Imagine-t-on un seul instant, le Président de la République IBK très probablement candidat à sa propre succession, jouer aux « arbitres » en dehors de la Constitution et des lois de la République en pleine bataille électorale sous le fallacieux prétexte d’une insécurité qui règnerait sur certaines parties du territoire national ? C’est bien pourtant à cela que se ramène la proposition de « recourir à l’article 50 de la Constitution pour prévenir et décider que la présidentielle se tiendra uniquement dans les zones sous le contrôle de l’Etat central » dont il a été question lors de la conférence-débat organisée le 30 décembre 2017 par la Coordination Malienne des Organisations Démocratiques (COMODE) dans le cadre de la commémoration du 27ème anniversaire de la marche unitaire du mouvement démocratique. En d’autres termes, il a été prôné au cours de cette conférence-débat, de permettre au Président IBK d’exercer des pouvoirs dictatoriaux en pleine période de consultation électorale alors qu’il serait lui-même partie prenante auxdits scrutins !
Il est vrai que la conférence-débat de la COMODE a été comme d’habitude, d’une teneur intellectuelle irréprochable tant au niveau de la pertinence du diagnostic de la situation du pays que des propositions de solution à même de conjurer les périls qui menacent la nation dans son existence même. On doit toutefois se garder de croire que face à la crise sécuritaire qui se généralise dans le pays, le Président de la République, comme une baguette magique, pourrait sortir de son chapeau une disposition constitutionnelle comme celle de l’article 50 pour pallier ses carences inqualifiables de gouvernance du pays. Ce serait tellement facile, surtout pour un régime qui, tout au long de son lamentable mandat, n’aura guère brillé que par sa propension à dilapider les ressources publiques, son incompétence notoire voire son insouciance face aux défis du pays
Pour en arriver à une telle proposition, il faudrait franchement avoir une lecture biaisée de l’article 50 de la Constitution totalement inapplicable en la matière. Jamais au grand jamais, l’article 50 de la Constitution ne peut servir de bouée de sauvetage à un régime connu des Maliens pour ses incantations stériles et ses verbiages creux et qui s’est profondément endormi quatre années durant sans jamais s’occuper des vrais problèmes de la nation y compris la recherche et la mise en œuvre de conditions idoines d’organisation des élections de 2018 dont toutes les échéances étaient connues depuis septembre 2013.
L’article 50 est ainsi libellé : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation du Premier ministre, des Présidents de l’Assemblée nationale et du Haut Conseil des Collectivités ainsi que de la Cour Constitutionnelle. Il en informe la Nation par un message. L’application de ces pouvoirs exceptionnels par le Président de la République ne doit en aucun cas compromettre la souveraineté nationale ni l’intégrité territoriale. Les pouvoirs exceptionnels doivent viser à assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement dans les brefs délais du fonctionnement régulier des institutions conformément à la Constitution. L’Assemblée nationale se réunit de plein droit et ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels ».
A titre de rappel, cet article 50 n’est que la copie édulcorée du controversé article 16 de la Constitution française de 1958 appliqué une seule fois en 1961 à la suite du putsch des généraux d’Alger. Au vu de cette expérience française de mise en œuvre de l’article 16 et des dispositions pertinentes de l’article 50 de notre Constitution, la proposition consistant à permettre au Président IBK de recourir à celui-ci pour décider que la présidentielle de 2018 se tiendra uniquement dans les zones sous le contrôle de l’Etat central, relève purement et simplement d’une interprétation laxiste inacceptable. D’une part, aucune des deux conditions posées par l’article 50 n’est réunie pour rendre son déclenchement conforme à la Constitution. D’autre part, le régime juridique consécutif à une mise en œuvre de l’article 50 ne peut se résumer au simple fait pour le Président IBK de décréter que la présidentielle de 2018 à laquelle lui-même est candidat, va se tenir uniquement dans les zones sous le contrôle de l’Etat central.
Les deux conditions de l’article 50 ne sont pas réunies
A l’évidence, l’article 50 de la Constitution n’a pas pour objectif de couvrir les carences de gouvernance d’un régime politique aux abois comme celui du Président IBK. En effet, deux conditions de fond sont indispensables à son déclenchement par le Président de la République et qui illustrent parfaitement son caractère tout à fait exceptionnel. Il est à préciser qu’il s’agit là, non pas de conditions alternatives, mais plutôt de deux conditions cumulatives, c’est-à-dire de leur réunion simultanée.
