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Equations institutionnelles de 2018 : Qui mijote une tutelle sur le Mali ?
Publié le lundi 1 janvier 2018  |  Le Témoin
Joseph
© Autre presse par DR
Joseph Brunet-Jailly
Joseph Brunet-Jailly, Consultant et enseignant en Sciences Po à Paris
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La question est plus que d’actualité, à en juger par les signaux en provenance d’une certaine élite française curieusement bien versée et intéressée dans la question malienne. C’est le cas d’un certain Joseph Brunet-Jailly, auteur d’une réflexion bien fournie sur la situation malienne. Diffusé sur son blog personnel il y a deux semaines environ et repris par Médiapart, le dossier – qui mériterait même d’être appelé pamphlet – ne se limite pas de brosser les péripéties de la crise dont notre pays «ne se relève depuis 2012», faute de présence de l’Etat sur le territoire et de recettes appropriées de la part de la communauté internationale.

L’auteur en tire également les conséquences en présente par ailleurs un éventail de schémas de maitrise de la crise, au risque de la laisser déteindre sur la stabilité du monde entier à travers en sanctuarisation plus accrue de la menace sécuritaire Parmi les solutions préconisées figure notamment l’instauration au Mali d’un régime de tutelle internationale envertu du chapitre XI de la Charte des Nations-Unies. Nous vous proposons les conclusions du document publié sous le titre ‘’Mali : comment échapper à la descente aux enfers’’ et dont le contenu en dit long sur le danger qui nous pend au nez. Car, comme on le dit, il n’y a pas de fumée sans feu.

Si on veut bien considérer la situation du Mali dans toutes ses dimensions, celles auxquelles s’est attaquée la “communauté internationale” sont toutes à courte vue et témoignent d’une myopie extrêmement dangereuse. En archéologie, c’est parfois en observant le sol du haut d’un avion qu’on découvre ce qu’il y a dans le sous-sol. Ici aussi c’est le point de vue de Sirius qui révèle les causes essentielles de l’effondrement dont le Mali ne se remet pas depuis 2012. Or, qu’on le veuille ou non, les actions entreprises depuis lors par la “communauté internationale” l’engagent inéluctablement pour longtemps, sauf à abandonner ses amis, ses intérêts et sa propre sécurité :

Ses amis, car on n’oubliera pas de sitôt le rôle que les pays d’Afrique francophone ont joué et jouent encore dans la stature internationale de la France et désormais de l’Europe ;
Ses intérêts, car il est évident que, depuis un siècle, de profonds liens d’intérêts croisés se sont développés, en même temps qu’une évidente parenté culturelle, entre les anciennes colonies françaises et leur ancienne métropole, puis l’Europe ;
Sa propre sécurité, car l’écart des niveaux de vie créant une pression formidable à la migration, l’Europe n’aura le choix qu’entre une protection militaire contre des bandes armées ou une immigration pacifique mais contrôlée et patiemment acculturée.

Et l’alternative à l’indifférence ou à l’échec, c’est l’installation au Sahel (car les voisins du Mali sont aussi menacés que lui) d’un régime comparable à celui qui a été imposé au Nord du Mali par AQMI et ses alliés de 2012 à 2013. On ne peut en attendre ni la paix ni le développement. L’alternative peut être aussi l’alliance entre les groupes armés djihadistes et le Haut Conseil Islamique de l’imam Dicko, préfigurée dès 2012, ou la colonisation des institutions de l’Etat par des cadres dévoués aux obédiences les plus réactionnaires de l’islam, comme on l’a vu à la CENI, qui pourraient créer du jour au lendemain une situation comparable à ce qui se passe actuellement en Somalie.

La France, et derrière elle l’Europe, n’ont pas le choix. L’Afrique est trop proche, les liens historiques et culturels sont trop étroits, les différences de revenu sont trop grandes, et la menace d’un grand désordre djihadiste est trop évidente. La claire conscience de cette situation ne peut conduire qu’à quelques pistes d’action commune.

D’abord, en matière de sécurité et de retour à la paix. Sur ce point, il faut ne pas mésestimer la menace permanente que représentent des groupes armés commandés de l’extérieur, et capables d’intervenir en 2014 à Kidal lors de la visite du Premier Ministre, en 2015 à Bamako contre un hôtel fréquenté par les étrangers ou en 2017 à Gao contre le camp du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), etc. : les signataires de l’accord d’Alger ne sont pas seuls, le Mali a des ennemis déterminés à ses frontières et dans ses frontières.

Or le bilan des interventions militaires de la “communauté internationale” dans les conflits qui ravagent la planète montre que “les Nations unies sont à la résolution des conflits ce que l’homéopathie est au cancer.” Le fait que les troupes chargées de ramener la paix soient étrangères et stipendiées leur donne une faible motivation à protéger les civils –leur mission essentielle –, comme en témoignent de nombreux exemples de passivité ; dans certains cas, leur intervention au sol est soumise a des conditions qui les enferment dans leur campement; et leur prétention à rétablir l’autorité de l’Etat ignore le fait que les régions en guerre sont soit des régions que l’Etat n’administre plus depuis longtemps, soit des régions où sa présence et ses actions sont jugées depuis longtemps illégitimes par la population qu’il exploite sans vergogne.

En réalité, la “communauté internationale” n’a aucune stratégie de rétablissement de la paix, elle emploie sur les théâtres actuels des stratégies dont elle sait qu’elles ont échoué ailleurs dans le passé. Comme l’écrit Thierry Vircoulon, “la solution n’est pas d’imposer la paix, mais de créer les conditions de sa négociation et de son respect. En Centrafrique, au Mali et au Sud-Soudan, il faut inverser le rapport de force sur le terrain et sanctionner ceux qui violent les accords de paix.”

