Ce n’est plus un secret : les autorités de la Transition ont bien l’intention de se remplir les poches avant de rendre le tablier dans trois petits mois. En effet, depuis un certain temps, on assiste au sommet de l’Etat à un véritable jeu de chaises musicales. Même si nous sommes loin d’être dans les secrets des dieux, il est de notoriété publique aujourd’hui que le torchon brûle entre le Premier ministre, Diango Cissoko, et son ministre de l’Economie, des Finances et du Budget, Tiéna Coulibaly. Quand le premier s’oppose au second à propos du marché des 8,9 milliards F CFA pour l’achat de 200 véhicules tout-terrain pour le compte de l’armée, le second, comme pour lui rendre la monnaie de sa pièce, rejette, à son tour, le dossier du Premier ministre pour l’achat de 55 véhicules pour le compte de la présidence de la République, la Primature et la Commission Dialogue et Réconciliation (CDR).
Dans quelle République sommes- nous et où va le Mali ? Quand on sait que les réponses que les différents ministres viennent de donner aux questions des députés, le mardi dernier, n’ont pas convaincu grand monde au-delà de l’Hémicycle. C’est dire que le Vérificateur Général, qui a publiquement déclaré être sur le dossier de la 3ème licence de téléphonie mobile, est vivement attendu pour faire la lumière sur toutes ces affaires qui sentent réellement du soufre. Tout cela dans un pays qui vient à peine de sortir d’un coma profond dû essentiellement à la mauvaise gouvernance qui, malheureusement, continue de nos jours et de plus belle.
Les vieilles pratiques ont la vie dure, serait-on tenté de dire s’agissant du comportement de nos autorités. Après le départ forcé de l’ancien Premier ministre, Dr Cheick Modibo Diarra, beaucoup de bruits ont couru sur son compte tentant de faire croire qu’il s’est sucré sur le dos de l’Etat. On parle pêle-mêle des milliards F CFA qu’il aurait reçus du Maroc, d’Afrique du Sud et d’Algérie pour le compte du Mali en guerre contre les terroristes.
Des sommes dont l’utilisation n’a pas été portée à la connaissance des citoyens qui, n’ont pas confiance en leurs dirigeants. D’où toutes sortes de spéculations à propos de la destination de ces fonds qui, apparemment, n’ont pas transité par le Trésor public. La presse en a fait ses choux gras sans que l’intéressé ne daigne, même une fois, répondre à ces allégations. Ni le procureur ni aucune autre autorité judiciaire n’a levé le moindre petit doigt pour mener l’enquête dans le but de confirmer ou d’infirmer lesdites allégations.
Comme pour dire : le chien aboie, la caravane passe. Ce sont-là les comportements de l’appareil judiciaire dans le Mali dit démocratique miné par la mauvaise gouvernance avec son lot de chantage sur ceux-là mêmes à qui il revient de châtier les voleurs à col blanc. Avec ce qui est arrivé à notre pays avec l’invasion et l’occupation des 2/3 du territoire par des groupes djihadistes et terroristes, le citoyen moyen rêvait croyant que les dirigeants de la Transition allaient afficher un comportement beaucoup plus digne, sinon à cheval sur les principes démocratiques. Une fois encore erreur. Le petit peuple s’est trompé sur le degré de rapacité de ses dirigeants qui ne sont mus que par l’appât du gain.
Vider les fonds de caisse avant l’arrivée des autorités élues, tel semble être le sport favori auquel se livrent les autorités de la Transition. Pensant qu’il n’y aura ni audit de leur gestion ni contrôle des biens mal acquis avant et durant cette Transition. Le nouveau président de la République n’aura d’ailleurs pas le choix d’emprunter une autre voie contraire. Car tout retour en arrière trahi par ses dirigeants est désormais exclu. Le citoyen lambda qui a longtemps cautionné le comportement irresponsable de ses dirigeants est aujourd’hui plus que debout. Car il y va de sa survie dans un pays qu’il a failli perdre sans l’intervention de l’armée française.
Quand nos soldats patrouillent à pied au nord, nos dirigeants vadrouillent en ville dans des véhicules valant 85 millions F CFA l’unité .S’agissant de la guéguerre qui mine le sommet de l’Etat, il y va de la responsabilité du président de la République par intérim d’y mettre le holà. La nation ayant d’autres priorités que d’observer ses dirigeants détourner les deniers publics. Sinon quelle nécessité impose aujourd’hui au Premier ministre d’acheter 55 véhicules – dont les prix varient entre 20 à 85 millions F CFA - pour le compte de l’administration et de la Commission Dialogue et Réconciliation.
Pour le confort du président de cette nouvelle structure, Mohamed Salia Sokona, il est prévu dans ce marché controversé une Toyota Land Cruiser VDJ 200VX qui vaut 70 900 000F CFA. Au moment donc où nos dirigeants, assis dans des bureaux climatisés alimentés, en cas de panne de courant, par de puissants groupes électrogènes, vadrouillent en ville dans de rutilantes voitures 4×4 valant 85 millions F CFA l’unité, nos soldats au nord sont obligés de mener des patrouilles à pied ou de solliciter les contingents tchadiens ou autres pour les transporter.
