Diarrah Sanogo dite Bougougnery nous a reçus au lendemain de l’incident qui a opposé les migrants africains et afghans. Ces accrochages entre jeunes qui pensent que l’Europe est l’Eldorado a fait plusieurs blessés. Actualité oblige ! En tant que mère de famille, qu’est-ce que Bougougnery pense de ce drame ? ” Situation insoutenable, très dure, pour une mère d’apprendre le décès de son enfant, loin d’elle et dans des conditions misérables ou de ne plus avoir à jamais les nouvelles de sa progéniture partie à la quête de ce qu’il pense être son mieux être “, répond notre héroïne du jour.
Diarrah Sanogo est convaincue que l’immigration a toujours existé, seulement il faut comprendre ces jeunes à deux niveaux : primo, ils pensent que l’Europe et les Etats-Unis sont l’Eldorado. Secundo, dans la plupart des cas, ce sont le désespoir et le manque de perspectives qui poussent ces jeunes à tenter leurs chances en ces lieux. Et malheureusement, beaucoup d’entre eux périssent ou sont victimes des passeurs sans scrupules.
“Bonne” à tout faire !
Pour appuyer cette assertion, Diarrah Sanogo n’a pas caché son désamour pour l’immigration. Elle a eu l’occasion, à plusieurs reprises, de s’installer en Europe. Seulement, elle a découvert certaines réalités, avec des Maliens sans papiers, qui l’ont dégoutée.
Dès le début de notre entretien avec Bougougnery, nous avons fait le constat qu’elle parle un français impeccable. Au fil des minutes, nous finirons par apprendre qu’après l’Institut national des arts (Ina) de Bamako, elle a poursuivi ses études à la Flash. Et aujourd’hui, le fait qu’elle se retrouve conseillère technique au Ministère de la Culture est tout à fait logique et dénué de toute complaisance. Sans démagogie, il faut reconnaitre son sens élevé de la culture générale. Cela s’explique aussi par les expériences vécues à travers le monde entier qu’elle a sillonné et son talent de comédienne hors pair.
Pour avoir les premières traces de cette (grande) dame de la culture malienne, il faut remonter au milieu de la décennie 1980, plus exactement en 1986, quand les téléspectateurs découvrent sur le petit écran une jeune femme du nom de Bougougnery, jouant le rôle d’une aide-ménagère ou “Bonne”, sous la tutelle d’une patronne qui n’a pas le temps de s’occuper de son mari.
En plus de démontrer que les “Bonnes” occupent une place de choix dans nos foyers, cette pièce, montée et mise en scène par Habib Dembélé, dénonçait les dérives d’un régime dictatorial à l’époque. Diarrah Sanogo qui a donné un éclat et un engouement particuliers à la pièce dit n’avoir rien forcé.
En un mot, sa dextérité dans le rôle qu’elle a interprété n’est pas liée à un secret. Au moment de monter la pièce, le metteur en scène lui a tout simplement expliqué le contexte. C’est-à-dire une villageoise à Bamako, au contact du robinet, du gaz et de la télévision.
Evidemment, elle ne s’attendait pas à une telle réaction positive du public, mais dans l’art, la création est la clef de la réussite. C’est la seule explication qu’elle peut donner à son coup de maître. Première tentative, première réussite. Pourtant en jetant un regard dans la jeunesse de Bougougnery, l’on déduit facilement qu’elle n’était pas prédestinée au théâtre. Autrement dit, l’art était de loin son premier choix. Elle a opté pour l’art et la culture au moment où elle s’y attendait le moins. Sa grande sœur a beaucoup influé sur sa décision.
De la rue au théâtre…
Admise au Diplôme d’études fondamentales (DEF) en 1977, et orientée au lycée de Sikasso contre sa volonté, Bougougnery n’aura passé que quelques mois dans son nouvel établissement. Son exil pour la Côte d’Ivoire explique son dégout pour le lycée et les études. Finalement, hantée par le regret, une remise en cause lui a permis de comprendre son erreur. Elle décida de retourner au pays pour reprendre les études. Dommage que les conditions n’étaient plus favorables pour ce faire. Bougougnery se résigna et resta à la maison toujours collée au transistor de son père pour écouter les avis et communiqués relatifs aux concours de recrutement.
Elle sauta sur l’occasion quand le Ministère de la Jeunesse, des Sports, des Arts et de la culture demanda des volontaires comédiens pour le groupe dramatique. Comment a-t-elle pu impressionner pour que les responsables de ce département décident de l’envoyer à l’Ina pour y suivre des cours ? Diarrah Sanogo explique “Il m’est difficile d’expliquer les motivations du Ministère à l’époque. Mais la nature dote chaque individu de certains talents, dans des domaines différents. Pour mon cas, c’est sûrement dans l’art et la culture. Sinon, je ne force rien. Seulement, j’adapte mes talents aux rôles qui me sont confiés et le public trouve que mes prestations sont extraordinaires et permettent de faire passer le message et le but recherché dans la pièce de théâtre ou le film”.
A l’Ina, elle renforce ses capacités et ses dons naturels, dans les différentes pièces théâtrales montées et interprétées tout au long du cursus. Mais ce sont des pièces qui ne font pas l’objet de productions officielles. Elles rentrent en ligne pour les examens d’admission et ont aussi l’avantage d’initier les étudiants pour un saut dans la pratique.
