Après une longue journée de séquestre à la Police du 1er Arrondissement, Amidou Kéita, journaliste au journal le Témoin en décrit les circonstances. C’était la semaine dernière dans la foulée d’un sit-in du mouvement «Waati Sera». Compte tenu de la bonne collaboration de confrères et de l’implication de hautes autorités pour le faire libérer, nous avons choisi de ne pas trop tirer sur la ficelle. Nous refusons toutefois de nous rendre complices – en se taisant là-dessus – des abus et acharnements par lesquels la Police s’est illustrée aux dépens de notre profession. Nous avons donc choisi de vous laisser en juger par une description de la victime directe.
Pourquoi bafouer ce principe universel sacro-saint qu’est la liberté d’expression ? Pourquoi faire regretter à un citoyen son appartenance à un beau pays comme le Mali parce que tu es trouvé en un moment donné du bon côté de l’histoire ? Dans l’exercice de ma profession, j’ai été arrêté, trimbalé et séquestré à la Police du 1er Arrondissement du District de Bamako. C’était à la faveur d’une marche organisée par un mouvement « ON A TOUT COMPRIS-WAATI SERA » contre la politique ambiguë de la France éternelle au Mali. Une marche dispersée par les forces de l’ordre à coups de gaz lacrymogènes.
Pour avoir vigoureusement protesté, j’ai suis devenu le bouc émissaire d’une policière qui me demandait de dégager du trottoir, au seul motif que la marche n’était pas autorisée. Elle savait pertinemment que je n’étais pas marcheur, mais il y avait assurément un antécédent pour que trois autres de ses lui viennent en aide pour s’acharner contre ma seule et faible personne. C’est que j’ai eu l’audace de m’intéresser, lors du même événement, à la scène insolite de déshabillage d’un chauffeur de Sotrama vêtu d’uniforme des FAMAs. Madame, votre combat est inutile parce que les mêmes uniformes se vendent comme du petit pain sur le marché, ai-je constaté de bonne foi.
Et, quelques minutes après, quand j’ai voulu rejoindre l’honorable Oumar Mariko pour l’interroger, grande a été la surprise de voir la policière s’y opposer avec acharnement en me barrant l’accès à mon interlocuteur ciblé. Je lui révélé mon identité en ajoutant que ma carte de presse se trouve dans le véhicule. Mais il fallait que je dégage en dépit du fait que mon confrère Mohamed Haidara du journal Indépendant me soit venu au secours en confirmant mon appartenance à la profession. Sentant un air de vengeance dans les intentions de l’agent, je proteste et refuse d’obtempérer en lui signifiant que j’étais là comme elle dans le cadre de mon travail. Et que je ne fais pas partie des manifestants qui ne s’étaient du reste pas encore rassemblés sur les lieux. Perdu perdue : j’ai été l’objet d’un acharnement qui n’aurait rien à envier à la rudesse qu’on aurait utilisé pour maîtriser un élément d’Amadou Koufa. Obéissant à leur chef au doigt et à l’œil, la meute s’est jetée sur moi en mettant hors d’état de résister. J’ai pu éviter la bastonnade mais quelques secondes ont suffi pour transformer ma belle chemise en haillon. J’ai eu à peine le temps de dire au confrère Haidara de continuer la couverture de l’événement et de me retrouver au 1e Arrondissement quand tout serait terminé.
Arrivé au commissariat, en habitué des interrogatoires, j’ai demandé les motifs de mon arrestation en rappelant de nouveau que je suis journaliste au journal «Le Témoin». Je n’ai reçu qu’une réponse avec le ton d’un chef de guerre disposant d’un butin entre les mains : «tu la fermes, tu te déshabilles ou on te bastonne». C’est avec des pincements au cœur que j’ai applaudi la démocratie malienne. Il s’agit de questions parmi tant d’autres je me suis posées quand j’ai été arrêté comme un vulgaire malfrat, on m’a enfermé dans une cellule que je ne souhaite au pire de mes ennemis. Pour la première fois je venais de goûter à la privation de liberté, à la séquestration et à la dépossession de mes outils de travail. Drôle de démocratie !
Pour assurer que je ne suis pas un adepte de je ne sais quel chef terroriste, j’ai dû répondre à pas mal de questions alors je suis plus habitué à en poser qu’à donner des réponses. J’ai pu me libérer du purgatoire du 1er Arrondissement après une déposition dans laquelle j’ai mentionné que dans l’exercice de son métier de tous les jours j’ai été la cible d’agression par la policière (visiblement cheffe de l’opération) et ses bidasses. Ma relaxe est intervenue après deux heures de détention arbitraire, sur intervention de mon Directeur de la publication, du président de la Maison de la presse et d’autres bonnes volontés que je remercie au passage. Je suis également reconnaissant à la société civile ainsi qu’à d’autres organisations nationales et internationales, notamment la cellule des droits de l’homme de la MINUSMA qui suit désormais de très près l’évolution de la situation.
Je m’associe par ailleurs à la douleur de ma consœur Halima Ben Touré également agressées par les forces de l’ordre, une journaliste pour laquelle j’éprouve le plus grand respect pour l’avoir vu couvrir avec courage l’attaque de l’hôtel Radisson Blu. Elle a été également bastonnée au seul motif qu’elle est partout. Par ailleurs, dans cette cellule un des manifestants arrêtés et mon codétenus de circonstance m’a révélé qu’un agent a enlevé ses paires de chaussures en lui murmurant qu’elles sont assez jolies pour ne pas être portées par un voyou de manifestants.
Je profite pour rappeler à qui veut l’attendre que ma plume, hier comme aujourd’hui – et surement demain « est et restera impartiale » pour ne servir que le Mali. Et s’il arrive à ces manifestants de recommencer, je recommencerais avec eux.
Allons-nous revivre au Neandertal au moment où un des nôtres occupe la Primature et que les hautes autorités ne manquent pas d’occasion pour rappeler le rôle si important du journaliste dans la situation actuelle du Mali ? J’en doute fort dans l’attente que l’un ou l’autre me rembourse ma belle chemise et me dédommage de tous les préjudices moraux et physiques infligés au cours de cette mésaventure…
Vive la liberté d’expression au Mali