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Cinq ans après « Serval », al-Qaida gangrène le Mali
Publié le mercredi 7 fevrier 2018  |  Le Figaro
Arrivée
© AFP par CHRISTOPHE PETIT TESSON
Arrivée du Président Français, Emmanuel Macron à Gao
Le Président de la République Française, Emmanuel Macron est arrivé à Gao le 19 Mai 2017 pour une visite à la force Barkhane.
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Au Mali, le djihadisme fleurit Cinq ans après le début de l’opération « Serval », la guerre
continue de faire rage. Les militaires français et les Casques
bleus endiguent la menace à défaut de la contrôler.

LES COMMERÇANTS ont verrouillé la porte de fer de leurs échoppes. Le marché central, plaque tournante du négoce, est silencieux. Les chaussées tapissées de sable sont vides. Tombouctou, cité de légendes, est une « ville morte ». Calfeutrés dans leurs maisons en terre crue, les habitants suivent massivement un appel à la grève générale lancé par des mouvements de la société civile pour protester contre l’insécurité. Quelques jours plus tôt, un douanier a été assassiné nuitamment.

Un meurtre qui s’ajoute à une longue liste de règlements de comptes entre voyous. Cinq ans après la fin de l’occupation djihadiste, l’ambiance est morose. La population noire, majoritaire, se méfie des « peaux blanches », les Arabes, accusés de tous les maux. Dénués de motivation, les gendarmes venus du sud du pays se claquemurent dans leurs locaux par crainte de se faire trouer la peau. « La symbiose entre les populations que l’on connaissait naguère a disparu. Chez nous, il n’y a que des difficultés.

Les autorités de l’État nous parlent d’insécurité résiduelle et d’éléments égarés, mais comment voulez-vous croire à la paix quand des gens sont tués en pleine rue et que nous souffrons de la mauvaise gouvernance ? », s’interroge Boubacar Sadek, un adjoint au maire de Tombouctou. Une étrange faune gravite dans la cité. Les indics des islamistes armés croisent des bandits. Un pouvoir invisible, celui des mafias islamistes, politiques et criminelles, règne sur cette zone grise où des alliances mouvantes sont dictées par les intérêts du moment.

La plupart des chefs qui dirigeaient la ville sous l’occupation d’Aqmi, la branche sahélienne d’al-Qaida ont été éliminés, mais certains poissons – petits ou gros – sont passés au travers des mailles du filet. C’est le cas de Houka Houka. Arrêté en 2013, il dirigeait la justice islamiste à Tombouctou sous le règne d’alQaida et procédait à ce titre à des amputations au nom de la charia. Il a été libéré deux ans plus tard dans le cadre des né- gociations entre le gouvernement et les groupes rebelles non djihadistes.

Depuis, le petit juge coupe des membres dans son fief de Zouera et réclame l’ouverture d’écoles coraniques. La déliquescence de l’État pousse une partie des habitants de la région à trouver ses méthodes expéditives peu choquantes. « Certains se disent que face au sentiment d’injustice généralisé la charia a du bon », confirme un journaliste local.

Et qui est vraiment Dina Ould Daya, l’un des chefs du MAA (Mouvement arabe de l’Azawad) et potentat local ? S’est-il infiltré dans le système pour mieux poursuivre ses activités de narco et de trafiquant de migrants ? Ou s’estil reconverti durablement dans le business légal ? Les avis divergent. En avril 2012, il avait investi Tombouctou aux côtés d’Aqmi avant d’en être chassé par son leader, Abou Zeid, et de se replier avec son groupe armé sur sa bourgade de Ber.

Il a rejoint La Plateforme, une alliance de groupes maliens progouvernementaux signataires à Alger en 2015 des accords de paix avec Bamako qui n’ont toujours pas été appliqués. À l’extérieur de la cité, les djihadistes tendent des embuscades et posent des mines sur les pistes. Ils tuent les « collabos », les personnes qui renseignent les soldats des forces spéciales françaises en charge de la lutte contre les terroristes d’al-Qaida dans l’immensité minérale du Sahara. Samedi, au moins quatorze soldats maliens ont été tués dans l’attaque de leur camp de Soumpi. « Les actes de terrorisme et de criminalité ont doublé, voire triplé en deux ans », note un responsable de la sécurité des Nations unies.

