Après une première partie dédiée à l’Agriculture, un deuxième volet consacré aux infrastructures, Modibo Koné
poursuit sa réflexion en abordant la question du développement social. Pour ce cadre malien, qui a eu à participer au montage et au financement de la plupart des infrastructures réalisées dernièrement en Afrique de l’Ouest, la finalité de l’économie c’est l’homme. Les politiques publiques doivent, plus que jamais, être appréciées à l’aune du social et de la création de l’emploi.
Le développement social est un facteur important qui conditionne la croissance, la qualité du capital humain et la bonne gouvernance. Vous êtes dans la réalité des questions relatives au financement du développement depuis plusieurs années, cela vous parle-t-il ?
Quand vous êtes un soldat du développement comme je le dis souvent, le développement social est au centre de vos préoccupations. La lutte contre la pauvreté et la recherche du bien-être des populations sont au cœur de vos missions. Les projets de développement prennent en compte par nature les préoccupations sociales et environnementales. Par ailleurs, l’émergence d’une société civile, d’organisations sociales de base, de réseaux d’ONG responsables qui sont en lien direct avec les populations est une excellente chose car ils sont des relais de plus en plus importants qui ont la capacité de remonter des besoins du terrain et permettre ainsi que ceux –ci soient intégrés dans les projets prévus dans la zone. Et je suis un fervent partisan d’une collaboration plus étroite avec ces organisations y compris celles qui concernent les jeunes ou les femmes. Les financements pilotés dans le cadre de mes fonctions lorsque j’étais aux Opérations visaient en grande partie à contribuer au renforcement de l’autosuffisance et de la sécurité alimentaire ainsi qu’à l’amélioration des revenus des populations rurales. Nous avons notamment mis en place à ce sujet des mécanismes de micro-financements au profit des couches fragiles et vulnérables et aussi des lignes de crédit.
Pour aller plus loin, vous savez que les besoins dans des secteurs de base que sont la Santé ou l’Education sont énormes et pourtant il existe très peu de mécanismes de financement dédiés à ces secteurs cruciaux pour les populations
Les Institutions de financement du développement n’interviennent pas directement dans ces secteurs pour lesquels les besoins sont énormes et les financements modestes. Ces secteurs n’intéressent pas le secteur bancaire commercial classique, ni les investisseurs privés et institutionnels, qui s’orientent beaucoup plus vers des interventions dans les infrastructures, l’Energie, l’Agriculture.
Il conviendrait de trouver un mécanisme visant à appuyer ces secteurs à fort impact social dont les besoins croissent avec la croissance démographique des Etats. Il est à noter que de nombreuses demandes d’appuis reçues dans les institutions de financement du développement proviennent de ces secteurs.
Comment peut-on expliquer qu’avec les taux de croissance à deux chiffres que l’on a observés dans certains pays, la pauvreté n’a pas reculé tant que cela ?
C’est vrai que la croissance rapide enregistrée dans certaines de nos économies émergentes est aussi allée de pair avec une vulnérabilité persistante et de fortes inégalités. Les attentes des populations augmentent, il est nécessaire, aujourd’hui plus que jamais, de mettre en place des politiques en faveur de la cohésion sociale et du développement à long terme.
La croissance inclusive est confrontée dans les pays africains à plusieurs problèmes, le partage des fruits de la croissance observée est encore difficile face aux ressources qui n’ont pas le niveau escompté. Les investisseurs s’intéressent quasi exclusivement aux matières premières et n’investissent pas beaucoup dans des secteurs permettant de donner de l’emploi au plus grand nombre.
Les Etats sont donc confrontés à la difficulté de création et de répartition des richesses, ce qui crée une pression sociale importante. Des réponses sont cependant apportées dans certains pays qui commencent à mettre en place une véritable politique de soutien social aux familles et c’est à encourager.
Par ailleurs, des initiatives devront être prises en direction du secteur privé, des PME/PMI pour leur permettre de créer des emplois et ainsi peser sur la réduction des inégalités. Les collectivités locales ont aussi un important rôle à jouer pour faire rentrer dans l’économie les personnes qui en sont exclus.
Avec la croissance démographique assez soutenue dans nos pays, l’exode rural a repris de plus belle, le phénomène d’urbanisation prend de plus en plus d’ampleur, la gestion des villes est-elle devenue un enjeu social aujourd’hui en Afrique ?
La poussée de l’urbanisation n’est pas spécifique à l’Afrique. En 2008, 50% de la population mondiale vivait dans les villes, ce taux passera à 60% en 2030 et à 75% en 2050. Le phénomène s’accentue en Afrique avec la forte croissance démographique que l’on observe et qui est appelé dividende démographique par certain. Cette nouvelle donne oblige de plus en plus de villes en Afrique à composer avec une dimension sociale et sanitaire importante en faisant face concomitamment aux problèmes d’approvisionnement en eau et en électricité. Les villes sont à un niveau de proximité avec les populations qui les obligent maintenant à intervenir pour leur apporter du bien-être, mais elles auront besoin que certaines compétences leur soient transférées par les gouvernements. Les villes sont à même de porter la croissance inclusive par des mesures concrètes, comme la mise en place d’une meilleure planification de l’aménagement du territoire afin d’éviter des enclaves de pauvreté, de repenser les systèmes d’assainissement pour éviter les inondations de plus en plus meurtrières, de réorganiser le système de collecte et de traitement des déchets, d’impliquer le secteur immobilier privé afin qu’il puisse réserver une part de logements sociaux dans leurs projets.