Dans son apprentissage du théâtre, elle a fait chemin avec Habib Dembélé dit Guimba, Moussa Fofana dit Herbin, Koty Coulibaly de l’Ortm, Maïmouna Doumbia.
A sa sortie en 1984, elle retourne au groupe dramatique pour parfaire ses talents de comédienne et devient du coup fonctionnaire de l’Etat affectée au Ministère de la Culture. Les vraies choses commencent à ce niveau et comme annoncé plus haut, Diarrah Sanogo saisit la première occasion qui lui est offerte en 1986 pour se faire un nom. Et dès lors, elle prend le sobriquet de Bougougnery.
Du théâtre au cinéma…
Après ce premier coup d’éclat, Blonba qui avait déjà des ambitions lui fait appel pour exploiter ses talents. Durant plus de dix ans, les responsables de Blonba nouent un partenariat fécond avec la comédienne. Ils n’ont pas cherché loin, sauf que donner une nouvelle orientation à Bougougnery. C’est-à-dire le même rôle et le même nom attribué à la même personne. Diarrah Sanogo a interprété “Le retour de Bougougnery de France”, “Bougougnery invite à dîner”, “les Koteba de quartier”, “Dieu ne dort pas”.
Diarrah Sanogo n’est pas seulement la comédienne, c’est aussi l’actrice du cinéma. Fraichement sortie de l’Ina, le cinéaste Cheick Oumar Sissoko la récupère pour jouer dans le film “Niamanto” ou la leçon des ordures.
A travers ce long métrage où l’administration malienne est critiquée, on retrouve un chauffeur de patron avec des mois d’arriérés de salaires ? Conséquence immédiate : ses enfants sont exclus de l’école pendant que ceux du patron vivent dans l’opulence. Après ce premier essai, on reverra Bougougnery dans un autre film, “Finzan”.
C’est l’histoire de Nanyuman (Bougougnery) et Fily, une femme et une jeune fille qui refusent de se conformer aux règles de la tradition bambara: le lévirat, pratique selon laquelle l’épouse d’un mari défunt doit se remarier au frère cadet, pour Nanyuman, et l’excision pour Fily.
Le film Finzan, nom d’une danse à laquelle ne participent que des hommes, dénonce, à travers deux récits imbriqués, le sort fait aux femmes bambaras rebelles à la coutume.
Le premier décrit le calvaire d’une jeune veuve remariée contre son gré au frère de son mari, l’idiot du village. Elle s’enfuit chez un oncle, qui la renvoie dans son clan.
Sa cousine, elle, a échappé à l’excision dans un premier temps. Les vieux du village la lui feront malgré tout subir et l’épreuve aboutit à un scandale. Nanyuman profita de cette confusion pour s’enfuir. Dans sa fuite, elle passe un message qui met le doigt sur l’inégalité de la participation des femmes à la définition des structures politiques et économiques et au processus de production. Bref, un virulent hommage à la femme qui lutte : “Nous enfantons le monde. Il nous violente. Nous créons la vie. Elle nous est refusée. Nous produisons les vivres, mangées à notre insu. Nous créons la richesse, elle est utilisée contre nous”.
Après ces aventures, elle est sollicitée pour d’autres films, “Tadona” dans un rôle secondaire et “Les 3 caïmans” d’Abdramane Sissako, qui n’est pas encore produit.
Comme le théâtre et le cinéma, Diarah Sanogo n’a rien forcé. Elle n’a fait qu’adapter ses atouts naturels à la réalité, au désir.
Triptyque Théâtre-Cinéma-Chanson…
Déjà dans son village, à Kafana, au clair de lune, avec ses camarades d’enfance, Bougougnery s’est inculquée des notions de chanteuse attitrée, avec une voix d’or et perçante.
Au début, elle interprétait les morceaux de Coumba Sidibé. C’est cette voix pleine d’émotion qui a coupé le sommeil de feu Balla Moussa Keïta, cet autre acteur du cinéma malien.
A quelle occasion ? Bougougnery dévoile un point de son parcours : “Au tournage du film Finzan, j’étais en train de chanter seule dans ma chambre. Balla Moussa, en attendant ma voix, a cru avoir à faire à un magnétophone. Venu à la découverte du chant qui l’a beaucoup émerveillé, il a été surpris quand je lui ai dit que c’est moi qui était en train de chanter. Il m’a fait reprendre la chanson. Très séduit, le vieux Balla Moussa m’a encouragé à tenter cette autre aventure. A l’instant, j’ai décidé d’abandonner les morceaux de Coumba Sidibé pour purger dans le terroir Sénoufo. Dieu merci, cela a été une réussite”. Durant sa carrière, Diarrah Sanogo ne se rappelle pas de mauvais souvenirs. Ce qui fait que les tournées à travers le monde ont été pour elle une occasion d’être au contact d’un public appréciable. Ce contact est un facteur d’autoévaluation pour corriger ses lacunes et se corriger en fonction des attentes du public. Le théâtre qui lui a tout donné fait partie de sa vie. C’est-à-dire qu’elle n’entend pas se défaire de l’art. Aujourd’hui, elle est conseillère technique au Ministère de la Culture. Auparavant, à sa sortie de la Flash, elle a dirigé, au palais de la culture, la Division artistique. Avec Diarrah Sanogo, nous avons eu la preuve de l’adage selon lequel : “A cœur vaillant, rien d’impossible”.