Il faut d’abord une menace grave et immédiate sur les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire national, l’exécution des engagements internationaux du Mali. Si cette première condition peut être d’une subjectivité accordant quelques marges d‘appréciation au Président de la République, il n’empêche qu’il ne peut s’agir de n’importe quelle menace. Ladite menace doit être grave et immédiate comme le dit la Constitution. Il faut aussi une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. Cela signifie que le pays doit être dans une situation telle que les pouvoirs publics constitutionnels ne soient pas en état de fonctionner régulièrement. Bien évidemment, il faut naturellement comprendre par « pouvoirs publics constitutionnels », les pouvoirs publics organisés par la Constitution : à savoir essentiellement la Présidence de la République, le gouvernement et l’Assemblée nationale.
Il va de soi que sont évidemment exclus d’office de cette liste, les pouvoirs publics locaux ou administratifs comme les représentants (Gouverneurs, Préfets et Sous-Préfets) et services déconcentrés de l’Etat, ainsi que les administrations des collectivités territoriales. L’article 50 de la Constitution ne visant que les pouvoirs publics constitutionnels, on ne saurait dès lors tirer prétexte de l’absence d’administration d’Etat ou de collectivités territoriales dans des zones du pays pour y recourir.
C’est seulement lorsque ces deux conditions sont réunies que le Président de la République est fondé à recourir à l’article 50 en prenant les mesures exceptionnelles exigées par ces circonstances après consultation du Premier ministre, des Présidents de l’Assemblée nationale, du Haut Conseil des Collectivités et de la Cour Constitutionnelle, lesdites mesures ne pouvant en aucun cas compromettre la souveraineté nationale ni l’intégrité territoriale, et devant viser à assurer la continuité de l’Etat et le rétablissement dans les brefs délais du fonctionnement régulier des institutions conformément à la Constitution.
Dans ce cadre, comment le Président va -t-il pouvoir justifier à la fois ces deux occurrences, d’autant plus que de manière évidente, la seconde conditionnalité, plus précise et plus concrète, exclut expressément la situation d’insécurité au nord et au centre du pays qui ne se traduit guère dans les faits par une quelconque interruption du fonctionnement régulier des institutions. Qui va nous justifier que les pouvoirs public constitutionnels sont actuellement interrompus dans leur fonctionnement du fait de l’insécurité qui sévit au nord et dans le centre du pays ?
Le régime juridique de l’article 50 est inconcevable dans le contexte électoral de 2018
Non seulement les conditions de mise en œuvre de l’article 50 sont inexistantes, mais en plus, même si par extraordinaire cela était le cas, le Président de la République ne pourrait en tout état de cause y recourir simplement pour soi-disant « prévenir et décider que la présidentielle se tiendra uniquement dans les zones sous le contrôle de l’Etat central ».
En réalité, l’article 50 implique tout un régime juridique de gestion de l’Etat qui ne peut se réduire au simple fait pour le Président de la République de décréter que la présidentielle de 2018 va se tenir uniquement dans les zones sous le contrôle de l’Etat central.
Il faut savoir que le seul déclenchement de l’article 50 suffit à créer tout un régime juridique consacrant la mise en parenthèse de l’Etat de droit normalement prévu par la Constitution et permet par voie de conséquence au Président de la République d’y déroger. Il prend les « mesures » sans se soucier si elles respectent la Constitution ou la loi. Autant dire que la mise en œuvre de l’article 50 va se traduire automatiquement par la suspension de la Constitution et l’exercice par le Président de la République des pleins pouvoirs avec tout ce que cela peut entraîner comme conséquences en termes de plénitude des pouvoirs législatif et exécutif. Le Président de la République va concentrer entre ses mains la totalité des pouvoirs l’autorisant ainsi à décider seul dans des domaines qui, en période normale, exigeraient l’intervention de l’Assemblée nationale et/ou du gouvernement.
Quel type de scrutin présidentiel espère-ton offrir à la démocratie malienne sous un tel régime juridique exclusivement mis en œuvre par un Président de la République candidat à sa propre succession ?