Tombouctou est enclavée. La route qui longe le fleuve n’est pas sous contrô- le. La cité est reliée à Bamako, via un vol quotidien unique assuré par les Nations unies. Enkystée au sommet de la courbe nonchalante du Niger, la Ville aux 333 saints ne parvient pas à enrayer son dé- clin. Les visiteurs l’ont délaissée. Les guides touristiques se sont reconvertis en traducteurs pour les Casques bleus. Une missionnaire suisse s’était réinstallée dans une bicoque après un premier rapt en 2012 par les djihadistes. Seule ré- sidente occidentale, elle est à nouveau portée disparue depuis deux ans.

En face de la mosquée Sankoré, un édifice voûté construit en sable voici six siècles pour abriter une prestigieuse université islamique, la bibliothèque de manuscrits anciens al-Imam Essayouti, a rouvert. Elle expose des manuscrits consacrés au Coran, à l’histoire, à l’astrologie, à l’astronomie ou à la médecine. Les plus anciens datent du XIe siècle. « Lorsque les djihadistes sont arrivés, les miens ont pris les manuscrits pêle-mêle. Nous les avons emballés et rangés dans des cantines pour les mettre à l’abri dans un endroit tenu secret. Nous les avons ressortis voici deux ans maintenant », dit Alpha Ben Essayouti. Son père, le grand imam Ben Essayouti défend un islam qui se veut tolérant mais strict.

Il exerce jusqu’à ce jour une forte influence sur sa pieuse communauté. Il n’en va pas de même de l’autre côté du fleuve où les oulémas du Centre du Mali sont violemment contestés. Si le terrorisme est de retour au Nord chez les Touaregs et les Arabes sous l’effet des crises religieuses, identitaires et sociales, il se répand aussi comme une traînée de poudre dans le Centre autour de la région de Mopti, l’ex« Venise du Mali » où les Peuls, un peuple d’éleveurs de bétail dispersés dans le Sahel, du Sénégal à la Centrafrique, sont en effervescence. Il profite de la faiblesse de l’État pour entraîner le pays dans une spirale infernale.

Tel des cellules cancéreuses, le djihadisme se propage chez les voisins, au Burkina Faso et au Niger. L’opération militaire française « Barkhane » ponctuée de raids secrets des forces spéciales contre les terroristes et la présence de 11 000 Casques bleus souvent vulnérables contiennent la menace à défaut de la contrôler. Mais cinq ans après le déclenchement de l’opération « Serval », les forces françaises et la communauté internationale s’enlisent dans un conflit sans fin. « Serval » et son prolongement à travers l’opération « Barkhane » n’ont pas ré- solu la question du djihadisme dans la région et la pression internationale n’a pas suffi à imposer la paix avec la mise en place d’une solution politique entre un Nord irrédentiste et un Sud incapable de reconstruire un État malgré l’aide des bailleurs de fonds.

Tout avait pourtant bien commencé. Le 11 janvier 2013, la France entre en guerre pour chasser les groupes djihadistes qui occupent le nord du Mali depuis près d’un an (*). Dès la nuit du 27 au 28 janvier, les parachutistes du 2e REP s’emparent de Tombouctou sans rencontrer de résistance. Bien préparée, l’opération « Serval » est un succès incontestable. Les djihadistes sont en dé- route. Le 2 février 2013, François Hollande est à Tombouctou. À l’issue de sa visite éclair il déclare : « Je viens de vivre la journée la plus importante de ma vie politique. »

Et il fait une promesse : « La France restera avec vous le temps qu’il faudra. » Le coup de massue assené par les troupes françaises a disloqué les groupes armés et neutralisé la plupart de leurs leaders emblématiques. Il les a chassés des centres urbains mais, après une pé- riode de veille mise à profit pour reconstituer les réseaux, les terroristes sont réapparus. Principale tête d’affiche d’al-Qaida, Iyad Ag Ghali, le patron touareg d’Ansar Dine a étendu son influence et fédéré les mouvements djihadistes maliens sous la bannière de Jamaat Nosra al-Islam walMouslimin, le JNIM (Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans). Figure de la lutte pour l’indépendance des Touaregs, Iyad Ag Ghali a mené plusieurs rébellions identitaires durant sa période prédjihadiste.

À l’époque, il entretient des contacts soutenus avec les services de renseignement algériens soucieux de contrôler leur arrière-cour du nord du Mali. Nommé consul du Mali à Djedda, en Arabie saoudite, par la pré- sidence malienne qui souhaite l’éloigner, il embrasse l’islam radical. Il rejoint al-Qaida avec son groupe salafiste Ansar Dine quand, en 2012, les vents noirs de l’histoire poussent Aqmi à s’emparer de la partie malienne du Sahel. Son statut d’autochtone et son ancrage dans la société lui valent d’être mis en avant par la direction algéro-mauritanienne d’Aqmi. Une stratégie de faux nez qui semble toujours d’actualité. « Imposteurs » et « charlatans » Sa longévité est un mystère bien gardé. De nombreux officiels français affirment sous couvert d’anonymat que Iyad Ag Ghali est sous protection algérienne.

