Au début de la crise économique, politique et sécuritaire qu’a connue le Mali en 2012, toutes les revendications tournaient autour de la volonté des mouvements rebelles à créer un nouvel Etat dénommé « AZAWAD ». Six (6) ans plus tard, les réalités criardes du terrain nous obligent à un devoir de mémoire pour évoquer le désastre humain causé par ce conflit multidimensionnel.
Après la chute du régime libyen, conduit par le Colonel Mouammar Kadhafi, ses légionnaires (touaregs) d’origine malienne et complices se sont afflués vers le Mali pour y trouver refuge avant d’engager le pays dans une crise sans précédent.
En janvier 2012, Maliens et Maliennes ont été surpris des premières attaques rebelles contre les forces de l’ordre. Ces hostilités ont vu naître plusieurs groupes armés dont les plus redoutables étaient indépendantistes et/ou terroristes, il s’agit notamment du « Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA), revendiquant l’autodétermination et l’indépendance de « l’Azawad » ; Ansar Eddine, créé par Iyad Ag Ghali, qui luttait pour l’application de la charia sur toute l’étendue du Mali ; le Front National de Libération de l’Azawad (FNLA); le Mouvement de Libération de l’Azawad (MLA) ; Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) et le Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), regroupant des combattants de plusieurs nationalités et prêchant le fondamentalisme islamique. »
Sous la houlette du « MNLA », la guerre dite « d’indépendance de l’Azawad » a entraîné de violents affrontements dans la partie septentrionale du Mali et engendré de vives tensions sociales à travers le pays.
L’enchevêtrement de ces épisodes tragiques créera une crise institutionnelle, qui affaiblira pour toujours les autorités politiques.
Le Mali, pays stratégiquement situé au cœur du Sahel, s’est empêtré dans un conflit interne à multiples facettes dont les exécutions extrajudiciaires de soldats sur le champ de bataille n’est restée sans conséquences.
Le Président Amadou Toumani Touré, réélu en mai 2007, pour un nouveau quinquennat avec 71,20% des voix, a été renversé par des mutins dirigés par le capitaine Amadou Aya Sanogo en mars 2012.
Quelques jours plus tard, après de violents combats, l’armée malienne abandonne la quasi-totalité de ses positions au Nord du pays entre les mains des ennemis pour se reconstituer au centre du pays.
Profitant du repli tactique de la grande muette, le 6 avril 2012, les rebelles Touregs du MNLA proclament unilatéralement l’indépendance de « l’Azawad », après la « libération totale » de ce qu’ils considéraient alors comme leur territoire.
Quid de la cohabitation des groupes armés au Nord du Mali ?
Pendant l’occupation qui a duré onze (11) mois, les nouveaux maîtres des lieux n’ont pas hésité à appliquer la charia dans plusieurs localités du Nord et, paradoxalement, le MNLA a été réduit aux pillages des populations, négociations et « lobbyings politiques » à travers le monde.
Sous prétexte d’appliquer la charia et rendre justice aux populations du Nord, de mars-avril 2012 à janvier 2013, les organismes internationaux, l’Etat malien affaibli et les observateurs indépendants ont pu déceler plusieurs cas de violations graves des droits humains dans ce conflit armé non-international :
« La destruction de biens publics, de mausolées, les mariages forcés et précoces, les amputations de voleurs présumés, les restrictions de libertés individuelles, les assassinats de présumés espions, les viols, la lapidation à mort de présumés couples non mariés, les flagellations publiques de présumés alcooliques ou fumeurs et l’utilisation des enfants soldats. ».
Le Mali, pays signataire de la quasi-totalité des conventions internationales relatives aux droits des enfants, a été le théâtre des plus graves violations.
Il est nécessaire de préciser que la question des enfants dans cette crise demeure toujours un sujet tabou qui suscite tant d’émoi chez les combattants que chez les parents dont les enfants ont été victimes du conflit des adultes.
Pour apprécier les enjeux de ces incriminations, il importe de cerner avec précision la notion d’enfant-soldat.
Qu’est-ce qu’un enfant-soldat ?
L’utilisation des enfants dans la crise malienne par les groupes armés dont l’immense majorité des combattants sont de nationalité étrangère ; l’incapacité de l’appareil judiciaire national à sanctionner les auteurs de ces crimes constituent un « élément d’extranéité » qui interpelle conjointement l’application du droit national et du droit pénal international.