Le premier objectif de la France, de l’Europe et de la “communauté internationale” pourrait donc être d’établir sur le terrain, une nouvelle fois, un rapport des forces qui impose la négociation sérieuse aux signataires de l’accord d’Alger, mais aussi de pourchasser sans répit les groupes armés non signataires, et encore de sanctionner sévèrement tous ceux qui interviennent avec des armes. Ceci implique une modification du mandat de la MINUSMA et du recrutement de ses troupes, et une redéfinition de la contribution de Barkhane. Des voix se font d’ailleurs entendre, au Mali même, en faveur d’une révision des mandats des intervenants extérieurs.

Le second objectif est lié à l’illégitimité de l’Etat, absent des régions du Nord depuis plus d’une décennie, et absent des autres régions –à l’exception des capitales régionales– depuis 2012. C’est à New-York seulement qu’on veut croire à l’existence d’un Etat au Mali. Les Maliens savent que l’Etat s’est effondré en 2012 et qu’il ne s’est pas relevé. A Mopti même, tout près du quartier général du G5-Sahel, les bureaux des administrations sont désertés par les fonctionnaires.

La France, l’Europe et la “communauté internationale” doivent tirer les conséquences de cette situation : le Mali est de fait sous tutelle de la “communauté internationale” depuis cinq ans déjà. Plusieurs régimes de mandat ont été pratiqués du temps de la Société des Nations, et un régime de tutelle est encore prévu par le chapitre XI de la Charte des Nations-Unies.

La “communauté internationale” si elle veut échapper à la descente aux enfers au Mali, doit prendre acte du fait que l’Etat n’existe plus dans ce pays, et assumer ses responsabilités dans cette situation inédite qui est une menace pour la paix en Afrique et hors d’Afrique.

Elle doit donc organiser la défense et la lutte contre l’insécurité, rétablir la paix, ramener fermement la justice dans le droit chemin, faire exécuter ses décisions et sanctionner la corruption de façon exemplaire, rebâtir l’enseignement depuis le niveau du fondamental jusqu’au supérieur, faire fonctionner les services publics, redistribuer les richesses entre régions, et pour cela prendre le contrôle des principales administrations, suspendre l’assemblée nationale et le gouvernement, entreprendre de reconstruire en une ou deux décennies le contrôle démocratique depuis la base, c’est-à-dire à partir des communes et des régions, jusqu’à ce qu’une nouvelle classe politique soit mûre pour négocier les institutions originales qui seraient capables de gérer le pays au bénéfice de l’ensemble de la population, et notamment des pauvres.

Dans ce schéma, l’administration a la charge de mettre en œuvre, sous la tutelle de la “communauté internationale”, la politique de développement agricole ainsi que les réformes de la justice et de l’enseignement, et de faire fonctionner les services publics. Evidemment, on parlera de nouvelle colonisation : mais les voisins du Mali et les pays qui ont volé à son secours depuis 2013 n’auront pas le choix s’ils veulent éviter l’expansion des troubles djihadistes au cœur du Sahel.

La stratégie proposée suppose donc un engagement à long terme des pays sahéliens, de la France et de ses alliés occidentaux. Ces “généreux donateurs” craignent les hordes de jeunes miséreux sahéliens qui sont à leurs portes, et ils ont raison. Ils ne doivent pas oublier cependant que, sous certaines conditions, les économies du Nord peuvent bénéficier de cette immigration (la France des trente glorieuses en sait quelque chose, l’Allemagne l’a démontré encore tout récemment). Il est vrai que ces flux migratoires doivent être bien dimensionnés et que, au Sud comme au Nord, le développement local est la base de l’équilibre social. Mais il incombe au Nord de faire face aux conséquences de l’inégalité monstrueuse qu’il a laissé s’établir sur la planète, et qui donne aujourd’hui une force irrésistible à la pression migratoire.

Il ne peut que la contrôler et l’utiliser au mieux, car c’est aussi un moyen de contribuer, par les diasporas, au développement du continent africain. Si on continue comme on a commencé, en refusant de s’attaquer à ses causes essentielles, l’enlisement dans les sables mouvants d’une guérilla sans fin est inéluctable. A la longue, la France y épuisera ses moyens militaires, et l’Europe tout autant. Il est même probable que cette stratégie aggravera aussi les problèmes et encouragera les rébellions du Sud faute de contribuer à son développement. Déjà, en 2014, la France a dépensé environ 653 millions de dollars (sans compter le coût de la contribution française à la MINUSMA, ni évidemment la contribution au financement du G5-Sahel : on atteint donc maintenant un ordre de grandeur de 800 millions par an) pour la sécurisation du Sahel contre officiellement 241 millions en aide bilatérale au développement de la zone (en réalité les dons ne dépassent pas 80 millions).

Il est donc temps de changer complètement et résolument de stratégie. Cela ne se fera sans doute pas sans d’amples mouvements sociaux et politiques au Mali même, car on ne voit pas que les équipes actuelles soient capables de la moindre initiative innovante. De ce point de vue, la “communauté internationale” est tributaire de l’évolution politique au Mali. Mais la prise de conscience par certaines élites des risques que représentent les élections prévues pour 2018, d’une part, et la mobilisation qui a contraint le Président IBK à repousser le référendum sur son projet de révision constitutionnelle d’autre part, montrent probablement qu’une opinion publique déterminée se prépare aujourd’hui à affronter les caciques. Aura-t-elle le courage d’aborder les vrais problèmes du pays et de mettre sans délai ses leaders au travail pour qu’ils contribuent activement à les résoudre ?

Joseph Brunet-Jailly

Novembre 2017
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