PolitiqueMe Amadou Tieoule Diarra revient sur l’affaire dite des bérets rouges : «La Cour n’a aucun moyen de pression sur l’institut chargé de faire le test ADN»
Publié le dimanche 28 janvier 2018 | La Lettre du Peuple
L’affaire des 21 éléments du régiment des commandos parachutistes communément appelés les bérets rouges, retrouvés morts dans une fosse commune à Diago en 2013, est certainement l’un des dossiers judiciaires les plus sensibles et les plus complexes auxquels la justice malienne a été confrontée. Ce, depuis le jugement du général Moussa Traoré, ancien président de la République du Mali.
Le procès tant attendu de l’ex-homme fort de Kati, général Amadou Aya Sanogo, et co-accusés, dans ladite affaire ne cesse de défrayer la chronique. Démarré le 30 novembre 2017, puis renvoyé par une session spéciale de la Cour d’assises de Bamako en transport à Sikasso, ce procès connait une tournure sans précédent. Et depuis, Sanogo et ses compagnons croupissent en prison et méditent lamentablement sur leur sort. Tout se dit autour de cette affaire. Entre manipulation politicienne et incapacité de la justice à dire le droit, c’est la psychose qui s’installe progressivement.
Faut-il juger Sanogo ? Peut-on juger ces ex-putschistes ? La justice est-elle dans l’illégalité ? Question de procédure oblige, nous sommes allés à la rencontre de Me Amadou Tiéoulé Diarra, avocat à la Cour et professeur de Droit à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako. Grand défenseur des libertés individuelles, notre interlocuteur nous donne son opinion sur la situation.
La Lettre du Peuple: Quelle lecture faites-vous du procès Amadou Aya Sanogo et co-accusés, renvoyé il y a plus d’un an ?
Me Amadou Tiéoulé Diarra :
Il y a eu ce qu’on appelle en droit un incident de procédure. Un incident de procédure est une cause évoquée qui suspend le cours d’une procédure. Dans cette affaire, l’incident de procédure est une question d’expertise par rapport aux personnes qui ont été enterrées à Diago, que l’on voudrait identifier. C’est cet incident qui a fait que le procès n’a pas pu avoir lieu en fin novembre 2016. Le résultat de ce test ADN dépend d’un laboratoire français qui doit envoyer les résultats. Si le résultat n’est pas là, on suppose que la procédure ne peut pas continuer. C’est là où il y a eu le problème. Cet incident n’aurait pas dû avoir lieu. Parce que tout simplement, il n’est pas déterminant dans le jugement en cours. La Cour n’aurait pas dû accéder à cet incident de procédure. La Cour devrait continuer le procès. L’incident est juridique. Il bloque tout et prend le procès en otage. Nous attendons.
La Lettre du Peuple : Pensez-vous que cette affaire est politisée ?
Me Amadou Tiéoulé Diarra :
C’est possible, mais je ne crois pas à cette hypothèse. Pour moi, c’est l’incident de procédure provoqué qui paralyse momentanément la suite de cette instance en justice. Cela veut dire que tant qu’on n’aura pas les résultats, l’instance ne pourra pas continuer. En ce sens que la poursuite de l’instance dépend effectivement de la satisfaction qu’il faut donner à l’expertise de cette ADN. Qu’il soit positif ou négatif, il faudrait qu’il y ait le test.
La Lettre du Peuple: Estimez-vous que la justice est dans l’illégalité par rapport au délai de la détention des présumés coupables ?
Me Amadou Tiéoulé Diarra:
Je ne crois pas. Cela me fait penser à l’affaire Moussa Traoré que la transition a léguée à la 3ème République comme héritage. Je suis à peu près sûr que le dossier Sanogo risque d’être légué au prochain président de la République comme un héritage. Normalement, la transition dirigée par le CTSP devrait juger Moussa Traoré et tous ceux qui étaient avec lui, mais pour des raisons diverses, il a été préféré que cette affaire soit léguée au régime du Président Alpha Oumar Konaré. Ce dernier a pris son courage à deux mains, comme on le dit, pour juger Moussa Traoré. Je crois que nous nous acheminons vers le même scénario. C’est dire que le dossier risque fortement d’être légué au prochain président de la République qui sera élu en juillet. Le code pénal est très clair sur la question de la détention. Nous avons mené plusieurs débats autour de cette affaire. Pour moi, la justice ne veut pas prendre son courage à deux mains. A mon avis, la justice ne joue pas suffisamment franc-jeu. A un moment de la vie, il faudrait que la justice soit à égale distance entre l’exécutif et les populations. C’est ce courage qui manque.
La Lettre du Peuple: Avez-vous un conseil à prodiguer à l’endroit de la justice ?
Me Amadou Tiéoulé Diarra:
La justice se trouve aujourd’hui dans un imbroglio. La Cour est dans l’attente des résultats du test ADN. Or, ces résultats ne dépendent pas du président de la Cour et des conseillers. Cela dépend d’un organisme totalement indépendant qui peut l’envoyer à temps ou pas. La Cour n’a aucun moyen de pression sur l’institut chargé de faire le test ADN. Si vous voulez, la Cour est dans un bourbier. Comment sortir de ce bourbier, c’est toute la question. Il faut éviter cette situation afin que les victimes et accusés soient départagés.
Entretien réalisé par Jean Goïta
La Lettre du Peuple