Comme dans les pays développés, les villes en Afrique devront avoir la possibilité de mettre en place des plateformes de collaboration avec les acteurs de l’économie sociale (entreprises ou associations opérant sans but lucratif) pour mener des programmes spécifiques à destination des populations. Les villes par l’utilisation des TIC vont devenir des villes intelligentes (smart cities) et pourront mettre en place des réseaux de communication dynamiques avec les populations, ce qui va avoir un impact significatif sur la mise à disposition de services municipaux, sur la participation citoyenne et ainsi maintenir une relation plus proche et ainsi pouvoir agir de façon plus efficiente.
De plus en plus de pays dans le monde développé intègrent des indicateurs de bien-être des populations (Well Being Project) pour évaluer leur niveau de développement à côté du principal indicateur qu’est le PIB, ce sont des aspirations qui trouveront bien assez tôt un écho en Afrique.
Pensez-vous que l’économie numérique puisse faire accélérer la donne en Afrique ?
L’évolution technologique a profondément fait évolué les modèles économiques des entreprises, la communication et les échanges en réseaux dématérialisés (le numérique) sont les nouvelles donnes à intégrer. Nous évoquions les villes intelligentes qui vont moderniser le lien avec les populations, mais aussi optimiser les usages des équipements publics, c’est déjà plus ou moins le cas avec l’éclairage public qui est de plus en plus automatisé par le truchement de capteurs, la régulation des flux sur les grands axes urbains peuvent maintenant être fait à distance.
Les changements qui sont intervenus ces cinq dernières années sont plus importants que ceux que l’on a connus ces 100 dernières années. Le monde est de plus partagé entre ceux qui savent (« les knows ») et ceux qui ne savent pas (« les no knows »). Les nouvelles discriminations se font sur la base de la connaissance des fondamentaux de l’économie numérique, on évoque même une nouvelle forme d’illettrisme.
Les gouvernements devront se saisir de ces questions pour faire évoluer la gouvernance dans les pays, l’accès à l’internet est au cœur de l’économie numérique, cela devrait être à la portée de tous aussi bien dans les pays pauvres que dans les pays riches. Il suffit de regarder l’appropriation que la jeunesse s’est fait du numérique, une journaliste parle même de la montée d’une génération transnationale qui socialise à égalité de parole quel que soit le pays. Les réseaux sociaux sont devenus des espaces de liberté et d’expression ouvert à tous, c’est phénoménal et cela offre la possibilité de renforcer aussi le lien avec les citoyens. Cependant, une régulation s’impose pour éviter les dérives, la protection des données personnelles par exemple doit faire l’objet d’un cadre légal introduisant des restrictions pour éviter les atteintes à la vie privée.
L’Afrique n’est pas en reste dans le secteur du numérique, des financements ont été faits pour moderniser l’interconnexion des réseaux nationaux des Etats en vue de stimuler les échanges entre les pays et assurer leur intégration aux autoroutes mondiales de l’information, notamment à travers les points d’accès au câble SAT3. De nombreux opérateurs ont pu monter en puissance et offrir des connexions à haut débit à des coûts sans cesse en baisse, l’introduction de la 3G et maintenant de la 4G élargit le champ des possibilités en Afrique. L’introduction de nouveaux services accessibles à tous par le smartphone permet à l’Afrique de combler des retards. Le mobile money créé en Afrique a révolutionné le secteur bancaire et a permis une inclusion financière des populations. L’on dénombrait, en mars 2017, 54 services d’argent mobile en activité dans 14 pays et c’est un modèle qui commence même à s’exporter en Europe. Le monde rural est impacté, l’information utile est maintenant à la portée des agriculteurs. L’éducation, la santé, la musique, le commerce, le sport,…. tous les secteurs sont touchés. Selon un rapport de GSMA, à la fin 2016, la moitié des habitants de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avaient un abonnement mobile, ce qui correspond à 172 millions d’abonnés uniques. Le nombre total de connexions atteignait 320 millions, soit un taux de pénétration de 92 %. D’ici 2020, 45 millions de personnes supplémentaires seront connectées aux services mobiles dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, portant le nombre total d’abonnés uniques à 220 millions et le taux de pénétration à 54 %. L’expertise pour créer des produits et des services s’est démocratisée, elle est à la portée de tous. Des services créés en Afrique ont vocation à s’exporter de par le monde. Le numérique porte en son sein une vague d’opportunités qu’il faut saisir. Il faut financer le développement de l’enseignement du codage, mettre en place des espaces publiques de connexion, financer des incubateurs d’entreprise du secteur, faciliter l’installation de Datacenter, lancer de vastes programmes pour équiper nos administrations et former les agents de l’Etat et des collectivités territoriales.
En conclusion, monsieur Koné, l’Afrique est bien ancrée dans la nouvelle économie? Votre dernier mot?
Je vous remercie de m’avoir donné l’opportunité d’échanger sur ces sujets, les enjeux portés par l’Agriculture, les Infrastructures, et le développement social m’interpellent et face aux changements que nous vivons nous avons besoin de repenser les modes et les modèles d’interventions. Beaucoup de choses ont été faites et les succès sont nombreux, mais une page s’est tournée, il suffit d’observer la géopolitique mondiale de nos jours pour savoir que le progrès, l’innovation et les attentes du monde d’aujourd’hui appellent à mettre en place de nouvelles solutions et de nouvelles approches. Nous n’avons pas abordé la question sécuritaire, la recherche scientifique, le combat mené pour l’attractivité et le rayonnement des pays, la culture, le sport, dans ces domaines aussi des vents nouveaux soufflent.
Le monde est dans cette dynamique, c’est une très forte attente des peuples, on observe une grande aspiration à ce que de nouveaux chapitres soient écrits et que les énergies et les financements soient résolument et prioritairement orientés vers l’amélioration du bien-être des populations.