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Iba Montana, le rappeur malien armé qui séduit les jeunes et inquiète les autorités
Publié le vendredi 26 janvier 2018  |  France 24
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À Bamako, le rappeur Iba Montana est connu pour ses clips dans les quartiers pauvres de la capitale malienne, où il exhibe ses armes blanches. Et il commence à inquiéter, notamment depuis que des vidéos et des photos montrant des enfants l’imitant, en maniant couteaux et machettes, circulent sur les réseaux sociaux.

Iba Montana – de son vrai nom Issa Diabaté – est un rappeur de 22 ans, originaire de Kaye, au Mali. Il a décidé de rapper de façon très suggestive : dans un de ses derniers clips, sorti en novembre dernier et baptisé "Siriké Djo" ("Roule-en un, frère" en bambara, en référence à un joint d’herbe), il défend les "favelas" maliennes et affirme qu’il est protégé contre ceux qui voudraient l’attaquer grâce à ses machettes et autres couteaux, qu’il exhibe fièrement. Dans le clip, on voit également des adolescents fumer du cannabis.

Le clip, chanté en bambara, montre des jeunes de quartiers dont la plupart fument de la drogue. Le rappeur explique qu'il protège son quartier et que personne ne peut l'atteindre, en montrant sa machette.

Depuis lundi 22 janvier, ces images ont pris une autre dimension : plusieurs photos montrant des adolescents, parfois des enfants, exhiber des couteaux et des machettes en se revendiquant du chanteur, circulent sur les réseaux sociaux. Dans l’une d’elles, des enfants très jeunes, armes à la main, entonnent même la chanson d’Iba Montana. France 24 a décidé de ne pas diffuser la vidéo, pour protéger l'identité des enfants, mais a pris quelques captures d'écran de la vidéo en floutant les visages.



La vidéo, qui dura une trentaine de secondes, montre des enfants tenir des machettes, des couteaux, des battes ou encore des pinces, et entonner le refrain de la chanson "Siriké Djo" d'Iba Montana.

Impossible de savoir si ces photos, ou cette vidéo sont d’authentiques réactions pour imiter le rappeur, ou une mise en scène pour le discréditer. France 24 n'a pas pu identifier l'origine des images, qui ont principalement circulé via la messagerie instantanée WhatsApp, et n'a pas pu déterminer s'il s'agissait bien d'enfants maliens.

Pour autant, d’autres vidéos, plus anciennes, montrant de jeunes Maliens entonner la chanson d’Iba Montana, armes à la main, existaient déjà sur les réseaux sociaux.



Sur les réseaux sociaux, ce jeune homme s'est par exemple affiché à deux reprises avec des couteaux et s'est filmé en chantant sur les paroles du rappeur. France 24 a décidé de masquer son visage pour protéger son identité.

Interdit de tournage dans sa commune

En tout cas, Iba Montana ne plaît pas aux autorités locales : depuis le 10 janvier, Adjama Berete, le maire de la commune IV de Bamako où été tourné le clip "Siriké Djo", a interdit tout tournage des clips du rappeur dans sa commune. Contacté par France 24, il a précisé avoir été contacté par des riverains "inquiets par ces tournages de jeunes armés" et avoir pris cette décision pour éviter des "troubles à l’ordre public".

Il ajoute :

Beaucoup de gens nous ont écrit sur les réseaux sociaux pour nous féliciter et inciter d’autres communes à l’interdire de tournage. Pour autant, nous n’avons pas eu vent d’autres communes qui souhaiteraient aussi interdire les tournages de ce rappeur.
Depuis plusieurs semaines, des médias maliens tirent la sonnette d’alarme estimant que le rappeur a "une mauvaise influence sur les enfants maliens", se demandant même "où est passée la société civile, habituellement prompte à la dénonciation".



Dans le clip "Siriké Djo", le rappeur tend à plusieurs reprises sa machette vers la caméra pour expliquer qu'il ne craint personne.