« L’exception d’insécurité » irrecevable, car IBK ne peut se prévaloir de sa propre turpitude
En vérité, le Président de la République et son gouvernement endossent totalement la responsabilité d’avoir laissé pourrir sans jamais s’en préoccuper véritablement, une situation d’insécurité dans laquelle chacun voyait le pays se plonger depuis 2013. Le fait de n’avoir, quasiment cinq (5) années durant, engagé aucune véritable action d’envergure d’endiguement de cette insécurité ne témoignait-il pas d’une volonté délibérée du Président IBK et de son clan familial de paralyser et d’hypothéquer le processus électoral de 2018 ?
En tout état de cause, ce fort soupçon n’est pas sans rejoindre la pertinente analyse publiée le 8 janvier dernier par la Fondation Hirondelle, de l’Universitaire Didier Niewiadowski, intitulée « L’exception d’insécurité, nouvel avatar des processus électoraux en Afrique ».
L’auteur y démontre, par allusion aux concepts juridiques d’exception d’inconstitutionnalité ou d’exception d’illégalité, qu’« en invoquant l’incapacité pour l’Etat de garantir la bonne tenue de l’élection en raison de l’insécurité, un chef de l’Etat peut être tenté de ne pas appliquer le chronogramme électoral, sans pour autant annuler purement et simplement le scrutin. On appellera cet argument, qui peut être fallacieux, l’exception d’insécurité ».
On peut s’interroger si le clan du Président IBK, comme il l‘avait tenté dans son projet de tripatouillage de notre Constitution, n’a pas l’intention d’user de cette « exception d’insécurité » pour se fabriquer un second mandat. Car, comme le souligne l’Universitaire Didier Niewiadowski, « cette instrumentalisation apparaît moins risquée qu’une manipulation constitutionnelle ou une élection entachée d’irrégularités manifestes et attentatoires à la démocratie. Le report d’une élection présidentielle pour exception d’insécurité a toutes les chances d’être mieux accepté par la communauté internationale car les motifs peuvent apparaître davantage objectifs que subjectifs ».
Il ne saurait être question, sous aucun prétexte, que le Président IBK puisse recourir à l’article 50 de la Constitution du 25 février 1992.
Le recours à l’article 50 expose IBK à de la haute trahison
Tout recours à l’article 50 serait de nature à exposer le Président de la République à une violation de la Constitution assimilable à un acte de haute trahison. Le Président IBK qui s’était permis, dans des conditions de fond et de forme totalement inconstitutionnelles, d’attaquer injustement le Président ATT sur la base de cette disposition, sait très bien de quoi il s’agit !
Certes le défi sécuritaire demeure entier, comme attesté une fois de plus par le dernier Rapport trimestriel du Secrétaire Général de l’ONU sur le Mali où l’on peut lire : « En raison de l’insécurité, le nombre de fonctionnaires redéployés dans les régions du nord et du centre a diminué de 6 % au cours de la période considérée. Au 15 décembre, seulement 28 % des agents de l’État étaient à leur poste dans les régions septentrionales et dans la Région de Mopti, cette dernière étant la plus touchée par la baisse ».
Mais comme nous l’avons également souligné, le Président IBK et son gouvernement assument l’entière responsabilité de cette situation qu’ils ont laissée pourrir on ne sait à quelle fin, alors même qu’ils disposaient de moyens juridiques constitutionnels différents de l’article 50 pour répondre à la crise sécuritaire.
Car, sans même aller jusqu’à s’en prendre inconstitutionnellement à l’article 50, la Constitution leur offre à l’article 49, d’autres outils juridiques plus adaptés comme l’état de siège qui permet de transférer les pouvoirs de l’autorité civile à l’autorité militaire et surtout l’état d’urgence dont ils ont si abusé et continuent de le faire inutilement contre de piètres résultats sécuritaires et qui permet notamment le transfert de pouvoirs de police de l’autorité civile à l’autorité militaire, la création de juridictions militaires et l’extension des pouvoirs de police.
Tout recours abusif à l’article 50 de la part du Président de la République alors que les conditions de son application ne sont manifestement pas réunies comme dans le cas d’espèce, ne pourrait que s’assimiler à acte de violation de la constitution assimilable à de la haute trahison au sens de son article 95.
Par ailleurs, si jamais le président IBK s’amusait à recourir à l’article 50 dans le cadre des élections de 2018, il s’exposerait à l’article 121 de la Constitution dans toute sa rigueur et qui dispose clairement : « Le fondement de tout pouvoir en République du Mali réside dans la Constitution. La forme républicaine de l’Etat ne peut être remise en cause. Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat… ».