La toute dernière sortie faite par le puissant Président du Haut Conseil Islamique, l’Imam Mahmoud Dicko, sur les ondes de RFI où il déclare être partisan d’une discussion avec les chefs des groupes djihadistes, y compris avec le gros calibre du Nord, Iyad Ag Ghali, suscite un détour sur la liberté extraordinaire dont jouit jusqu’ici le leader charismatique du mouvement Ansar dine. Pourtant inscrit sur la liste des terroristes recherchés par le Département d’Etat américain, Iyad Ag Ghali semble rire de tous de par sa liberté de circulation déconcertante à travers les dunes entre l’Adrar des Ifoghas au Nord Mali et le Sud de la Libye.
Personne, même l’armée française qui, en 2013, le laisse s’échapper, ne semble très pressé d’arrêter Iyad Ag Ghali qui, dit-on dans les arcanes de Serval, devenu Barkhane, s’était refugié un temps avec son épouse dans le Sud algérien vers la ville de Tinzawaten où il possèderait une maison.
S’il n’est jamais arrêté, c’est que celui que l’on surnomme « le Lion du Désert » n’a rien perdu de son influence dans la Région. Ses puissants réseaux, de Kidal aux renseignements algériens (l’ancien DRS) en passant par des influents acteurs du pouvoir en place à Bamako, comme l’Imam Dicko, Président du Haut Conseil Islamique, font de lui une personnalité incontournable, pesant de tout son poids dans la crise malienne.
Fin stratège, Iyad Ag Ghali doit en partie sa longévité à sa capacité à jouer sur de nombreux tableaux.
En 2007, il se rend en personne auprès de l’Ambassadeur américain Terence McCulley et réclame l’assistance des Etats-Unis lors des opérations spéciales contre AQMI. A l‘époque, l’Homme prône déjà l’imposition de la charia mais affirme à l’Ambassadeur que les populations du Nord Mali ne sont pas très réceptives à l’extrémisme. Le jeu est subtil. « C’est un véritable entrepreneur politique. Il peut changer d’alliance du jour au lendemain selon les rapports de force », explique un Diplomate français.
Admiré et redouté à la fois, Iyad fascine et se rend indispensable. Même le Président ATT sait, à l’époque, à quel point il pouvait lui être utile. « ATT avait une ligne directe avec Iyad qui était un relai extrêmement précieux pour lui au Nord Mali », affirme le même Diplomate. Pourtant, son influence croissante est source d’inquiétudes et Iyad se voit nommé Consul à Djeddah en novembre 2007. « Grave erreur », confie un ancien Officier des Renseignements maliens. « Nous avions sous-estimé son degré de radicalisation à l’époque ». Les contacts qu’il noue sur place avec des groupes Salafistes lui valent de se faire expulser du territoire saoudien en 2010.
De retour au Mali avec son nouveau carnet d’adresses, il gravite autour des personnalités liées à AQMI et fait son retour sur le marché des otages qui lui rapporte gros. Son nom apparaît notamment à plusieurs reprises en 2013 lors de la libération des otages d’Areva capturés à Arlit au Niger. L’enlèvement implique, en effet, non seulement le Chef d’AQMI, Abou Zeid, mais également Abdelkrim le Targui, leader touareg de la Katiba Al-Ansar et cousin d’Ag Ghali. A la mort d’Abou Zeid, en 2011, Abdelkrim le Targui et Iyad qui est alors recherché se chargeront des otages cachés… en Algérie.
Pour plusieurs sources, ces derniers auraient avant tout servi de monnaie d’échange contre l’impunité d’Iyad et de ses Hommes jusqu’à aujourd’hui.
A la fin de l’année 2011, la colère gronde à nouveau au Nord du Mali. La chute de Kadhafi entraine le retour au bercail de nombreux Touaregs maliens ayant combattu pour l’armée du « Guide ». Lorsqu’une autre grande figure de la rébellion, Ibrahim Ag Bahanga, tente de fédérer ces combattants avec d’autres rebelles locaux pour former le MNLA, Iyad revendique le leadership. Sans succès. Les membres de la nouvelle rébellion se méfient de cet Homme tortueux, jugé trop proche d’AQMI, de l’Algérie, et dont les manœuvres dans les années 1990 ont provoqué l’éclatement du camp rebelle.
Progressivement, l’Etat malien, faut-il le reconnaître, se délite sous la violence des combats au Nord, la montée en puissance des groupes djihadistes et le coup d’Etat militaire de mars 2012 qui renverse l’ancien Président ATT. Mais, dans ce chaos, plusieurs informations indiquent qu’Iyad Ag Ghali, dont la percée est vite considérée comme un danger par les Responsables français, était peut-être la cheville ouvrière d’un plan sophistiqué censé ramener le calme. D’où la protection voilée du terroriste.
La liberté dont il dispose dans ses déplacements au Nord de notre pays interroge en tout cas la position de Paris dont les militaires sont toujours sur place dans le cadre de l’opération Barkhane. Y aurait-il pour l’instant plus à perdre de la neutralisation ou de la capture d’Iyad Ag Ghali qu’au maintien de sa liberté ?
L’Homme aurait toujours ses entrées chez le grand voisin du Nord où il s’approvisionne régulièrement. Sa femme, Anna Walet Bicha, et plusieurs de ses lieutenants résideraient en permanence dans la ville de Tinzawaten, une base arrière importante. Alors que les négociations avec Bamako sont dans l’impasse et que les tensions inter tribales ne cessent de s’accentuer sur le terrain, le réseau et l’aura d’Iyad Ag Ghali constituent de précieux atouts. D’autant qu’il n’épouse pas les revendications séparatistes touarègues que le Gouvernement malien rejette en bloc.