Depuis quelques années, les Bamakois assistent à une quasi absence d’aide- ménagères dans les foyers. Ces filles communément appelées « bonnes où 52 » qui effectuent toutes les tâches ménagères de la famille, sont aujourd’hui de plus en plus difficiles à trouver à Bamako. Nous avons mené une enquête pour comprendre les raisons de cette absence actuelle des bonnes dans la capitale malienne. Une occasion aussi de savoir leur apport réel dans les foyers dont beaucoup souffrent de leur absence.
Les mauvais traitements et l’orpaillage pointés du doigt
Avant, on rencontrait les aide-ménagères à chaque quartier de Bamako et presque chaque famille en avait une ou plusieurs pour l’exécution de des tâches ménagères. La plupart d’entre elles venait travailler à Bamako comme des employées domestiques pour pouvoir ensuite s’acheter le trousseau de mariage et d’autres matériels, mais aussi pour aider financièrement leur famille restée au village. Mais depuis quelques années, les habitants de Bamako, surtout les femmes, souffrent de l’absence de ces « bonnes » dans la capitale.
Mme Traoré Korotoumou Kané, ménagère : « Je ne vois pas de problème à ce que « les bonnes » soient absentes à Bamako en cette période »
Mme Traoré Korotoumou Kané, ménagère, quant à elle, trouve normal que les « bonnes » ne soient pas à Bamako en cette période de l’année. « Les bonnes viennent à Bamako après les récoltés pour chercher leur trousseau de mariage afin de bien préparer leur mariage. Elles sont rentrées au début de l’hivernage pour aider leur famille dans les travaux champêtres. Si les travaux ne sont pas terminés, comment pensez- vous qu’elles soient à Bamako pour travailler dans les familles. Moi, personnellement, je ne vois pas de problème à que « les bonnes » soient absentes à Bamako en cette période. Je vous rassure qu’après les travaux champêtres, elles vont revenir nous trouver à Bamako ».
Mme Sylla Fatoumata Tandina, ménagère : « Le phénomène est aujourd’hui dû à la multiplication des sites d’orpaillage à l’intérieur du pays »
Mme Sylla Fatoumata Tandina, ménagère, explique que ce phénomène est aujourd’hui dû à la multiplication des sites d’orpaillage à l’intérieur du pays. « Je pense que toutes les « bonnes » de Bamako sont actuellement dans des sites d’orpaillage. Parce que les bonnes disent gagner beaucoup plus là-bas qu’à Bamako où leurs services sont rémunérés entre 7500 Fcfa et 10 000 Fcfa par mois, alors que dans les sites d’orpaillage, elles peuvent gagner entre 25 000 Fcfa et 35 000 Fcfa pars mois. Avant, les « bonnes » venaient à Bamako pour chercher le trousseau de mariage, mais actuellement elles viennent rechercher de la richesse comme les jeunes garçons », a-t-elle précisé.
Pour Mme Bah Assétou Nimaga, ménagère : « Le salaire qu’on leur propose est très bas »
Pour Mme Bah Assétou Nimaga, ménagère, l’absence des aide-ménagères à Bamako aujourd’hui peut s’expliquer par plusieurs raisons, mais dont une, principalement : « Depuis un moment, nous avons appris que les « bonnes » ne veulent plus rester à Bamako pour travailler parce que le salaire qu’on leur propose est très bas. Du coup, elles préfèrent aller à Dakar, à Nouakchott et à Abidjan pour travailler, parce que là-bas on paye bien leurs services et elles ne travaillent pas quasiment 24 heures sur 24 comme à Bamako », a-t-elle affirmé.
Mme Fofana Fatoumata Ballo, restauratrice, dénonce « le mauvais traitement et le non-paiement régulier du salaire »
Selon Mme Fofana Fatoumata Ballo, restauratrice, l’absence des bonnes à Bamako est aussi due au mauvais traitement de certaines femmes envers ces aide-ménagères, ainsi que le non-paiement de leur salaire à temps : « Je pense que l’absence actuelle des « bonnes » à Bamako est due à quelques raisons dont le mauvais traitement que certaines femmes leur infligent et le non-paiement régulier de leur salaire. Il y a des femmes qui traitent ces « bonnes » comme des animaux. Elles ne mangent pas à leur faim et si elles tombent malades, elles ne sont pas soignées. C’est normal donc qu’une fois ces choses racontées à leur retour au village, leurs parents refusent qu’elles reviennent subir le même sort. Il y a aussi des patronnes qui laissent s’accumuler les arriérés de salaire des « bonnes » pendant des mois, en leur promettant que la totalité sera payée le jour où la « bonne » se décidera de rentrer chez elle. Malheureusement, le jour ou la bonne décide d’aller faire des achats pour le retour au village, elles vont dire qu’elles n’ont pas d’argent », a-t-elle précisé.
