Le Mali s’apprête à accueillir 12.600 hommes, dans le cadre de la mission intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), auxquels il faudra ajouter l’importante administration onusienne qui sera chargée de la gérer. Le Mali à venir sera donc un pays autre que celui que nous avons connu. Il faudra nous y préparer et prendre ce que nous pourrions de précautions et de mesures préventives.
Nul doute que cette présence massive va défigurer le pays, en général et le Nord, tout particulièrement, pendant les prochaines années. Pour le meilleur – loin d’être acquis -mais aussi pour le pire. Ce dispositif, avec ses moyens en dollars (de l’administration onusienne, des besoins en approvisionnement et en provisions des militaires, de la solde des militaires), aura certainement une incidence inflationniste majeure : sur le coût de l’immobilier, sur le coût de la vie dans certaines parties du pays, le nord notamment. Les incidences de cette situation vont sans doute bouleverser le mode de vie, les rapports sociaux, et même, les mœurs dans le pays. En la matière, il faut à peine oser imaginer les conséquences de l’arrivée récente de 500 célibataires burkinabé dans la petite ville de Tombouctou, qui sort d’une situation d’occupation et de casse généralisée, laissant les populations complètement démunies et désemparées…à la merci de la moindre tentation.
La Minusma est un masque de fer. L’ONU ne s’y prendrai pas autrement, que par le schéma qui a conduit à la résolution 2100, si elle voulait réaffirmer que le Mali est un Etat en faillite qui mérité qu’on prenne soin de lui pour des raisons évidemment géostratégiques. Il y eu deux actes. D’abord, un rapport au ton sans équivoque du Secrétaire Général des Nations Unies, du 29 décembre 2012, analysant les origines de la crise profonde que traverse le Mali, entre faiblesse des institutions, inefficacité de la gouvernance et « impression bien ancrée qu’ont les populations du nord d’être négligées, marginalisées et traitées de façon injuste par le gouvernement central ». Ces problèmes, poursuit le rapport, sont imputables, d’une part, aux faits de corruption, de népotisme et d’abus de pouvoir des présidences d’Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré et le détournement, par quelques officiers supérieurs corrompus, à la solde des deux anciens chefs d’Etat, des ressources de l’armée nationale. ». Il y eu ensuite la résolution 2100.
Si le Gouvernement de transition avait été associée à la rédaction de la résolution 2100, celle-ci aurait clairement énoncé la reprise de Kidal et sa pacification, dans la suite logique de Konna, Tombouctou et Gao. La sortie indignée de la Présidente sud-africaine de la commission de l’Union africaine ne disait pas autre chose. Mais hélas, le Mali a montré tellement de preuves de mal gouvernance, congénitalement assumée par le Gouvernement de transition, que les comptes du pays présentent un solde, payable de son sang et de sa chair pendant longtemps. L’injonction paternaliste des autorités françaises à l’organisation des élections en juillet est un premier acompte. L’arrivée de la mission de maintien de paix des nations unies, pour un mandat peu ou pas clarifié, en est le second.
Les forces de maintien de la paix des nations unies ont leur histoire. Elle est rarement glorieuse parce que jamais l’ONU n’est parvenue à réconcilier les aspects théoriques de son mandat avec les nécessités opérationnelles qui y sont liées. Les responsables de l’ONU ne s’en offusquent pas parce que la question n’est pas ce que l’ONU aurait pu faire, mais ce qu’il serait advenu si l’ONU n’avait pas été là. Rien, dans le cas du Mali. Aussi, l’arrivée des soldats de la paix n’est-elle jamais exempte de faits divers tragiques.
Le 10 octobre 2011, au siège des Nations unies, à Genève, était projeté « The Wistleblower ». Le film raconte l’histoire de Kathryn Bolkovac, une américaine, employée de la MINUK au Kosovo, qui dénonçait des cas d’esclavage sexuel tolérés par les Nations Unies en Bosnie. La projection du film ainsi que le débat qui suivit fut l’occasion de rappeler les faits scandaleux qui, survenus douze ans plus tard, choquent toujours autant. On y évoqua notamment un rapport précédent d’Amnesty International, « L’ONU au Kosovo: un héritage d’impunité », faisant le point entre autres sur les enquêtes judiciaires concernant les crimes de guerre, les crimes de nature ethnique, et sur les réseaux de prostitution. Amnesty dénonçait également l’impunité dont bénéficient les membres de la MINUK (mission des nations unies au Kosovo), rarement poursuivis. Pour preuve d’une certaine ouverture et d’une volonté de reconnaître les fautes commises par le passé, Ban Ki-moon a autorisé en décembre 2011 la projection du film, suivie d’un débat sur les abus sexuels. Il a déclaré publiquement, à cette occasion, que l’ONU n’a pas « fait ce qui pouvait et aurait dû être fait » à Sarajevo, parlant de « réponse internationale tiède » à des événements effroyables et choquants, advenus sur les théatres d’opération des Nations Unies.
