Dans les années 90, la quasi-totalité des pays africains, après des soulèvements politiques, ont renoué avec le régime du multipartisme intégral. Dans la foulée, chaque pays s’est doté, à travers un scrutin électoral, d’une nouvelle Loi fondamentale consensuelle qui garantit dans ses textes la liberté d’expression et les libertés individuelles et collectives. Pour aller aux différentes élections, les Etats ont institué des Commissions nationales indépendantes aux fins d’en assurer la transparence. C’est notamment le cas dans l’ensemble des pays d’Afrique francophone.
A prime à bord, cela constituait en Afrique une avancée certaine en matière de démocratie. Parce que tout simplement, une nouvelle ère démocratique s’installait sur le continent noir. Sauf que l’exercice démocratique, après un quart de siècle, a révélé que les Commissions nationales des différents pays, censées être indépendantes, ont lamentablement manqué leur but. C’est-à-dire qu’elles ne sont pas, hélas, parvenues à permettre l’organisation, en amont comme en aval, des élections « libres, ouvertes et transparentes… ».
Ainsi, ces élections non démunies de contestations, laissent très souvent la place au désordre et au chaos, en l’occurrence après chaque présidentielle. Ce qui constitue un véritable gâchis politique pour les peuples africains qui n’aspirent qu’à la paix et à la sécurité pour leur épanouissement socioéconomique. Mais pourquoi, malgré un enchaînement d’élections multipartites depuis plus d’un quart de siècle, l’on constate le recul de la pratique démocratique en Afrique ?
Si l’on en croit l’ONG Freedom House, « la démocratie en Afrique est essentiellement une affaire de procédures. Dans ce paradigme, les partis politiques sont au cœur du système. La compétitivité qu’ils se livrent pour le suffrage des citoyens est idéalisée. Les élections censées être libres et transparentes, sont souvent fraudées. Alors que les résultats qui en résultent sont célébrés comme des victoires de la démocratie ». Ce qui amène certains analystes politiques à admettre que la démocratie élective ne permet pas forcément d’améliorer le niveau de vie des populations démunies mais qu’au contraire, elle contribue à la déstabilisation des Etats africains. C’est le cas de Paul Collier.
Dans son livre Wars, guns and votes : Democracy in Dangerous Places (Harper Perennial, 2010), l’économiste d’Oxford Paul Collier a exploré le lien entre démocratie et violence, notamment dans les sociétés démunies. Ce qui lui a permis de démontrer que dans les pays à revenu intermédiaire ou supérieur, la démocratie élective réduit le risque d’instabilité. Alors qu’en revanche, dans les pays les plus démunis, elle amplifie le risque, déjà important, de violences (assassinats, émeutes, guérillas, guerre civile, etc.). Or, le constat amer est que la quasi-totalité des pays africains sont constitués majoritairement de populations démunies.
Par conséquent, d’après les travaux de cet économisme, la démocratie élective ne serait pas forcément une panacée pour la majorité des pays africains. D’ailleurs, estime Paul Collier, « La démocratie est l’opium des élites africaines, mais ce sont les plus pauvres qui payent la facture ». Raison pour laquelle, pour sortir de l’impasse démocratique, il propose simplement de la « désacraliser ». Car il estime que ni les partis politiques ni les élections (telles qu’on les pratique en Afrique), ne sont une fin en soi. L’exemple démocratique kenyan et l’expérience démocratique en Tunisie, sept ans après la chute de Ben Ali, ne sont-ils pas suffisants pour amener les africains à méditer davantage sur la problématique du reformatage du système démocratique africain ?
Cela est certainement une urgence, dès lors que l’on voit que dans le pays de Jomo Kenyatta, le multipartisme n’apporte que troubles et chaos. Encore qu’un sondage, mené par l’International Republican Institute, rapporté dans la dernière édition du Journal britannique The Economist, révèle que deux tiers de tunisiens estiment que la prospérité est plus importante que la démocratie. De nombreux citoyens regrettent même l’ère Ben Ali.