Un manque de confiance généralisé entre les acteurs ; mais, également la rente que représente l’Accord pour la paix et la réconciliation, et un réveil tardif des femmes, plongent naturellement le processus de cantonnement, intégration et désarmement, démobilisation, et réinsertion (DDR) dans une impasse. Les Parties signataires en assument l’entière responsabilité.
Le premier paragraphe de l’Annexe de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, issu du processus d’Alger stipule : ‘’En attendant la mise en place des mesures prévues dans le présent Accord, les mesures intérimaires, ci-après, sont convenues. Elles doivent être mises en œuvre durant une période intérimaire qui prend effet immédiatement après la signature de l’Accord global et définitif de paix, et devant s’étaler sur une durée allant de dix huit à vingt et quatre mois’’.
Les acquis
À cette date, on peut citer comme acquis : la finalisation de l’identification et de la validation des sites de cantonnement/regroupement et démobilisation des combattants ; la mise à jour du mode opératoire du 18 février 2014 pour le cantonnement ; la soumission par les Mouvements armés à la CTS d’une liste définitive certifiée de leurs combattants et leurs armements sur la base des principes définis dans le mode opératoire du 18 février mis à jour ; la mise en place d’une Commission d’intégration ; l’établissement des critères, des quotas et des modalités d’intégration des combattants dans les corps constitués de l’État, y compris au sein des Forces armées et de sécurité et de l’harmonisation des grades ; la mise en place d’une Commission nationale pour le DDR.
Mais jusqu’à preuve du contraire, personne n’est cantonné, encore moins qu’on puisse parler d’intégration. Pourtant, l’Accord stipule :’’(…) le Gouvernement prendra les mesures appropriées leur intégration qui n’excédera pas 6 mois suivant la signature de l’Accord sous la supervision de la Commission d’intégration et du Conseil national pour la RSS (…)’’.
Le manque de confiance
Pourquoi tant de retard ? La première explication qui saute aux yeux est un manque de confiance criard entre les acteurs de la mise en œuvre de l’Accord. La Plateforme et la CMA continuent à se regarder en chien de faïence, nonobstant l’Accord d’Anéfis, l’Entente de Niamey, des alliances de circonstance contre le Gouvernement… Ce qui pose la question des armes lourdes qui semblait pourtant réglée, la MINUSMA ayant carte blanche pour les saisir. La dénonciation unilatérale par la Plateforme qui révèle que seules les siennes ont été saisies, un constat qui ébranle sérieusement cet accord. Du coup, chaque partie s’arc-boute sur lesdites armes. Conséquence ? À tout moment, les affrontements peuvent reprendre, plongeant davantage dans l’impasse le processus de cantonnement et de DDR.
Envers le Gouvernement, ce n’est pas non plus la plus grande confiance. À l’issue de la 23e session du Comité de suivi de l’Accord (CSA), Ahmed BOUTACHE, président dudit Comité, expliquait : « Dès que l’on passera à l’opération de contournement, on passera en même temps à l’opération de désarmement, et donc plus personne, hormis l’État, ne sera plus propriétaire, détenteur d’équipement militaire ». C’est bien dit, mais les Mouvements armés l’entendent autrement. En effet, il est évident que pour eux, les armes lourdes d’une grande capacité de nuisance représentent un moyen de pression efficace pour peser dans le débat. En fait, un moyen de pression sur le Gouvernement pour obtenir l’intégration dans l’Armée ou dans d’autres corps de métier. Or, il s’avère que dans le cadre dispositif adopté, la remise des armes lourdes est un préalable.
La vache laitière
Outre la question des armes lourdes, il faut avoir le courage de le dire, l’Accord pour la paix et la réconciliation est en passe de devenir une vache laitière pour toutes les Parties signataires.
Nonobstant ses professions de foi en la paix et en la réconciliation, on a la nette impression que le Gouvernement temporise et vise les élections tout en essayant de gratter le maximum des bailleresses de fonds sous prétexte de cet Accord.
L’on a la même impression quant aux leaders des groupes armés qui se sont habitués aux facilités offertes par leurs statuts de chefs de groupes armés (transport en avions gratuit ; hôtels huppés de la capitale ; rémunérations pouvant atteindre 2 millions FCFA mensuel ; accès aux hautes autorités…). Se prélassant dans leur cocon, ils oublient l’essentiel qui est l’accélération du processus de cantonnement, intégration et désarmement, démobilisation, et réinsertion. Ce, au grand dam de leurs mandants, mais de la paix en général dans le pays.
Un étrange oubli
Comme si ces entraves ne suffisaient pas, une nouvelle donne vient se greffer à une équation déjà très complexe du fait de la tergiversation des acteurs. Il s’agit de la représentation des femmes au sein du Comité de suivi de l’Accord.
‘’Nous avons demandé la recomposition du CSA et de ses sous-comités en vue de les rendre conformes aux dispositions de la loi de 2015’’ », a déclaré Fatima MAIGA, présidente du Collectif des femmes leaders, dans le sillage du 23e CSA. Ainsi, il fallait attendre plus de deux ans pour réaliser que les braves femmes faiseuses de paix manquaient à l’appel. N’est-ce pas étrange, lorsqu’on sait à quel rythme ont poussé les associations, souvent alimentaires, gravitant autour de cet Accord ?
En tout état de cause, ce n’est pas un nouveau chronogramme arrêté au cours du 23e CSA qui fera des miracles. Le mal est connu, il faut lui appliquer le bon remède qui passe par la bonne foi des uns et des autres. L’Accord dit à cet effet : ‘’Les Parties reconnaissent que la première garantie de l’aboutissement de l’Accord réside dans leur sincérité, leur bonne foi et leur engagement à assumer le contenu de l’accord et œuvrer à la mise en œuvre de l’ensemble de ses dispositions dans l’intérêt de la réconciliation de leur pays, ainsi que de la paix, de la sécurité et de la stabilité du Mali et dans la région dans son ensemble’’. (Article 50). Or, ce qui manque le plus, c’est la bonne foi et la sincérité.