Le droit humanitaire international désigne par le terme générique d’enfants-soldats tous les « Enfants Associés aux Forces ou Groupes Armés (EAFGA) ».
Selon les principes et meilleures pratiques du Cap (Afrique du Sud) de 1997 , un enfant-soldat est une « personne âgée de moins de dix huit ans enrôlée par une force armée ou un groupe armé régulier ou irrégulier, quelle que soit la fonction qu’elle exerce, notamment mais pas exclusivement celle de cuisinier, porteur, messager, et toute personne accompagnant de tels groupes qui n’est pas un membre de leurs familles. Cette définition englobe les filles recrutées à des fins sexuelles et pour des mariages forcés. Elle ne concerne donc pas uniquement les enfants qui sont armés ou qui ont porté des armes ».
Dans son rapport publié en 2013, l’ONU dénonce la détention d’enfants-soldats par les autorités gouvernementales pour « association présumée avec les groupes armés » et accuse les groupes armés d’avoir recruté des centaines d’enfants pour grossir le rang de leurs combattants.
Au cours des opérations du Mécanisme Opérationnel de Coordination (MOC) à Gao, la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations-Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA) avait identifié quinze (15) enfants mineurs âgés de 14 à 17 ans parmi les combattants des groupes armés avant d’ordonner leur retrait des troupes.
Il ressort des enquêtes menées sur le terrain que les enfants sont le plus souvent drogués par les belligérants et accomplissent inconsciemment des missions de terreur pour le compte de ceux qui sont censés les protéger (les enfants ont été mis en avant lors de l’attaque du Gouvernorat de Kidal).
Après la libération des régions du Nord, nombreux sont ceux qui ont déploré les images de témoignages des enfants (filles) forcées aux mariages (de plaisir) conclus par les combattants avec des mineures non consentantes, ces jeunes enfants sont utilisées comme des esclaves sexuelles (plusieurs cas de mariages forcés à Tombouctou et Gao retenus par les directions locales du Ministère de la promotion de la femme, de l’enfant et de la famille). Notons que « ces filles peuvent facilement attraper des maladies sexuellement transmissibles au-delà des souffrances physiques et psychologiques » .
Dans son dernier rapport, l’ONU indique que les autorités maliennes ont arrêté récemment 141 personnes en lien avec le conflit dont 123 à la suite d’accusations liées au terrorisme, et dont 4 garçons et 2 femmes.
Quelles sont les causes essentielles de l’utilisation des enfants dans le conflit malien ?
Considéré comme la couche la plus défavorisée, faible et influençable, l’enfant pour certaines familles Touareg, Songhay ou Bellah, est l’apport idéal qu’une entité sociale peut donner pour participer à la guerre. Les motivations communautaires poussent des chefs de famille à « offrir » leur enfant aux groupes armés en guise de contribution à l’effort de guerre.
Pour un notable interrogé à Goundam, chaque famille devait donner ce qu’elle pouvait de mieux, de précieux, pour afficher son soutien aux groupes armés et malheureusement, « les enfants sont le plus souvent offerts » en violation de toutes les règles de protection et de préservation de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Dans le rapport Machel de 1996 , la « pauvreté » , la fuite de responsabilité des parents, le manque de moyens de subsistance et la passivité de la population représentent les raisons fondamentales qui favorisent l’utilisation des enfants par les combattants et terroristes qui, facilement, peuvent leur vendre de fausses promesses.
Il est à noter qu’un nombre suffisant d’enfants issus des trois principales villes du nord et environnants sont enrôlés de force par certains groupes armés ou ont tout simplement été vendus par ceux devant assurer leur sécurité ou leur instruction, notamment les maîtres coraniques parfois au nom d’une conviction religieuse ou pour des raisons socioéconomiques.
« L’argent de la guerre et le piège des enfants »
Selon un notable de la région de Tombouctou, « l’appât du gain facile et le vampirisme de la CMA ont pris le dessus sur la défense des intérêts nobles et légitimes de la population civile innocente des régions Nord du Mali, les enfants sont pris au piège d’un conflit dont ils ignorent les sources motrices. ».
Il s’est avéré que les groupes armés tirent énormément bénéfice dans ce conflit et beaucoup d’entre eux se sont enrichis en un laps temps, les butins de guerre sont colossaux.
