Ce ne sont pas les critiques adressées à la commission Dialogue et Réconciliation qui ont surpris – elles étaient inévitables – mais la tonalité de certains arguments développés. Le pays sort plus rapidement qu’on ne l’aurait pensé de la guerre mais pas de la déraison. La virulence des critiques assenées à une commission Dialogue et Réconciliation (CDR) à peine sortie des langes confirme la profondeur des déchirures et la facilité avec laquelle les réflexes épidermiques, égocentriques ou communautaristes supplantent la réflexion stratégique, l’habileté tactique ou tout simplement le sens de la mesure.
Il est vrai que la présidence de la République, maitre d’œuvre de la structure, avait consulté mais guère communiqué sur le sujet pendant une dizaine de jours jusqu’à un court passage du discours de Dioncounda Traoré à l’ouverture, la semaine dernière, de la réunion du « groupe international de soutien et de suivi sur la crise au Mali ». Réagissant certainement aux remarques parfois acerbes sur la qualité ou la représentativité des membres de la commission qu’il a nommés, le président de la République par intérim a garanti que ceux-ci « ont été choisis sur la base de critères rigoureux pour que les différentes sensibilités y soient représentées ou s’y reconnaissent ».
Le mot « sensibilité » a été sciemment utilisé pour couper court à nombre de revendications « personnalisées » en sachant néanmoins que l’unanimité est impossible à réaliser dans ce genre d’exercice. Ce ne sont donc pas les critiques vis-à-vis de la commission qui ont surpris – elles étaient inévitables – mais la tonalité de certains arguments développés. Ceux-ci ont, à l’occasion, flirté de trop près avec la complotite aigue, le procès d’intention, la posture victimaire et les offres directes de service.
Le Collectif des ressortissants du nord (COREN), l’Association pour la consolidation de la paix, le développement, la promotion et la protection des droits humains (TEMEDT), Tabital Pulaaku, l’Alliance Zasya Lasaltaray (la plate-forme des sédentaires du nord) qui sont montés au créneau après l’officialisation de la composition du CDR, ont affiché une grande nervosité et parfois de la précipitation. La vivacité de leurs réactions n’avait cependant rien d’étonnant. Les membres de ces regroupements (ressortissants et sédentaires du nord, Tamacheks noirs et Peuls) ont, de longue date, le sentiment d’être les éternels oubliés des différents accords de paix passés et parfois même la certitude que cette paix se faisait carrément sur leur dos. L’occupation du nord et les exactions autant des irrédentistes du MNLA que des jihadistes du Mujao et d’Ançardine, ont gonflé la masse de frustrations au delà d’une limite critique.
Cette méfiance accumulée qui ne demandait qu’à se déverser, s’est abattue d’autant plus facilement sur la Commission Dialogue et Réconciliation qu’aucune communication officielle n’avait éclairé sur les critères précis du choix de ses membres et, surtout, que le mot « justice » ne figure ni dans la dénomination, ni dans la mission (autant qu’on en sache) de la structure. Instinctivement, Coren, Temedt, Tabital Pulaaku et Zasya Lasaltaray se sont raidis lorsqu’ils ne se sont pas franchement braqués.
Personne n’aurait pu leur en faire le reproche si ce raidissement et même les mises en garde qui en découlaient logiquement, avaient été « positivés » par une juste appréciation du rôle de la commission et de l’aide attendue de chacun pour sa réussite. Pour mieux accabler la commission, ses critiques l’ont, en effet, surestimée et, du même coup, occulté l’immense travail attendu d’abord d’eux-mêmes, les représentants des communautés, épaulés par les institutions, les élus, l’administration, la chefferie traditionnelle, la société civile, les religieux, les ONG, les journalistes, les associations citoyennes et de quartiers, les militaires maliens et étrangers. Dans la mobilisation à opérer, la commission fait figure, au niveau institutionnel, de facilitateur, catalyseur, coordinateur, boite à idées. Sans lui faire injure, sa capacité à peser sur le terrain sera nulle si tous ceux cités plus haut ne lui prêtent pas leurs relais, leurs réseaux, leurs fonctionnaires, leurs militants, leurs mandants, etc.
Ce qui est paradoxal est que les associations si critiques envers la CDR, savent si bien tout cela qu’elles travaillent déjà à restaurer le dialogue et la réconciliation là où leur influence s’exerce. Au ras du terrain mais aussi à des étages élevés qu’envieraient le gouvernement et la commission comme le Forum national sur la gestion de la crise du nord que le Coren convoque demain.
Alors quoi, tout ce tapage ne serait qu’un gros coup de semonce en direction, en réalité, du gouvernement pour lui rappeler d’associer toutes les communautés au processus et pour souligner que la justice doit obligatoirement passer pour solder le passé et orienter l’avenir ? Si ce n’était que cela, il n’y aurait pas de quoi s’émouvoir. Mais une lecture attentive des déclarations des uns et des autres, dévoile aussi la silhouette d’un syndrome qui affecte la société civile dans notre pays. Celle-ci se sent facilement gênée aux entournures dans son costume de sentinelle et de contre-pouvoir. Elle s’y juge à l’étroit et aspire à peser sur les événements, non pas indirectement en usant de son influence, mais directement en exerçant le pouvoir, en accédant aux manettes de l’exécutif. Elle sort alors de son rôle, perd sa qualité et son crédit. En s’égarant, elle affaiblit, dans le cas d’espèce, le processus de dialogue et de réconciliation qui ne peut se passer de son autonomie de jugement et de son ressort.