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Confessions d’un djihadiste du Burkina : « Vu ce que font les forces de sécurité à nos parents, je ne regretterai jamais leur mort »
Publié le dimanche 10 decembre 2017  |  Le monde.fr
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Un ancien d’Ansaroul Islam se raconte pour la première fois. Et fait le constat d’une société burkinabée gangrenée par un profond ressentiment vis-à-vis de l’Etat.

Il se présente avec gêne comme l’un des 33 hommes à avoir tué, le 16 décembre 2016, douze militaires de la base du Groupement des forces antiterroristes (GFAT) de Nassoumbou, au nord-ouest du Burkina Faso. Au lendemain de cette attaque, la plus grosse jamais orchestrée contre des membres des forces de l’ordre, les Burkinabés apprenaient, stupéfaits, la naissance du premier groupe terroriste de l’histoire du « pays des hommes intègres ».

Gorko Boulo* en faisait partie depuis 2010. Aujourd’hui, il dit en être sorti, depuis trois mois. Mais de l’attaque de Nassoumbou, comme des autres assassinats de membres des forces de défense et de sécurité (FDS) burkinabées auxquelles il a participé, il n’exprime « aucun regret ». « Quand on est partis du camp [de Nassoumbou], je me suis dit, comme les autres combattants, qu’il n’y avait pas plus juste que cela. On n’a pas regretté. Personne n’a regretté », insiste le jeune homme d’une vingtaine d’années. Son regard fuyant, caché le plus souvent par sa casquette, devient soudainement direct, plein de ressentiments lorsqu’il évoque les forces de l’ordre de son pays. « Vu ce que font les FDS à nos parents, je ne regretterai jamais leur mort », clame-t-il.

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Si ce jeune Peul, qui dit s’être engagé dans la lutte armée pour défendre sa communauté, a voulu raconter son histoire, c’est « pour que le monde sache qu’il y a des gens innocemment assassinés et torturés dans la province du Soum ». L’assassinat récent de son père d’adoption à Djibo, est, dit-il, l’événement qui a fini de le convaincre de la nécessité de parler. « Ce sont des hommes de la sécurité, en civil, qui l’ont abattu », assure-t-il. Des sources locales corroborent l’accusation qui demeure cependant, en l’état, invérifiable.

« J’ai perdu trop d’êtres chers, je ne peux plus me taire », poursuit Gorko Boulo, avant de revenir à l’attaque de Nassoumbou et donc à la genèse de ce terrorisme local. Selon nos informations, depuis cet assaut dans le Soum, au nord-ouest du Sahel burkinabé, cette province peuplée majoritairement de Peuls a subi plus d’une cinquantaine d’attaques dans lesquelles au moins cinquante civils et militaires ont été tués.

« Comme si tous les Peuls étaient djihadistes »

En novembre 2016, le Burkinabé Ibrahim Malam Dicko crée Ansaroul Islam. Le prêcheur peul est sous surveillance des renseignements locaux depuis plus d’un an. On le sait proche du prédicateur malien Hamadoun Koufa, fondateur de la katiba Macina, active dans le centre du Mali et affiliée au groupe djihadiste Ansar Eddine. « Avant fin 2015, Malam était au Mali. Il ne voulait pas taper le Burkina Faso. Hamadoun Koufa pensait que c’était trop tôt pour déclarer la guerre au Burkina. Koufa voulait continuer à sécuriser la venue de carburant et de vivres pour ses combattants au Mali. Si le Burkina était entré en guerre, tout ça aurait été rendu plus difficile. Malam a accepté et il a dit à ses frères de venir combattre au Mali avec Koufa », explique Gorko Boulo.

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La partie ouest du Sahel burkinabé, bordant la frontière malienne, sert alors de base arrière aux terroristes agissant au Mali. Jusque-là, Ibrahim Malam Dicko respecte la stratégie 100 % malienne de celui qui est considéré comme son mentor et qui l’a poussé à prendre les armes. « A l’époque, Malam avait une quarantaine de combattants. Ils venaient se reposer au Burkina entre deux attaques pour Koufa au Mali, raconte Gorko Boulo, d’une voix posée. En novembre 2016, Malam est rentré au Burkina pour voir de la famille. Il a trouvé son village, Soboulé, assiégé et humilié. Les militaires étaient là. […] Ils s’en sont pris aux pauvres paysans. C’était comme si on leur avait dit que tous les Peuls étaient djihadistes. Ils n’ont pas tué, ils ont humilié. Ils ont réuni les familles dans le village, ont déshabillé les vieux, les ont fait courir, danser, chanter et faire des pompes devant leurs femmes et leurs belles-familles car ils savaient que dans notre coutume, c’était une honte. »

Des méthodes confirmées par un militaire qui a participé à ces opérations dans le Soum et qui tient à préciser que lui et ses camarades avaient « eu des renseignements » sur des villages. « Il y avait des suspects dans la zone, des gens vraiment dangereux. On n’avait pas leurs noms donc il fallait avoir tout le monde à main pour pouvoir détecter les suspects. Mais il y a des villages où ce sont des djihadistes qui ont torturé les habitants », indique-t-il. Des craintes sur le comportement de certains éléments des forces de l’ordre burkinabées ont également été soulevées par des organisations internationales telles que Human Rights Watch ou International Crisis Group.

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Fin novembre 2016, l’armée lance l’opération « Séguéré » dans la province du Soum. Selon Gorko Boulo, c’est cette opération et les bavures qui l’ont accompagnée qui ont poussé Ibrahim Malam Dicko à planifier l’attaque de Nassoumbou, contre l’avis de son mentor, Hamadoun Koufa. « Après cela, on s’est retrouvé à notre base, dans la forêt de Foulsaré. C’est là qu’on a baptisé Ansaroul Islam. Malam nous a dit que jusque-là, il ne voulait pas s’attaquer au Burkina, mais que l’Etat avait provoqué cela, et qu’il fallait donc s’en prendre désormais à tout ce qui s’apparentait à l’Etat », poursuit le jeune homme.

L’ancien combattant détaille ensuite longuement l’assaut sur Nassoumbou. L’attaque, raconte-t-il, a été perpétrée avec l’aide de quelques combattants de la brigade malienne de Sèrma – appartenant à la katiba Macina – sur un pick-up et dix motos, par trois groupes munis d’un lance-roquettes et de kalachnikovs.

« Des fuyards qui ne résistent pas »

Le combat n’a duré qu’une heure et demie. « Seulement une vingtaine de militaires ont riposté. Les autres ont fui, en courant. Beaucoup n’avaient pas d’armes, affirme Gorko Boulo. Ça n’a étonné personne de les voir fuir. On avait prévu ça. Pendant la formation, on nous fait savoir que ce sont des peureux, des fuyards qui ne résistent pas. »

Malgré le renfort d’hommes et de matériel décidé par le gouvernement il y a plusieurs mois, les conditions de travail des forces de l’ordre déployées dans le nord du pays restent précaires. Plusieurs sources évoquent une prime quotidienne de 1 500 francs CFA (2,30 euros) qu’elles jugent « insuffisante », des armes encore trop peu nombreuses et dont certaines sont toujours en mauvais état. A cela s’ajoute le problème de la formation des hommes envoyés combattre. « « Ils envoient là-haut des jeunes qui sortent de l’école, parce que personne ne veut y aller. Mais ils n’en sont qu’au début de leur formation ! Beaucoup sont perdus. Ils sont là-bas juste pour se maintenir en vie », regrette une source sécuritaire.

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