L’euphorie du retour d’ATT au Mali ne doit pas nous faire oublier le massacre de nos 118 militaires à Aguelhok le 24 janvier 2012. Loin de vouloir gâcher la fête, qui fut belle au demeurant, le retour l’ex-chef d’Etat au pays est certes un grand pas vers la réconciliation tant souhaitée par les Maliens, mais le timing et le boucan autour de l’événement interrogent sur les agendas des deux hommes politiques, notamment sur ce qu’il en sera du dossier relatif au massacre d’Aguelhok, qui sera commémoré dans un mois jour pour jour. La réconciliation par la provocation ? IBK et ATT demanderont-ils pardon aux Maliens ?
L’ex-président de la République, Amadou Toumani Touré (ATT) et sa famille sont arrivés à Bamako le dimanche dernier. A sa descente d’avion, il a eu droit à un accueil triomphal de l’aéroport à la résidence d’IBK à Sébénikoro où ils déjeuneront avant de regagner sa résidence sise à la base militaire.
Si ce retour de l’enfant de Mopti dans son pays, après près de 6 ans d’exil au Sénégal, est perçu par nombre d’observateurs comme un signal fort en vue de la réconciliation entre les partisans des deux hommes politiques, il ne doit pas faire perdre de vue que la raison de la chute d’ATT reste très peu évoquée. Ce qui inquiète les familles des soldats de l’unité méhariste d’Aguelhok massacrés par les terroristes et narcotrafiquants du MNLA et ses alliés. L’unité avait à sa tête le Capitaine Sékou Alery Traoré dit Bad, également exécuté. La réconciliation se fera-t-elle au détriment de la vérité et de la justice ? Pire, la demande de mise en accusation de l’ex-président a été politiquement enterrée par les députés à l’Assemblée Nationale après un semblant de procédure.
Retour sur cette journée bigarrée où hypocrisie et émotion se sont côtoyées…
Contraint à l’exil par le coup d’Etat militaire du CNRDRE qui l’a déposé au soir du 21 mars 2012, à la demande des chefs d'États de la CEDEAO alors dirigée par Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire, le Général ATT démissionne du pouvoir et se rend au Sénégal afin d'« apaiser le climat social et pour sa propre sécurité et celle de sa famille ».
Le retour d’ATT à Bamako a été célébré avec faste dimanche par ses partisans et par tous ceux qui sont déçus de la gouvernance IBK.
De l'aéroport international de Sénou à Sébénikoro où il déjeunera avec le chef de l’Etat Ibrahim Boubacar Kéita, les Bamakois sont sortis massivement pour réserver un accueil chaleureux et saluer leur héros qui n’a pas manqué de rappeler le contexte de son retour : « C'est avec beaucoup d'émotion que je rentre au pays natal. Permettez-moi tout d'abord de réserver une pensée pieuse aux victimes civiles et militaires maliennes et étrangères du fait d'une guerre injuste et cruelle qui nous a été imposée depuis tant d'années.
Aux blessés, aux handicapés et à tous ceux qui ont éprouvé des douleurs énormes, je leur souhaite prompt rétablissement. Mais permettez-moi encore de saluer et de remercier du fond de mon cœur Son Excellence Monsieur le Président de la République, Ibrahim Boubacar Keita pour tout ce qu'il a consenti comme efforts et toutes les commodités qu'il a fait mettre en place pour me permettre aujourd'hui de revenir dans notre très cher pays, je lui dis merci.
Je salue le Premier ministre ici présent, mon cousin et je salue l'ensemble des Premiers ministres, le grand cousin d'abord Ousmane et l'ensemble des Premiers ministres avec lesquels j'ai travaillé dans le temps. Je salue tous les ministres, je salue l'ensemble des parlementaires et je salue tout le monde. Merci d'avoir voulu prendre de votre temps pour venir m'accueillir. Je suis profondément comblé. Je présente mes devoirs à l’ensemble du peuple malien et à tous ceux qui, en Afrique comme à travers le monde, m'ont aidé, soutenu et parfois assisté.
Avec votre permission, mes derniers mots vont à nos cousins du Sénégal. Je voudrais exprimer toute ma profonde gratitude et celle de ma famille à Son Excellence le président Macky Sall, président de la République du Sénégal pour l'hospitalité toute africaine qu'il nous a réservée à Dakar. Au peuple sénégalais, nos frères et cousins, je garderai toujours au fond de mon cœur la manifestation de la Téranga sénégalaise faite de courtoisie, de gentillesse et d'affection. J’aurai tout le temps pour vous raconter ce que j'ai vécu au Sénégal. J'y ai fait exactement 5 ans et 8 mois. J’y 'étais comme chez moi au Mali.
Je prends deux ou trois petits exemples : la mosquée dans laquelle j'ai commencé à prier depuis mon arrivée à Dakar est une mosquée qui se trouve à l'hôpital Le Dantec. Mais vous ne pouvez pas imaginer combien, après la mosquée, je suis obligé de saluer toute la mosquée par ce que toutes les mains sont tendues pour me marquer leur affection et cela m'a beaucoup touché. Le deuxième point c'est encore ma salle de sport qui s'appelle Gymnasium. Au début, j'étais un client et un beau jour il y a 3 ans, ils sont venus me voir, ils m’ont dit « ATT, tu ne paies plus !».
Et, le dernier point c'est un simple taximan. Un jour, en retard pour aller au sport, j'ai pris un taxi pour y aller. Arrivé, le taximan me regarde, il me dit : « c'est ATT ?» Je dis oui. Il me dit : « tu ne paies pas ! » Voilà comment j'ai vécu et comment je vivais au Sénégal. Donc, à mes frères du Sénégal, je leur dis tout simplement merci. Mes petits fils m'ont appris un peu de wolof :''jerdjef ''. Et le dernier mot pour les halpoulaar ''tchadé, ondiarama, tchadé few few, Allah yobon, du fond de mon cœur ! », termine-t-il un brin triomphateur. Soit !
Ce retour a permis aux Bamakois, mécontents de la gestion d’IBK et des fidèles d’ATT, de se défouler et d’exprimer leur colère en même temps leur joie. Ce qui doit interpeller IBK sur sa façon de conduire le pays et l’opportunité de briguer un second mandat auquel les cris de sirènes de ses partisans l’incitent depuis quelques mois.
Mais pour tous ceux qui ne sont pas sortis et qui ruminent leur mal en patience, cette arrivée cache un agenda politique même si IBK jure la main sur le cœur qu’il n’y a rien derrière. Et cela révolte plus d’un, notamment les familles et proches des 150 militaires maliens victimes du massacre d’Aguelhok et dont les circonstances restent non encore élucidées mais aussi les partisans de l’ex-junte dont les principaux meneurs sont en détention pour une affaire tout aussi trouble que le contre-coup d’Etat du 30 avril 2012 et dont le principal meneur n’est autre que le Colonel Abidine Guindo, le bras droit d’ATT.
La réconciliation entre le clan ATT par qui toute la crise a commencé en 2012 et celui d’IBK que les Maliens pensaient incarner le changement et la véridicité, elle ne doit pas se faire au détriment de la vérité et de la justice. L’on se demande si après ce coup de poker magique, les deux hommes vont tendre la perche à l’ex-junte militaire de Kati afin, ne serait-ce, de mettre les compteurs à zéro pour entamer le vrai processus de réconciliation des Maliens qui exige de la classe politique, d’ATT et d’IBK en premier qu’ils leur demandent pardon pour les avoir bernés et floués.