Présent en Russie dans le cadre de la participation du Mali au 76è Congrès de l’Association internationale de la Presse Sportive (AIPS), nous avons profité de cette opportunité pour rencontrer le président de l’association des ressortissants africains de l’Etat de Krasnodar, Fédération de Russie.
Racine Aw
Très simple avec un style de vie normale, le Malien de Krasnodar, M. Racine Aw est un intellectuel et homme d’affaires marié avec une Russe et des enfants nés là-bas depuis plus de 25 ans.
Malgré la distance, la langue et le climat, M. Aw n’a rien oublié de son Mali natal malgré les difficultés du moment. Dans cet entretien, Racine Aw nous parle à cœur ouvert de sa vie en Russie et celle des ressortissants africains de sa ville, Krasnodar.
L’Express de Bamako : Bonjour, pouvez-vous vous présentez à nos lecteurs ?
M. Racine Aw : Bonjour, je m’appelle Racine Aw. Je suis né le 18 février 1965 à Sikasso de Ibrahima Aw et de Ramatoulaye Doumbia. Mon père travaillait à Sikasso comme administrateur civil et c’est dans cette ville que certains de mes sœurs et frères sont nés.
Après, le Papa a été affecté à Kayes d’où j’ai fait mes études primaires et secondaires, le lycée Dougoukolo Konaré de Kayes, avant d’entrer à l’INSEC de Badalabougou. C’est là-bas que j’ai commencé à prendre les cours de langue Russe au centre culturel Russe. C’est à la suite de cela que j’ai bénéficié d’une bourse d’étude en Ex Union Soviétique en 1987.
J’ai fait la faculté préparatoire à Kiev dans l’Institut des Ingénieurs de Génie, après j’ai été affecté à Riga, capitale de la Lettonie où j’ai fréquenté l’Institut de l’Aviation Civile de Riga.
J’ai fini en 1993 en tant que spécialiste en Radar et autres instruments de navigation pour l’aviation civile. Après les études donc, je suis rentré au pays en 1993 et j’ai commencé à travailler à l’Aéroport de Bamako Senou jusqu’en Octobre 1994. Mais j’ai été marié depuis 1991, ma femme est Russe et je suis père de deux filles.
L’Express de Bamako : Je rappelle que vous êtes le président de l’association des ressortissants Africains de Krasnodar (ville de Russie au Nord du Caucase : NDLR), pouvez-vous nous parler de cette association ?
M. Racine Aw : Au fait, la plupart des africains présents dans la ville de Krasnodar ici sont venus dans le cadre des études. Donc, la majeure partie des africains ici est composée d’étudiants ou des professionnels envoyés par leurs pays pour des stages de formations. C’est dans ce cadre de créer un élan de solidarité et de soutien mutuel entre africains de différentes nationalités que cette organisation a été créée depuis plus de 30 ans maintenant.
Et chaque génération d’étudiants ou de stagiaires s’engage pour que l’organisation reste et se renforce afin d’atteindre les objectifs fixés. Comme je suis africain et membre actif de l’association depuis plusieurs années, les autres camarades d’autres nationalités africaines présents ici m’ont fait confiance pour devenir le président de l’organisation le 12 avril dernier lors du renouvellement du bureau.
Dans le bureau, j’ai deux adjoints et un effectif de 15 membres. Dans la ville de Krasnodar, il y’a environ 400 Africains, composés de Maliens, de Soudanais, de Nigérians, de Nigériens, de Mozambicains, des Ethiopiens, des Sénégalais etc. Ils travaillent pour la plupart, mais ce sont des étudiants.
Et devenir membre de l’organisation est très simple, il suffit juste de participer aux réunions et autres activités de l’association et prendre sa carte de membre. Nous sommes enregistrés au niveau des autorités Russes avec lesquelles nous avons de très bons rapports et qui nous soutiennent énormément. Et plus, les autorités Russes nous donnent même de l’argent pour l’organisation des activités de la célébration de la journée de l’Afrique chaque 25 Mai. Et nous choisissons un weekend avant ou après le 25 Mai pour célébrer cette journée qui est beaucoup appréciée des Russes.
Nous organisons des tournois de football avec des trophées de l’intégration. C’est vraiment une occasion nette pour remercier très sincèrement les autorités Russes et les populations de Krasnodar pour leurs soutiens et leur accompagnement à notre organisation qui est et reste la seule entité pour gérer le quotidien des ressortissants africains à Krasnodar.
L’Express de Bamako : Quelles sont aujourd’hui les difficultés majeures que vous rencontrez ici en tant qu’africain ?
M. Racine Aw : Généralement, le plus grand problème des étudiants africains ici c’est le coté finance. Les étudiants sont beaucoup confrontés ici au problème de payement des loyers ou des frais d’enregistrements et autres choses liées à l’argent. Sinon coté étude, ils n’ont pas trop souvent de problèmes.
En dehors du problème financier, nous n’avons pas beaucoup d’autres problèmes, surtout pas coté intégration avec la population locale. C’est l’endroit pour moi de reconnaitre au peuple Russe son accueil et son ouverture d’esprit, car ils nous montrent que les africains les intéressent. Ils aiment beaucoup l’histoire de l’Afrique et nous avons beaucoup de collaboration dans ce sens.