Mme Traoré Hawa Berthé, ménagère : « Je ne sais pas, sans la bonne, ce que je vais devenir »
Parlant des apports des bonnes dans les tâches domestiques, Mme Traoré Hawa Berthé, ménagère reconnaît : « Moi personnellement, je ne peux pas citer tous les avantages d’avoir une « bonne » dans le foyer. Chez moi, c’est elle qui fait toutes les tâches ménagères de la famille. C’est-à-dire, préparer les repas, faire la lessive et s’occuper des enfants. Je ne sais pas, sans la bonne, ce que je vais devenir », a-t-elle affirmé. En abondant dans le même sens, Mme Guindo Safiatou Guindo, institutrice, soutient que les apports des aide-ménagères dans les tâches domestiques des Bamakois sont multiples : « Avant, les femmes faisaient tout dans la famille. Mais aujourd’hui, on assiste au contraire. Les femmes ont tendance à oublier leur devoir familial. Elles laissent tout aux « bonnes ». Même pour préparer le lit conjugal, elles font appel aux bonnes. Vraiment, je ne peux donc pas citer tous les apports que les « bonnes » apportent dans les familles », a-t-elle ajouté.
Aminata Traoré, 15 ans, aide-ménagère originaire de Sofara : « Ma patronne me réveille chaque jour après la prière du matin …jusque tard dans la nuit
Nous avons pris le soin d’interroger quelques « bonnes » pour recueillir leurs impressions. C’est ainsi que l’une d’elles, encore mineure parce qu’âgée seulement de 15 ans, Aminata Traoré, originaire de Sofara dans la région de Mopti déclare : « Je suis venue à Bamako avec ma grande sœur et ses amis. Cela fait un an que j’exerce ce métier pour pouvoir acheter mon trousseau de mariage et aider financièrement ma famille. Comme toutes les autres, je suis logée chez ma patronne qui me réveille chaque jour après la prière du matin pour commencer les tâches ménagères. Et ceux-ci peuvent continuer jusque tard dans la nuit. Chez ma patronne, je fais tout, comme puiser de l’eau, faire la lessive et faire l’entretien des enfants », a-t-elle indiqué.
Korotimi Doumbia, 17 ans, originaire de Barouéli : « Chaque fois que ma patronne me parle, c’est avec des insultes »
Quant à Korotimi Doumbia, 17 ans, originaire de Barouéli dans la région de Ségou, elle relève les insultes qu’elle essuie régulièrement dans le cadre de son travail : « Je suis aide-ménagère à Bamako depuis bientôt 3 ans. Je fais ce travail pour pouvoir acheter mon trousseau de mariage parce que ça se passe comme cela, chez nous. Moi personnellement, j’effectue toutes les tâches ménagères de la famille. Ma patronne est très sévère avec moi. Chaque fois qu’elle me parle, c’est avec des insultes. Alors que je travaille dur pour elle », a-t-elle soutenu.
Dans le cadre de cette enquête, nous avons reçu aussi des témoignages qui font état de cas de viols d’aide-ménagères par un membre de la famille qui les emploie ou leurs proches et voisins. Mais dans tous les cas recensés, celle qui nous raconte l’histoire n’avoue jamais être la victime, mais dit toujours que c’est arrivé à une de ses parentes ou amies. Cependant, avec la précision du récit, l’on comprend aisément que nos interlocutrices sont elles-mêmes les victimes car il y en a qui donnent l’impression de revivre cet instant cauchemardesque, rien qu’en le narrant.
Des associations et Ong s’engagent à protéger les aide-ménagères
Il nous revient qu’à cause de ces brimades et cas récurrents de maltraitance, des associations et Ong se sont engagées à protéger les aide-ménagères des mauvais employeurs et aussi pour tenter de faire respecter leurs droits humains car à voir les conditions dans lesquelles la plupart d’entre elles évoluent, on n’est pas loin d’en conclure des cas d’esclavage moderne.
Malheureusement, les femmes qui cherchent des « bonnes » n’aiment pas toujours traiter avec ces associations et Ong qui prônent un salaire raisonnable, avec des horaires de travail définies, en plus de la garantie d’un véritable traitement humain.
Notre interlocuteur de faire remarquer que les travailleurs expatriés qui sont en activité au Mali ainsi que le personnel de la Minusma et d’autres organismes trouvent facilement du personnel domestique (aide-ménagères, cuisiniers, majordomes, gouvernants et jardiniers) sans grande difficulté car s’adressant à des organisations bien structurés et acceptent les conditions minimales de respect des droits de leur employés, notamment en termes de conditions de travail, d’horaires et e traitement salarial.
Elles en ont marre d’être corvéables et taillables à merci
Le véritable problème se situe donc à un niveau précis : les aide-ménagères appelées « bonnes » en ont vraiment marre d’être corvéables et taillables à merci. Raison pour laquelle elles sont en train de faire une révolution silencieuse pour bénéficier de plus de considération et pour accéder à des traitements acceptables. Raison pour laquelle, elles se mettent sous le parapluie protecteur d’associations et Ong ou elles vont chercher mieux ailleurs qu’à Bamako, notamment dans les sites d’orpaillage ou dans des pays voisins. Mais là aussi, il y a de quoi veiller à ce qu’elles ne tombent pas dans les circuits mafieux de trafics humains.
C’est pourquoi, un de nos interlocuteurs de nous faire comprendre qu’il est temps qu’une attention particulière soit portée à cette catégorie de travailleurs qui bénéficie d’ailleurs d’un statut défini par l’Organisation internationale du Travail qui les classe parmi la catégorie dite des « employés de maison ».