Le Point Afrique : Racontez-nous votre expérience pour cet album fabriqué aux États-Unis, en Louisiane...
Boubacar Traoré : C'est mon producteur et manager qui a organisé ça. Ça me plaisait, car je n'ai jamais enregistré de disque avec des musiciens américains. Ça s'est très bien passé, une semaine en studio... C'est une façon de renouveler ma musique et c'est important ! Ça me stimule, me donne des nouvelles idées. J'étais fier, car c'était la première fois que je jouais avec des musiciens étrangers. Beaucoup de gens sont très contents du résultat, disent que mon disque est magnifique. Ça me fait plaisir ! C'est bon ça...
Oh moi, je ne peux pas dire ça ! C'est aux autres de juger si ce que tu fais est bon, pas toi-même. C'est notre sagesse, notre croyance au Mali : tu ne peux pas te vanter.
La Louisiane, c'est aussi une terre de blues...
Oui, à La Nouvelle-Orléans, il y a tout le temps des concerts de blues ! Bon, vous, les Blancs, vous appelez blues cette musique que je fais. Le blues, c'est le blues. Il y a des bluesmen en France, mais on ne dit pas en français le blues, c'est un nom américain. Ce sont les États-Unis qui ont dominé avec tous ces noms, le blues, le jazz, le rock, la pop… Chez nous, au Mali, on a des musiques avec un nom différent dans chaque langue. Si on utilise ce mot pour nommer notre musique dans notre langue, ici, personne ne comprend. Alors, tout le monde dit blues. C'est une musique originaire d'Afrique, de ces esclaves venus du continent. Tout le long du fleuve Mississippi, ils chantaient des chansons tristes. Petit à petit, ils ont pris les instruments et c'est devenu le blues.
Sur le disque il y a des nouveaux morceaux, et d'autres, anciens, que vous revisitez...
Oui, car ça donne une nouvelle couleur à mes chansons, avec les Américains et ces instruments magnifiques comme le violoncelle de Leyla McCalla et la guitare de Correy Harris. Comme ça, ceux qui connaissent ma musique peuvent la découvrir sous un jour plus... américain. Ils vont être étonnés ! Je suis content.
Quels sont les thèmes des chansons ?
Souvent, la tristesse. Comme Badialo, dédiée à ma première fille décédée il y a longtemps. Même si tu vis 100 ans, 200 ans… tout le monde va mourir un jour. Là, mon disque vient de sortir, j'ai fait mon temps dans la vie, mais un jour viendra je quitterai ce monde.
Vous écoutez du blues américain ?
Oui, j'ai beaucoup de disques à la maison. Et j'ai beaucoup tourné aussi en Amérique dans ma carrière, j'ai rencontré beaucoup de bluesmen. J'ai joué à Toronto avec la fille de John Lee Hooker. Elle a pleuré, car ma musique lui faisait penser à celle de son père. On a fait des photos, elle m'a donné un tee-shirt de John.
Vous reprenez la chanson qui vous a fait connaître dans les années 60 : « Mali Twist »...
Oui, on change un peu le rythme. C'est une parole d'amour, un message qui dit : je l'aime comme mon pays. Avant, c'était destiné à encourager la diaspora malienne à revenir travailler au pays. C'est une chanson sacrée, les paroles attisent le retour au Mali, donnent l'envie et l'énergie aux Maliens pour travailler, construire des maisons… Pour être courageux ! C'était l'indépendance, on était fiers, on avait tout ! Mais la suite de l'histoire, personne ne l'a vue venir. Dans le monde entier non plus d'ailleurs... Dans les années 60, le twist a eu beaucoup de succès. En Afrique, en Europe, aux États-Unis… tout le monde dansait dessus ! C'était la mode, en vogue, les gens s'habillaient comme les yéyés de Salut les copains. Malick Sidibé les a photographiés. C'était inspiré du modèle occidental, on voyait Elvis Presley looké comme ça. Je suis devenu musicien grâce à ça. Ce sont de bons souvenirs pour moi. Il n'y avait pas de tristesse.