Plusieurs tentatives de « neutralisation » ou projet d’élimination de cette cible prioritaire des autorités françaises ont échoué au cours des dernières années en raison de son repli sur le territoire algérien ou parce que les risques de dégâts collatéraux étaient trop élevés. L’une d’elles a été annulée au dernier moment en 2014 à Tinzaouten, une localité à cheval sur le Mali et l’Algérie. Le cas Iyad Ag Ghali est un clou dans la chaussure des relations franco-algériennes. Il est régulièrement abordé lors des déplacements de hauts responsables français en Algérie. Il a été encore évoqué durant l’entretien entre Emmanuel Macron et Abdelaziz Bouteflika le 6 décembre dernier à Alger. À chaque fois, les responsables algériens affirment ne rien savoir de ses déplacements clandestins.

C’est pourtant bien à Alger qu’un émissaire du président malien Ibrahim Boubacar Keïta dit IBK a rencontré, selon nos informations, Iyad Ag Ghali début 2017 pour explorer une voie de négociation entre Bamako et le mouvement terroriste Ansar Dine, fer de lance d’al-Qaida. Une réunion discrète couverte par le premier ministre algérien de l’époque Abdelmalek Sellal. Dans les semaines précédentes, le Haut Conseil islamique (HCI), une institution d’obédience wahhabite présidée par Mahmoud Dicko, un dignitaire religieux influent à Bamako, avait ouvert des canaux de discussion avec le chef djihadiste.

Fidèle aux principes de non-intervention de ses forces armées hors de ses
frontières, le régime algérien est, par son pouvoir d’influence, un des acteurs
majeurs au Nord Mali et plus généralement dans le Sahel, où il juge la présence
française et américaine contraire à ses intérêts. Il est aussi le seul pays limitrophe
à ne pas s’engager directement dans la lutte contre les djihadistes. Même la
Mauritanie, longtemps rétive, va participer sur sa frontière avec le Mali au dé- ploiement de la force antiterroriste africaine du G5 Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad, Mauritanie).

Cette dernière a fort à faire à la frontière entre le Burkina Faso et le Mali où une nouvelle insurrection a vu le jour avec à sa tête un prédicateur de 57 ans, Hamadoun
Koufa. Elle se développe dans la région de Mopti, point de suture entre deux
parties du Mali qui s’ignorent. Pour comprendre la trajectoire de Koufa, le leader de la katiba Macina d’Ansar Dine, il est nécessaire de plonger dans l’histoire des Peuls, son ethnie d’origine. Koufa s’inspire de l’exemple de l’empire théocratique peul fondé au XIXe siècle, par le cheikh Amadou Barry, défenseur d’un islam soufiste mais radical. Il fut fondé après un djihad sur la base de la charia. Formé au Pakistan, Koufa combat les descendants du fameux cheikh, ces « imposteurs » et

« charlatans » qu’il accuse d’être corrompus. Il pourfend les élites locales
qu’il estime complices des « spoliateurs » de Bamako et écrit à ses heures perdues des poèmes sur la vie pastorale. Son éloquence et ses prêches enflammés fascinent ses auditeurs. Quand le pouvoir tente de l’amadouer, il se radicalise et débarque dans le Tombouctou des djihadistes en 2012, où il reçoit une instruction
militaire.

Le 9 janvier 2013, il participe à la bataille de Konna remportée par al-Qaida
contre l’armée malienne. Une victoire qui précipite l’intervention militaire
française. Ses discours appelant à une société « juste » et « égalitaire » et l’appui
militaire d’Iyad Ag Ghali lui ont permis de constituer des forces autonomes
sur le terreau fertile de l’exaspération des populations peules rackettées par ces du Centre coupent le pays en deux, ce qui pourrait relancer la question de l’indépendance
du nord du Mali tout en maintenant le Centre dans une situation d’insécurité propice à toutes les dérives », prévient-il.