"Si je montre des machettes, c'est parce que c'est la réalité de nos quartiers", répond Iba Montana à France 24

Contacté par France 24 avec la rédaction de RFI en mandingue, le rappeur Iba Montana se défend d’inciter les jeunes générations à la violence :

Je m’intéresse à la question de la délinquance des jeunes dans mon quartier, car je suis moi-même issu de ce milieu. C’est grâce au rap que je me suis sorti du ghetto. Les gens disent que les messages que je véhicule dans mes raps incitent les enfants à la violence. Pourtant, ce n’est pas mon intention.

Si j’ai introduit les machettes dans mes clips, c’est pour dénoncer ce qu’il se passe dans les ghettos. Parce qu’aujourd’hui, 80 % des enfants se promenèrent avec des couteaux et d’autres armes avec eux pour semer la terreur à certains endroits… Mon intention, c’est simplement de montrer cette réalité et faire plaisir à ceux qui m’écoutent.

"Quand ça marche bien pour toi, les gens cherchent à te nuire"

Je suis au courant des images qui circulent, ce n’est pas moi qui les ai incités à faire ça. Les enfants font ça d’eux-mêmes. Je ne sais pas d’où viennent ces images. Quand ça marche bien pour toi, des gens cherchent à te nuire. C’est ce qui passe actuellement avec moi.

Je vais répondre prochainement à toutes ces accusations par la musique : je sortirai une nouvelle chanson basée purement sur des conseils de bonne conduite pour la jeunesse.

"Le rap d'Iba Montana parle aux jeunes car il dénonce une société qui se fiche complètement d'eux"

Qu’est-ce que cette polémique montre de la société malienne ? Issouf Iss Bill Koné est un rappeur et Mondoblogueur de RFI, journaliste culturel indépendant, qui s’intéresse régulièrement à l’univers du rap malien.

Si Iba Montana a un tel succès, c’est parce qu’il montre la réalité d’une partie de la société malienne actuelle qui est, il faut le dire, en perdition : dans pas mal de quartiers, les jeunes sont dans les rues en train de fumer, sans se cacher, comme s’ils avaient perdu espoir. Iba Montana est tellement populaire actuellement que des rappeurs maliens sur le déclin s’affichent désormais avec lui.

Ce type de rap assez offensif n’est pas nouveau : depuis le début des années 2010, on assiste à de gros clashs entre les rappeurs maliens, avec des insultes qui vont parfois très loin. Ce genre de rap fait aussi l’apologie de la drogue. Sur ce schéma, ces rappeurs ont rempli des stades, gagné beaucoup d’argent et clairement influencé la jeunesse sans être inquiétés par les autorités maliennes.

Dans ses clips, Iba Montana reprend les codes des jeunes de quartiers défavorisés, par exemple ce jeu de cartes et d'argent très prisé.

"Certains enfants cherchent à se procurer les couteaux qu’on voit dans ses clips"

Ce qu’il y a de nouveau avec Iba Montana, c’est qu’il affirme qu’il se fiche de tout : il critique ouvertement la religion et menace de s’en prendre au président malien et à son fils si ces derniers ne trouvaient pas une solution pour les jeunes des quartiers [dans son clip "Où sont les tchales, NDLR]. Les jeunes ont le sentiment d’être dans un système où la société se fiche complètement d’eux, ne leur apporte pas de solution, et ils se reconnaissent dans ce rap.

La question, c’est l’influence réelle que peut avoir son rap. Récemment, un ami me disait que son petit frère voulait se procurer un "six", un petit couteau très populaire au Mali, que le rappeur montre souvent dans ses clips et qui est associé à l’univers gangsta [un phénomène dont parlait déjà cet article du site Malijet].

Mais, à mon avis, il ne chante pas ce qu’il pense : il a simplement lancé un style qui n’avait pas été encore fait pour avoir du succès et il joue sur ça… Dans une société où la tradition et la religion ont un fort impact, les gens, et notamment les jeunes, sont intéressés par son discours assez nouveau qui s’affranchit de tous ces cadres.
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