Mais très souvent, nous rencontrons certains petits problèmes notamment pendant les vacances et ces cas concernent seulement les étudiants qui s’en donnent à l’alcool. Ces cas aussi sont très rares, mais souvent une ou deux personnes se font remarquer à cause de l’alcool par de petites bagarres.
L’Express de Bamako : Vous avez tantôt parlé l’accompagnement des autorités Russes, mais je voudrais savoir quelle genre de collaboration existe-t-elle réellement entre l’association des africains de Krasnodar et les autorités Russes ?
M. Racine Aw : C’est une question très intéressante. Je peux dire que la collaboration est très étroite par la simple raison qu’elles assistent à toutes nos réunions à notre demande. Et cette manière nous permet avec elles de parler de nos problèmes, de nos inquiétudes et cela les permet d’être au courant directement de nos problèmes afin de trouver des solutions rapides et idoines.
Lors de ces rencontres, nous leurs expliquons nos besoins du moment et nos difficultés. Et le représentant de l’administration sur place se fait le devoir de remonter nos doléances au niveau fédéral et au niveau de l’Etat de Krasnodar. Et à chaque fois que nous faisons des demandes ou des requêtes, elles sont bien reçues parce que les autorités sont déjà au courant de nos besoins.
Nous n’avons vraiment pas de problèmes à ce niveau. Souvent, il y’ a des cas ou des ressortissants africains viennent sans les moyens nécessaires de se payer les études et dans ces cas, ils ne peuvent pas se faire enregistrés.
Mais quand ils nous saisissent avec le problème, nous, à notre tour rentrons en contact avec les autorités qui nous accordent des délais supplémentaires pour les permettre de se mettre à jour sans problème tout en restant sur le territoire Russe. Vraiment ca va très bien avec les autorités Russes.
L’Express de Bamako : Vous vivez en Russie depuis plus de 20 ans, comment avez-vous vécu la crise que traverse notre pays, le Mali, maintenant et quelle est votre idée là dessus ?
M. Racine Aw : Franchement, cette situation m’a beaucoup surpris pour la simple raison que j’ai passé toute mon enfance au Mali et je n’ai jamais pensé qu’un jour les maliens pouvaient en arriver à ce stade.
Malgré ces années et cette distance je sais qu’au Mali, être Senoufo, Tamasheq, Bambara, Peulh, Bozo, Soninké ou autres n’intéresse personne. Et nous en faisons même des blagues, «Sanankoun ya» entre nous contrairement à beaucoup d’autre pays. Quand cette situation est arrivée, les Maliens de Krasnodar et les frères africains qui étaient ici étaient tous inquiets de la situation et nous avons passé de très mauvais moments. Cela nous a fait mal de voir des gens qui se servent de notre religion musulmane pour des fins politiques et criminelles et tuer des maliens.
Nous recevons les informations de la télévision Russe, de la Télévision Malienne. Et depuis le début, nous avons reçu des circulaires de l’association malienne de Russie basée à Moscou pour faire des dons afin de soutenir le gouvernement dans l’effort de guerre. Et tous les Maliens de Krasnodar et certaines autres bonnes volontés ont contribué et nous avons envoyé cette contribution à Moscou pour l’acheminer à Bamako.
Comme vous avez si bien dit, nous sommes ici cela fait des années, ma première fille à 21 ans aujourd’hui, mais je n’ai rien oublié du Mali et malgré le fait que mes filles soient toutes nées ici, elles ont toutes les deux la nationalité malienne. J’ai toute ma vie ici à Krasnodar, mais mon âme restera toujours à la frontière du Mali. Nous sommes en contact direct avec les autorités diplomatiques Maliennes à Moscou et elles sont au courant de tout ce que nous faisons.
L’Express de Bamako : Quel est votre mot à l’endroit des ressortissants africains en Russie et aux Maliens en particulier ?
M. Racine Aw : Comme tout africain, et bon malien, je veux que le feu s’éteigne au Nord. Au Mali, nous n’avons pas de territoire à diviser. Au Mali, nous n’avons pas de familles à diviser.
Au Mali, nous n’avons pas d’ethnies à diviser. Il n’y a rien à partager, nous sommes dans la seule et grande famille et cela a toujours été ainsi. Nos grands parents nous ont laissé le Mali comme cela et nous devons laisser comme cela à nos enfants. Qu’ils fassent leur politique, mais il faut laisser le Mali en paix. Je ne veux pas recevoir un Bozo en Russie ou un Bambara, ou un Touareg, mais je veux recevoir un Malien comme moi, je suis Malien.
Tout ce que nous voulons, c’est la paix au Mali. C’est le problème qui intéresse tous les africains de Krasnodar. C’est notre histoire, c’est notre dignité. Je suis Malien à Sikasso, je suis Malien à Gao comme je suis Malien à Krasnodar. Je veux que tout Malien soit libre, libre physiquement et moralement et libre de penser.
L’Express de Bamako : Et votre dernier mot ?
M. Racine Aw : Merci du fond de cœur pour cette opportunité, parce que c’est la première fois qu’un journaliste malien vient jusqu’ici pour savoir comment nous vivons. Je voudrais dire ici, que je suis le président de tous les africains de la ville de Krasnodar, donc, si vous êtes Malien ou africains vivant en Russie ou de passage à Krasnodar, vous serez toujours les bienvenues chez moi.
Moussa KONDO, envoyé spécial en Russie