Les djihadistes abattent des notables, des fonctionnaires et des imams, attaquent
des convois militaires et ferment par la menace des centaines d’écoles
qualifiées de « françaises ». Jeudi, vingt-quatre civils sont morts sur la route dans l’explosion d’un engin piégé. Incapable de rétablir l’ordre, Bamako
riposte par des ratissages marqués par des bavures, des exactions et des arrestations
arbitraires. Minés par un sentiment d’abandon, des villages bambaras et dogons montent des milices d’autodéfense. Ces groupes paramilitaires aiguisent les rivalités
intercommunautaires. « La peur s’est installée. Les Peuls craignent les amalgames. Tous les ingrédients sont réunis pour une explosion. L’État doit
s’appuyer sur des relais dans la société civile pour désamorcer cette bombe »,

commente le chercheur Boubacar Sankaré, originaire de la région.
À la Primature, le nouveau premier ministre, Soumeylou Boubeye Maïga,

affirme avoir fait de la crise du centre du Mali sa « priorité ». Apprécié des Français,
il a été nommé à son poste fin décembre par le président IBK, élu en 2013
avec l’appui tacite de Paris et louangé sous François Hollande. Il est aujourd’hui
très critiqué dans son pays comme à l’étranger. Proche d’IBK, Soumeylou Boubeye Maïga apparaît comme la dernière carte du président avant la remise
en jeu de son mandat, prévue en principe l’été prochain. « Il faut lutter contre

es groupes terroristes et en même temps engager une série d’actions urgentes pour rétablir la confiance en l’État des habitants du Centre », explique Soumeylou Boubeye Maïga au Figaro. « Nous allons déployer très prochainement un volume important de forces militaires et sécuritaires sur une vingtaine de postes fixes dans des agglomérations.

Elles seront jumelées avec des patrouilles et des opérations de nettoyage. En parallèle, des services publics vont être installés pour répondre aux besoins d’éducation, de santé, de sécurité alimentaire, de justice et de droits de l’homme. Nous pré- voyons aussi des mesures d’apaisement pour recréer un lien de confiance. Nous devons gagner le cœur et l’esprit des populations. » Soit la gamme complète, sur le papier du moins, d’un plan de contre insurrection.

« Koufa profite de tensions séculaires. Il prospère sur le recul de l’État », estime cet ancien chef des services de renseignement à la carrière de ministre bien remplie. Avant Soumeylou Boubeye Maïga, quatre chefs de gouvernement ont tenté

vier 2013, les armées françaises ont évité que la capitale Bamako ne tombe aux mains des djihadistes, qui fonçaient sur elle comme le rapace sur sa proie, au volant de leurs pick-up lancés à pleine vitesse. « Serval » a été unanimement saluée. En France mais aussi à l’étranger, on a applaudi une décision politique « courageuse » et rendu hommage à une opération militaire dont l’efficacité et la finesse ont bluffé les responsables militaires américains. « “Serval” ? C’est l’opé- ration militaire occidentale la plus réussie depuis la crise de Suez, » s’enthousiasme, encore aujourd’hui, un diplomate très au fait des affaires militaires.

Cinq ans plus tard, « Serval » a été remplacée par « Barkhane ». Mais la situation s’est dégradée dans l’ensemble du pays. Le Nord s’enfuit du Mali, le centre sombre dans le chaos, le sud vit sur ses rentes. Et si les djihadistes ont été tenus éloignés de Bamako, ils prospèrent là où ils peuvent remplir les vides. Que s’est-il passé ? La France a-t-elle commis des erreurs ?

rapidement, alors que l’État malien n’avait pas recouvré sa souveraineté sur tout le territoire », estime le spécialiste Antoine Glaser, fondateur de La Lettre du continent. À l’époque, François Hollande a poussé son ami Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), connu sur les bancs sacrés de l’Internationale socialiste. Malgré ses méthodes corrompues, son arrogance et son mépris vis-à-vis du nord du pays, IBK a été soutenu par les élites politiques françaises, qui appré- cient son verbe et sa faconde, la facilité avec laquelle il manie le passé du subjonctif. « C’est là que nous nous trompons !

Nous reconnaissons aux Africains de la valeur quand ils sont comme nous ! Nous avons toujours voulu les transfor mer en Occidentaux. Mais ça ne marche pas. La France se croit dépositaire du destin du Mali mais il existe au contraire un fossé immense entre nos deux pays. Quant à l’armée française, elle est vue comme une armée d’occupation parce que les Maliens considèrent qu’elle est à la solde du pouvoir corrompu d’IBK », commente Laurent Bigot, ancien diplomate français spécialiste du continent africain. L’ancien diplomate établit volontiers un parallèle entre le Mali d’IBK et l’Afghanistan de Hamid Karzaï.