Quel gâchis ! Le ministre de la Défense lors de ses récentes visites aux troupes n’avait pratiquement rien à leur dire et cela à cause « des maigres moyens de l’Etat « . C’est le message qui a été répété, tel un leitmotiv, partout où le ministre Yamoussa Camara a eu à visiter les troupes.
Au même moment ce sont des milliards FCFA qui dorment dans des comptes spéciaux comme c’est le cas pour les 8,9 milliards F CFA que l’AMRTP a mis à la disposition de l’armée pour l’achat de 200 pick-up, 20 camions citernes, 18 et 33 m3 pour le transport d’eau et de carburant, 10 ambulances pour l’évacuation des militaires blessés vers les hôpitaux et l’achat de carburant et de vivres pour l’armée. Dans cette affaire, le Premier ministre a retiré le dossier de la session du Conseil des ministres du 27 février 2013, au motif que » le Régulateur n’est pas habilité à passer un marché pour l’armée « .
Quand on sait bien que c’est le ministre de l’Economie, des Finances et du Budget, Tiéna Coulibaly, qui avait porté ce dossier en Conseil des ministres, on est en droit de se poser des questions sur les relations tendues entre le Premier ministre et son ministre en charge des finances. En tout cas, concernant ce dossier, les mauvaises langues avaient distillé l’information selon laquelle un pourboire d’un milliard F CFA était en jeu. Dans quelles poches ces sous ils allaient tomber ? Allez savoir. Il revient au Vérificateur Général, et pourquoi pas au procureur même, de chercher à percer la vérité dans cette affaire nébuleuse.
En cette période où la guerre contre les terroristes est loin d’être terminée, où les réfugiés et les déplacés continuent à tirer le diable par la queue, comment Dioncounda Traoré et son Premier ministre peuvent engager plus de 2 milliards F CFA dans l’achat, de surcroît par fractionnement de marché, de 55 véhicules pour le confort des fonctionnaires et des membres de la CDR ? C’est dire que leurs priorités sont loin d’être celles de la majorité des Maliens qui, chaque jour, désespèrent de nos autorités de Transition. S’il s’agit de véhicules, on en trouve beaucoup moins chers si on passe par la procédure normale, c’est-à-dire par appel d’offres ouvert et dans les règles de l’art.
S’agissant des 55 milliards F CFA, que la nouvelle société de téléphonie mobile Alpha Télécom devait verser au plus tard trois mois après la cession de la licence, aucune autorité n’a pu dire si ce montant est réellement tombé dans l’escarcelle du Trésor public. Là également seulement des rumeurs, le ministère des Finances et celui des Postes et des Nouvelles technologies, en charge du dossier gardant toujours, sur la question, un silence de cimetière. Quelle opacité ! Alors que le peuple exige désormais que l’argent public soit géré de manière responsable et transparente. Afin que le Mali ne soit plus jamais obligé de se mettre à genou à cause de l’irresponsabilité au sommet de l’Etat, cause de tous nos malheurs.
Les réponses que les ministres viennent de donner aux questions des députés, le mardi dernier, sur ces différents dossiers n’ont pas convaincu grand monde au-delà de l’Hémicycle. Ne connaissant pas le fond des dossiers, les députés ne pouvaient que s’en tenir aux explications, parfois très laborieusement fabriquées, des membres du gouvernement. Etant entendu que ceux-ci ne vont jamais étaler sur la place publique les divergences au sommet de l’Etat. Désormais de notoriété publique. Ils sont nombreux, les ministres qui sont déjà dans les petits calculs pour se remplir les poches avant la fin de la Transition.
Quand le seul ministère de la Santé achetait, par an, dix véhicules 4×4 Vx valant 50 millions F CFA l’unité, la police, la gendarmerie et les sapeurs pompiers réunis se partagent dix véhicules Toyota Land Cruiser de 17 millions l’unité. Comment un tel pays peut s’en sortir ? Quand l’Etat lui-même ferme les yeux sur les besoins des forces de sécurité, pour donner la priorité à l’amélioration graduelle du seul confort des cadres. Ce qui devait arriver arriva, il nous reste maintenant à en tirer les leçons.
Voilà une situation qui interpelle le président de la République par intérim qui a, lui au moins, une réputation d’homme intègre, honnête, responsable et soucieux du devenir du pays. Mais s’il laisse faire, il devient aussi dangereux que ces voleurs à col blanc en qui il a placé sa confiance. Dioncounda ne doit pas décevoir les Maliens. Il est temps qu’il change le fusil d’épaule ; se comporter non pas en spectateur d’une dérive collective mais en vrai acteur de la renaissance du Mali.