Plus près de nous, les crimes sexuels commis par les soldats des missions des NU au Congo, au Libéria, en Sierra-Léone et au Sud-soudan ont inspiré une tribune indignée de l’écrivain congolais Bolya Baenga. La récurrence et la permanence de cette délinquance sexuelle, faisait-il remarquer, est devenue de masse tant elle est systématique dans toutes les opérations de maintien de la Paix. Il a rappelé que le viol est un crime de guerre et depuis l’arrêt du Tribunal pénal international d’Arusha, le viol des femmes est un crime contre l’Humanité. Il est à constater que sans pour autant être planifiés, les crimes sexuels des casques bleus deviennent si répétitifs qu’ils peuvent devenir massifs. Si, en effet, toutes les opérations de maintien de la Paix se transforment en destruction de vagins, en viols de jolies mômes…
Soucieuses de la réputation de leurs employés, les Nations unies réagissent par la voix de Jean-Marie Guéhenno, secrétaire général adjoint chargé des opérations de maintien de la Paix de l’ONU, le 23 février 2006. Il reconnaissait que les contingents de Casques bleus ne sont qu’un empilement de troupes hétérogènes sans coordination, sans la même éthique militaire, sans la même déontologie de la guerre pour la Paix. Ils sont mal formés, sous-équipés, affamés et sous-payés. Pire, ils sont souvent spoliés par la hiérarchie militaire du pays d’origine dont ils dépendent, même si leurs soldes sont souvent financés par la Communauté Internationale.
Aveux pieux, mais qui annonce toute la crainte du Mali sur le déroulement de la Minusma. Vœux pieux, d’autant que Jean-Marie Guéhenno concède qu’ « il existe un potentiel d’abus » chez les Casques bleus : abus sexuels ou financiers. Si 4.000 soldats français sont entrés et entament déjà leur retrait sans que, jamais, ni de la part des maliens, ni de la part d’organisations de défense des droits de l’homme, il ne leur a été reproché le moindre écart par rapport à leur mission, le moindre fait d’atteinte aux droits humains, c’est qu’ils sont à l’image de leur pays : aguerris, disciplinés, respectueux des droits de l’homme, parce qu’une justice française, forte et implacable, veille. Peut-on dire de même des soldats africains, qui structureront presqu’exclusivement la Minusma. Il ne s’agit pas de les accabler, ils sont les victimes d’une hiérarchie militaire incompétente et corrompue et donc n’ont de militaire que la tenue et l’arme en bandoulière.
Or, nous sommes dans un vieux pays, respectueux de ses us et coutumes. Il n’est pas question de rééditer des Rest and Recreation sites, bordels ouverts en 1950 par la Corée pour permettre aux soldats américains de « décompresser », avec de cyniques précisions contractuelles telles qu’une fille de « réconfort militaire » devrait servir 29 soldats par jour ou que le « contact sexuel » ne devrait pas dépasser 30 mn. Pas question également de préparer des soldats pour apprendre « à bien gérer l’approvisionnement en marchandises inanimées et vivantes – filles de joie dans le code militaire américain – pour le «réconfort» des soldats. L’industrie massive de la prostitution et la traite des êtres humains (pédophilie, homosexualité, travestissement) en cours actuellement en Asie du Sud-Est a pris son essor grâce aux guerres du Viêt-Nam et de Corée.
Nous avions « aimé » les jihadistes. Qu’on ne nous impose pas « d’adorer les casques bleus ». Prenons garde que notre jatiguiya et notre esprit de tolérance risquent d’être mis à épreuve insupportable. Chaque femme du Mali est une sœur, une fille, une mère, libre de disposer de son corps, mais selon un code séculaire. Ce principe ne doit pas nous échapper, car il est une des valeurs qui fédèrent la nation malienne, appelée à prospérer après cette mauvaise passe historique.