« Comme la communauté internationale compense leurs déficiences et dissimule leurs erreurs, les mauvais leaders restent plus longtemps au pouvoir. Ils touchent, en quelque sorte, une prime à l’incurie ! On devrait au contraire les mettre en face de leurs responsabilités. Au lieu de flatter l’ego d’IBK, on devrait lui tordre le bras ! » C’est aussi l’analyse d’Antoine Glaser. « La seconde erreur, dit-il, fut de déverser des tombereaux d’aide sur Bamako sans contrepartie ni garantie d’efficacité. »

Au moment de « Serval », les officiers français avaient déjà vu les limites de l’intervention et prévenu que l’action militaire ne suffirait pas à stabiliser le Mali. « Le but de la guerre, c’est de gagner la paix. Mais gagner la

paix est souvent la partie la plus difficile. Il n’y a qu’une stratégie pour apporter le bonheur à la population, c’est de coupler la sécurité et le développement. Pour avoir une guerre d’avance, il faut un dé- veloppement d’avance. Et ce développement n’est pas toujours compatible avec les problèmes budgétaires », expliquait récemment le général Pierre de Villiers, l’ancien chef d’état-major. La crise malienne est quotidiennement nourrie par l’incurie du pouvoir à Bamako, par la corruption des élites locales, par l’ambiguïté des acteurs ré- gionaux, notamment l’Algérie et par le développement de l’islamisme dont les tentacules enserrent toute la région. Le modèle d’un État unitaire malien a aussi fait long feu.

« Le Mali est un empilage d’empires. Le Nord et le Sud se vouent des haines incommensurables. Le wahhabisme progresse à grande vitesse. Nos interlocuteurs, ceux du Nord comme ceux du Sud, nous prennent pour des vaches à lait. Personne n’a de solution miracle », résume un diplomate. Face à ces forces tectoniques qui déstabilisent le Sahel, la marge de manœuvre des militaires français est forcément limitée. « Aujourd’hui, notre principal but est de limiter les dégâts » reconnaît-il. ■

de tirer le nord du Mali hors de la nasse des terroristes, des rebelles et des bandits. Les quatre ont échoué. « Nous devons parvenir à des résultats en accélé- rant la mise en place des accords de paix d’Alger et en stabilisant le Centre pour que les élections puissent se tenir », promet, cependant, le premier ministre qui devra composer avec les « faucons » de la présidence. Exaspérées, les Nations unies ont prévu de sanctionner les protagonistes si fin mars ils n’ont pas progressé sur le chemin de la paix. Et la communauté internationale est lasse de déverser des centaines de millions de d’euros d’aide. Échec à la fois personnel et collectif Élu avec l’aura d’un homme fort, IBK a vu sa cote fortement décliner.

Le président ne cache pas ses liens d’amitié avec Michel Tomi, dernier « parrain » corse à l’ancienne et roi des casinos et des jeux en Afrique poursuivi par la justice française. IBK le considère comme son « frère ». Michel Tomi a obtenu son amitié en misant de longue date sur son avenir présidentiel alors que sa cote était basse. Un pari gagnant. Il a servi d’intermédiaire dans un des premiers actes du chef de l’État, l’achat d’un avion pour ses déplacements ou pour la formation de sa garde personnelle via une société française de sécurité.

Accusé de jouir du pouvoir plutôt que de l’exercer, IBK se voit également reprocher par ses opposants de servir en premier lieu son clan composé de son fils Karim, un noceur avide d’argent et maîtrisant ses dossiers, de sa femme et de membres de sa famille. « IBK est le plus rusé des politiciens maliens et a une autorité naturelle qu’il peut exercer sur les imams ou les méchants du Nord, mais la capacité technocratique de son équipe à mettre en place des projets se heurte à une évasion des fonds », note un fin connaisseur français des arcanes du palais présidentiel de Koulouba et amateur d’euphémismes.

Pour beaucoup, IBK a mené un mandat pour rien. Il n’est pas parvenu à rétablir l’autorité de l’État dans le Nord et n’a pas su imposer la paix. Un échec à la fois personnel et collectif. « Pourquoi nous n’avançons pas ? Sans doute parce qu’au Mali tout le monde fait semblant. Parce qu’au-delà des belles paroles il n’y a pas de patriotisme », commente le chercheur Boubacar Sangare. Un jeu de dupes dans lequel la France est engagée en menant une guerre de Sisyphe. ■ * « Notre guerre secrète au Mali », Isabelle Lasserre et Thierry Oberlé, Fayard, 2013








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