« Le trafic humain à travers de réseaux mafieux de passeurs clandestins conduisant dans les pays frontaliers pour les jeunes qui veulent migrer vers l’Europe, le trafic de drogue, la cocaïne » ; le détournement des vivres octroyés par les organismes internationaux, le racket des passagers aux check-points, la libre-circulation des groupes armés dans la région de Kidal et environnants sont les mobiles des groupes armés.
Ces modes d’enrichissement illicite sont devenus, de nos jours, la première préoccupation des combattants indépendantistes de 2012, ce qui peut justifier l’acharnement contre la présence de l’Etat dans certaines localités du Nord.
Qu’en est-il de l’intervention de l’État malien ?
Les enfants-soldats sont d’abord des victimes, même s’ils sont parfois « engagés volontaires », c’est pourquoi, il faut convenir avec l’Archevêque et Nobel de la Paix Sud-Africain, Desmond TUTU qu’« on ne doit pas fermer les yeux sur le fait que les enfants-soldats sont des victimes et des bourreaux. Ils sont parfois les auteurs d’actes violents, les plus barbares. Mais peu importent les crimes dont les enfants sont accusés, la responsabilité première repose sur nous, les adultes. Il n’y a simplement aucune excuse, aucun argument acceptable pour armer les enfants. »
L’État malien intervient principalement dans la protection de l’enfant à travers les activités de sensibilisation des populations rurales sur l’enrôlement ; la réintégration scolaire de ceux qui ont abandonné les études ; l’identification des familles pour permettre leur retour et le traitement psychologique.
Ces opérations sont soutenues financièrement et techniquement par les organismes humanitaires internationaux tels que la Mission de l’Onu au Mali (Minusma), l’UNICEF, l’INTERSOS, le CICR, Save the Children, HCR et le PAM.
Ceci étant, lorsqu’un enfant est capturé ou identifié dans un groupe par les partenaires de l’État ou les forces armées maliennes, il doit être remis à la gendarmerie la plus proche dans les 48 heures qui suivent. Il est ensuite transféré à la Direction Nationale de la Promotion de l’Enfant et de la Famille (DNPEF) pour une prise en charge.
Avec l’appui de ses partenaires (UNICEF, INTERSOS et le CICR), la DNPEF place l’enfant dans un des ses centres à Bamako ou à l’intérieur du pays pour permettre aux agents sociaux d’effectuer les formalités y afférentes.
Cependant, les innombrables concertations, suivies des assises régionales et les négociations d’Alger ont abouti à la signature d’un accord de paix et de réconciliation au Mali issu du processus d’Alger en juin 2015. Fort heureusement, tous les Mouvements signataires de cet accord ont reconnu d’office le « respect de l’unité nationale, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Etat du Mali, ainsi que de sa forme républicaine et son caractère laïc. » (Chapitre 1 : Principes et Engagements des parties, article 1er). Gage de paix, depuis son adoption, les efforts consentis par les parties prenantes témoignent d’une avancée notoire dans la mise en œuvre dudit accord malgré des réserves de part et d’autre.
Par ailleurs, la situation précaire de l’enfant exige de l’Etat, une prise en compte de ses droits élémentaires à savoir : l’éducation, la santé, la réinsertion sociale et un bon accompagnement.
Malgré la complexité de la crise, le retour de l’administration sur toute l’étendue du territoire doit être une priorité nationale pour l’intégration de l’enfant et la promotion d’activités génératrices de revenus dans les villes touchées.
L’Etat doit renforcer les capacités de la commission justice vérité réconciliation afin de soulager les victimes et créer les conditions nécessaires pour le retour définitif de la paix et la réconciliation entre tous les fils du pays.
Considérant les causes communautaires, les velléités indépendantistes, les promesses d’argent et l’enfumage des maitres coraniques, qu’ils soient volontaires ou piégés, « Les enfants recrutés par les groupes armés sont des victimes de la barbarie des adultes et tout acte qu’ils ont été poussés à faire, engage celui qui les commandait à ce moment précis en application de l’article 28 du Code Pénal concernant « l’emprise d’une contrainte irrésistible» .
Karim Agaly CISSE
Doctorant en Droit Privé et Sciences Criminelles
Laboratoire : Forces du droit
Université Paris 8