La désagrégation de l’appareil étatique malien continu de nourrir les inquiétudes des pays voisins et de la communauté internationale. En effet, du conseil de sécurité des Nations-Unies au président du Niger, tous s’inquiètent du délitement et de l’effondrement de l’Etat Malien, depuis la crise de 2012.
Ainsi dans sa dernière résolution, le Conseil de sécurité se déclare « gravement préoccupé par la situation sécuritaire volatile, notamment par le développement d’activités criminelles et terroristes dans le centre et le sud du Mali, comme par l’intensification des trafics de drogues et d’êtres humains dans le pays».
Pour certaines capitales européennes, le Mali est aujourd’hui « dans une période presque pré-insurrectionnelle » à moins d’un an d’une élection présidentielle. « Il y a la crise au nord, la crise au centre, et maintenant une crise de régime », relève sous couvert d’anonymat un responsable européen. « C’est un régime qui ne sait pas où il va, qui est uniquement tourné vers la réélection du président », ajoute-t-il. Pour la crise au centre, il cite, entre autres, l’absence de l’État malien, la fermeture d’écoles remplacées par des madrasas coraniques et le non-fonctionnement des tribunaux.
Au cours des derniers mois, la violence a redoublé avec des violations répétées de cessez-le-feu et des attaques contre des casques bleus présents dans le pays pour accompagner l’accord de 2015. En dépit d’une présence militaire française et de celle de l’ONU, le pays reste un lieu de passage pour des trafics en tous genres et le théâtre d’actions de force de groupes djihadistes armés. L’armée malienne n’a guère la capacité de les neutraliser et l’Etat malien, dirigé par Ibrahim Boubacar Keïta, peine à combattre la corruption et à faire fonctionner les institutions et administrations.
Les pays voisins expriment les mêmes craintes sur la situation du Mali. C’est ainsi que le président du Niger, Mahamadou Issoufou confiait dans une intervention récente «des problèmes du côté du Mali ». « Ça tout le monde le sait. Le Nord Mali qui a été occupé, il faut le rappeler, par les terroristes au deux tiers avant l’intervention serval. La situation malheureusement a continué à se dégrader. Et c’est pour cela que j’ai toujours milité pour qu’il y ait une intervention assez forte que ça soit du G5 Sahel ou avec les autres partenaires notamment l’opération Barkhane, mais il faut qu’il y ait cette intervention au cœur de la menace. Le cœur de la menace c’est non seulement la frontière ente le Niger et Mali, entre le Niger et le Burkina, et le Burkina entre le Mali, mais c’est le Nord Mali… ».
Le président du Niger craint d’ailleurs un écroulement de l’Etat du Mali si des mesures ne sont pas prises : « Si l’on ne prend pas de mesures, effectivement ce que vous dites peut arriver. La situation continuant à se dégrader, l’Etat malien même peut s’écrouler. Il faut empêcher ça. Il faut tout faire pour qu’ensemble on puisse mettre fin à cette menace là parce que si l’Etat malien s’écroule, nos Etats aussi vont être menacés. Donc Il faut anticiper. Si on n’arrive pas à régler le problème maintenant plus tard la solution coutera plus chère», indique le président Nigérien.
Situation politique
Et dans une tribune, des experts analysent et tirent sur la sonnette au sujet du Mali. Pour eux, il est ‘’impossible, en effet, de dissocier la situation actuelle de l’équation politique, la dimension politique de cette crise a été bornée par la tenue d’élections précipitées, simulacre nuisible tant que les bases sérieuses d’un nouveau contrat de société n’étaient pas posées.
Derrière une façade sommairement ravalée, le Mali est en ruine et n’a plus ni loi, ni guide, ni projet. Les institutions maliennes ne décident de rien : le président navigue à vue ; l’Assemblée nationale n’a jamais eu à connaître de l’accord d’Alger ; les délégués à la Conférence d’entente nationale ont été désignés par l’administration. Aucune représentation fidèle de l’opinion ne participe aux décisions. Et les troupes étrangères, de plus en plus mal acceptées, savent qu’elles sont dépassées par des guérillas qui s’enracinent. La stratégie actuelle de la communauté internationale ne mène qu’à ça.
Des mouvements sociaux violents, comme ceux dont la menace en août 2017 a forcé le Président à reporter son projet de révision constitutionnelle, peuvent se reproduire. Mais, menés par une jeunesse sans formation ni perspective politique, ils ne pourraient que faire le lit aux plus extrémistes qui ont déjà singulièrement accru leur influence sociale et politique’’.
Affrontements communautaires
A cette dégradation politique s’ajoute une nouvelle dimension: les affrontements communautaires entre les éleveurs peuls et les Bambaras. L’appauvrissement généralisé de la région centre entraîne des affrontements ethniques inédits. Des exécutions sommaires ont eu lieu. Des éléments de l’armée sont soupçonnés. Une spirale de la terreur et de la défiance s’installe.
Un vétéran de l’action humanitaire dans le pays ajoute: «Le sort du Mali est pris en otage par le Nord et les Touaregs. Tout tourne autour de l’application des accords de paix d’Alger (signés en mai 2015) alors qu’il faudrait d’urgence un plan social à grande échelle, des initiatives pour la jeunesse. Un horizon.» La gangrène du trafic de drogue (qui remonte vers l’Europe via le Mali) et la corruption – l’entourage présidentiel est souvent pointé du doigt – font le reste. «Le G5 Sahel illustre une approche d’armée de riches. On planifie pour intervenir et frapper fort». «Les djihadistes, eux, sont l’armée des pauvres. Ils se réinstallent au fil du délitement.»