Reconnu pour son franc-parler et son attachement aux valeurs de justice et d’égalité, le magistrat ne fait pas dans la dentelle, lorsqu’il s’agit de parler de l’après-guerre. Pour Alfousseni Diop, « la réconciliation ne veut pas dire impunité sur les actes de banditisme perpétrés dans plusieurs localités ». Le retour de la justice dans les localités sous occupation, les dégâts causés par les juridictions dus au passage des groupes armés, le désengorgement des prisons, les préalables à toute réconciliation, etc. le procureur général près la Cour d’appel de Mopti s’est prêté à nos questions. Florilèges.
Alfousseni Diop est un homme à l’aise dans sa matière. Lorsqu’il s’agit de parler du droit, le magistrat le fait avec passion. En ce jeudi 25 avril, lorsqu’il nous reçoit dans son bureau, le procureur général près la Cour d’appel de Mopti se veut explicite sur la situation des prisonniers présumés jihadistes transités par Mopti pour les juridictions de Bamako dans le cadre de la guerre au Nord.
Aujourd’hui, ils sont estimés à plus de 300 personnes faisant l’objet d’instruction de la part de la justice malienne. Leurs dossiers, précise-t-il, est confié au Tribunal de première instance de la Commune III.
Mopti est une région durement frappée par la crise du Nord, avec notamment l’occupation des cercles de Douentza, Ténenkou et Youwarou. Aujourd’hui, la justice peine à faire son retour dans ses localités. Tout comme les autres secteurs de l’administration publique, celle-ci a subi d’importants dégâts matériels dus au saccage des bâtiments par les groupes armés.
« Dans ces localités, il n’y a pas le minimum de structures d’accueil », regrette le procureur général, pour qui, le calendrier du retour effectif de l’administration n’est pas un acquis au niveau de la justice.
Sur les présumées exactions « commises par l’armée malienne », selon certains rapports de défenseurs des droits de l’Homme, le magistrat est formel : « Nous n’avons a été officiellement saisis d’aucune plainte par rapport à des exactions ». Cependant, prévient-il, la justice va sévir lorsqu’il s’agira de cas avérés.
« Nous n’allons pas tergiverser sur cette question, car le Mali a signé et ratifié des conventions qu’il se doit de respecter. Mais faudrait-il préciser que pour l’instant, il ne s’agit que de rumeurs », explique le magistrat, qui a adressé une correspondance à la gendarmerie pour des enquêtes préliminaires.
L’homme de droit se veut donc exigeant sur le respect des instruments juridiques qui assurent l’équilibre de toute société.
Au niveau de la justice malienne, un vaste chantier vient d’être initié par le ministre : il concerne le désengorgement des prisons en rendant la justice pour les présumés coupables de faits. « Une chose est d’être accusé, une autre est d’être fixé sur son sort », enseigne le magistrat.
Seulement voilà. A Mopti, comme dans les autres localités du Nord, le défi se heurte à de nombreux obstacles du fait de la destruction des biens des juridictions par les groupes armés. « Il ne peut y avoir d’assises à Mopti, et des jugements traînent. Dans plusieurs localités, des dossiers entiers ont disparu. Il faut donc reconstituer la mémoire de ces juridictions pour évacuer certains jugements », constate Alfousseni Diop.
Mettre fin à l’impunité !
Dans d’autres pays, qui ont connu aussi la guerre comme nous, ils ont mis en place une « Commission vérité, justice, dialogue/réconciliation ». Le Mali a choisi une « Commission dialogue et réconciliation ». Faudrait-il comprendre qu’il n’y aura pas justice, et la vérité ne sera pas dite ? Le jeu de mot est là et chacun l’interprète en sa façon.
Mais le procureur général près la Cour d’appel de Mopti se veut intraitable sur le processus de cette réconciliation. Et il prévient : « Il ne faudrait pas que cette Commission dialogue et réconciliation aille vite en besogne. Car, la réconciliation doit se faire sur la base d’un certain nombre de principes, inviolables. Il faut obligatoirement situer les responsabilités après cette guerre », déclare le magistrat, pour qui la réconciliation passe obligatoirement par cela.
Habitué aux rebellions, pour avoir a été procureur de Gao entre 1991 et 1994, Alfousseni Diop est pointu sur l’interprétation à donner à l’action des groupes armés contre le Mali. « Il y a eu de la légèreté dans la gestion de cette rébellion. Et le Mali rentre ainsi dans une nouvelle phase de son histoire. C’est une chance qu’il faut saisir. La guerre au nord n’est pas contre une ethnie. Les gens doivent cesser de faire cet amalgame », assène-t-il. « Il faut donc arrêter ce cycle de l’impunité qui nous pourrit la vie », ajoute le magistrat, qui s’appuie sur les principes de justice et d’égalité de tous les citoyens devant la loi.
« Il faut croire en la raison humaine, et l’heure est à la justice ! », dit le procureur général près la Cour d’appel de Mopti.
Les bandits sont donc avertis. Au travail la justice !
Issa Fakaba Sissoko
Depuis Mopti