour cacher les raisons d’une projection de puissance visant le contrôle du territoire et de ses ressources.
Début de ce mois de novembre, la toute nouvelle force conjointe G5 Sahel (FC – G5), constituée par des contingents des armées du Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad et appuyée par les soldats français de l’opération Barkhane, a été pour la première fois déployée sur le terrain. Programmée du 27 octobre au 11 novembre, l’opération, appelée Haw Be (Vache Noire), s’est déroulée dans la zone frontalière entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, où agissent réseaux djihadistes et de narcotrafiquants.
On lit dans Actu Défense, bulletin de la Délégation à la communication et à l’information du ministère français de la Défense (DICOD), que « la FC continue sa montée en puissance pour atteindre sa pleine capacité opérationnelle ».
D’autre part, le commandement français via Barkhane de la force naissante ne fait pas de doute. Dans le cadre de Haw Be, la coordination tactique de l’opération a été dirigée depuis la base avancée française située dans la région d’In Tillit.
Celle que la ministre française des armées Florence Parly appelle pudiquement « appropriation africaine et de réponse régionale aux crises et conflits » se fait à l’évidence avec des forces supplétives et aux ordres de Paris.
Réticences américaines
La formation de la FC-G5 a été actée le 2 juillet à Bamako, lors du sommet extraordinaire des chefs d’Eta des cinq pays fournisseurs de troupes, organisé sous la houlette du président français Macron.
Le G5 Sahel « peut à certains égards devenir un modèle d’articulation entre une force de maintien de la paix et une force africaine », dixit l’ambassadeur de Paris aux Nations unies François Delattre. Une formule diplomatique qui veut minimiser la prépondérance française dans la conception, création et gestion de la Force. Néanmoins et malgré certaines réticences américaines -Washington ne voulant pas qu’elle agisse sous bannière onusienne-, la FC a obtenu le feu vert du secrétaire général des NU Antonio Guterres, qui a loué « les efforts considérables déployés jusqu’à présent par les Etats membres du G7 Sahel pour mettre sur pied la Force Conjointe ».
D’ici à mars 2018, cette dernière comptera 5000 hommes repartis en 7 bataillons. Ils vont s’ajouter aux 4000 de Barkhane et aux 12 000 Casques bleus de la MINUSMA, la mission onusienne au Mali, sans compter les 800 Bérets rouges du Commandement Usa pour l’Afrique (AFRICOM) opérationnels au Niger.
« La militarisation du Sahel et de toute l’Afrique de l’Ouest, principalement par la France et les Etats-Unis se poursuit inexorablement», commente le béninois Gilles Olakounté Yabi, ancien directeur pour l’Afrique de l’Ouest d’International Crisis Group, dans un papier emblématiquement intitulé « Des drones armés français et américains dans le ciel ouest-africain : cela vous rassure, vous ? » et publié sur web dans le site du think tank Wathi, dont il est président.
Un hôte spécial
Point d’hasard si cette surenchère militaire de Paris en Afrique de l’Ouest a été concomitante avec le 4ème Forum de Dakar (13 et 14 novembre) sur la Sécurité en Afrique. Une initiative typique de la nouvelle Françafrique qu’au lieu d’agir en solo, préfère opérer dans la dynamique complexe des institutions internationales. La session 2017 des assises de la capitale sénégalaise était particulièrement consacrée au Sahel : il s’agissait d’aligner les acteurs majeurs de la région, mais également du continent, à confort de l’expansionnisme militaire de l’Elysée.
Soutien étonnant de cette politique impériale, si l’on considère vingt-trois ans de relations houleuses entre Kigali et Paris, la présence à Dakar du président rwandais Paul Kagame, futur patron de l’Union Africaine en 2018, a été autant remarquée par les participants et les observateurs que négligée par les médias !
Sur place pourtant, et mises à part les déclarations officielles, l’escalade militaire fait peur. D’autant que l’accélération de la mobilisation guerrière est directement proportionnelle à l’intensification de la « menace » à laquelle elle devrait faire face. « Tout se passe comme si les modalités de la guerre contre le terrorisme sous pilotage stratégique extérieur ne pouvaient pas s’avérer aussi dangereuses pour les perspectives de paix et de sécurité en Afrique de l’Ouest que le mal terroriste qu’elle est censée traiter », souligne Daby.
L’Etat d’urgence au Mali a été prolongé, les Accords de paix d’Alger (2015) piétinent entre Bamako et les signataires des groupes rebelles qui, eux, persistent à entretenir des liens avec la mouvance djihadiste. Celle-ci, qui jusqu’à 2013 limitait son rayon d’action au nord du Mali, est aujourd’hui active dans les autres régions et dans les pays voisins.
Pillage et répression
Ce qu’arrange les grandes puissances, car la poursuite de la guerre et son extension accroît la dépendance vis-à-vis de l’extérieur des Etats de la sous-région. Les élites de ces derniers s’accommodent de bon gré d’une situation qui leur donne pas mal d’avantages : « La guerre en cours est saisie par les dirigeants en place comme une opportunité pour restreindre les libertés, aliéner la souveraineté des pays et piller allègrement leurs ressources » en en partageant les bénéfices avec leurs alliés étrangers, note l’analyste nigérien Moussa Tchangari dans son étude intitulé « Sahel : aux origines de la crise sécuritaire ».