Selon un nouveau rapport publié conjointement par l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), l’accord d’Alger est aujourd’hui le principal frein au bon fonctionnement de la justice malienne.
«La conduite des négociations pour parvenir à l’Accord d’Alger ou les différentes mesures de confiance instaurées ont parfois porté des coups très durs, ces dernières années, à l’attente des victimes et au bon fonctionnement de l’appareil judiciaire », indique ce rapport intitulé : « Mali : face à la crise, faire le choix de la justice ».
En août 2014, un ancien juge islamique de Tombouctou (Nord), Ag Alfousseyni Houka Houka, inculpé pour violations graves des droits de l’homme, a été libéré par les autorités maliennes dans le cadre des négociations entre l’Etat malien et les groupes armés.
Une libération qui, par la suite, a permis à l’Etat et aux groupes armés de mettre en place un « cadre pour des négociations de paix pour permettre l’émergence d’une situation globale et négociée ».
En décembre 2014, le processus reprend de plus belle au grand dam de la justice. Mohamed Aly Ag Wadoussène, Haiba Ag Acherif, Oussama Ben Gouzzi et Habib Ould Mahouloud, tous de présumés responsables de crimes, ont été libéré en échange à la libération de l’otage français Serge Lazarevic.
«Ces mesures […] ont parfois pu contribuer à des avancées politiques, mais au détriment de la justice, des droits des victimes et d’une paix durable qui implique que les auteurs des crimes les plus graves ne puissent demeurer impunis », souligne,t le FIDH et l’AMDH, dans leur rapport.
La libération de « djahadistes » en échange d’otages étrangers fait pas qu’en situation normale, « le gouvernement ne peut pas intenter un procès contre eux », a souligné l’anthropologue malien, le Professeur Naffet Keita, dans un entretien avec Ouestafnews.
La parade de la justice transitionnelle
«Dans la signature de l’accord d’Alger, il est convenu de mettre en place une justice transitionnelle», a souligné le Professeur Keita. Et « le processus de la justice transitionnelle règle davantage des problèmes politiques se jouant à l’intérieur des communautés mais cela ne suspend pas l’affaire civile », a expliqué le Professeur Keita, enseignant à l’université de Bamako.
«Donc quand un processus est en cours, on peut élargir certaines personnes qui sont incriminées. Mais cela ne veut pas dire qu’un jour, on ne va pas en réalité porter plainte contre elles», a-t-il précisé.
En septembre 2016, la Cour pénale internationale (CPI), à l’issue d’un procès inédit, a condamné à neuf ans de prison ferme, le djhadiste Ahmad Al-Mahdi, reconnu coupable de la destruction des mausolées de Tombouctou.
En août 2017, l’ancien commissaire de la police islamique de Gao (nord), Aliou Mahamame Touré, a également été condamné à une peine de dix ans de prison pour « atteinte à la sûreté intérieur de l’Etat, de détention illégale d’armes, d’association de malfaiteurs et de coups et blessures aggravés » par la Cour d’assises de Bamako.
Les limites de l’accord d’Alger
Selon le Professeur Keita, l’Accord d’Alger comporte des manquements qui poseront des problèmes dans sa mise en œuvre. «Quand on prend les dispositions de l’Accord d’Alger, principalement au niveau des annexes, il est dit qu’après la signature», dans les mois suivants, «le gouvernement doit mener (des conditions de nature à réconcilier les Maliens et à jeter les bases d’un Mali nouveau, démocratique). Or le gouvernement n’a pas les moyens » de cette politique, explique-t-il à Ouestafnews.
Les mesures du présent accord « doivent être mises en œuvre durant une période intérimaire qui prend effet immédiat après la signature de l’Accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali […] et devant s’étaler sur une durée allant de dix-huit à vingt à quatre mois », indique l’accord d’Alger consulté par Ouestafnews.
La négociation d’Alger a été engagée sans que la population du nord « hostile » à la partition du pays y soit représentée, renseigne le Professeur chargé d’enseignement à Science-Po (France), Joseph Brunet-Jailly, dans une tribune publiée le site de Mediapart.fr.
«Dans ce contexte, une partie au moins des éléments du Groupe d’autodéfense touareg imghad et alliés (GATIA) et de la Plateforme (ensemble des groupes armés « hostiles » à la partition du Mali) représente les intérêts de populations qui sont en conflit depuis toujours avec les Ifoghas, et que ces dernier veulent conserver sous leur coupe avec […] l’appui des occidentaux », a souligné M. Brunet-Jailly.
Et pour le président des Forces alternatives pour le renouveau et l’émergence (Fare), Modibo Sidibé, l’accord d’Alger ne règle pas les questions fondamentales concernant la stabilité du pays, l’intégration et l’unité nationale.
«La disposition qui consiste à ‘’assurer une meilleurs représentation des populations du nord du Mali dans les institutions et grands services, corps et administration de la République’’ est une violation de notre Constitution, des règles et valeurs républicaines qui ne saurait admettre ni une administration partisane, ni une administration communautariste », a-t-il expliqué.
En février 2017, l’installation des autorités intérimaires à Kidal, nord Mali, a été bloquée par les ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawed (CMA) qui contrôlent cette zone.
Au mois de juillet 2017, les signataires (coordination et la Plateforme) de l’accord n’ont pas pu s’entendre à propos de la composition du Comité de suivi de l’accord (CSA), une dissension « jouant considérablement sur cette étape jugée cruciale dans l’application de l’accord » d’Alger, indique Rfi.
Pour les experts du dossier, ces blocages étaient prévisibles car «les mouvements sont très hétérogènes», souligne la même source.