Lors de son interpellation par les députés, le colonel-ministre chargé des élections s’est montré aussi « intraitable » sur le respect de la date de juillet que François Hollande, le nouveau roi du Mali avec résidence à Paris.
La semaine dernière, les Maliens ont assisté, devant leur petit écran, à l’interpellation parlementaire du gouvernement au sujet de l’élection présidentielle prévue pour juillet 2013. C’est-à-dire dans deux petits mois.
Ce fut l’occasion pour l’auguste Assemblée de vérifier qu’elle garde encore le pouvoir d’interpeller le gouvernement; en effet, à la belle époque du Premier ministre de « pleins pouvoirs », Cheick Modibo Diarra, aucun ministre n’a daigné répondre aux interpellations d’un député et l’astrophysicien lui-même n’a présenté aux députés ni déclaration de politique générale, ni feuille de route, ni encore moins tableau de bord. Il avait la conviction que nul élu ne pouvait contrôler sa navette spatiale. D’où le futur crash de l’engin dans le ciel de Kati où règne un certain capitaine de mes amis.
Le débat parlementaire fut aussi l’occasion de se rappeler (pour ceux qui l’auraient déjà oublié) que le régime malien est bel et bien militaire. Tous les trois ministres interpellés étaient des galonnés de première catégorie : le général Yamoussa Camara, ministre de la défense; le général Tiefing Konaté, ministre de la Sécurité intérieure, et le colonel Moussa Sinko Coulibaly, ministre de l’Administration Territoriale. Comme si, sous nos tropiques, les choses sérieuses ne sont confiées qu’à des hommes en treillis! Le colonel-ministre de l’Administration Territoriale, qui assume, dans l’organisation de l’élection, la tâche principale, n’a pas la langue dans la poche ni ne manie la langue de bois. On l’a découvert à travers ses réponses aux députés…
A la question d’un député de savoir si l’élection présidentielle pourra vraiment se tenir en juillet, en pleine saison des pluies, le colonel-ministre Coulibaly répond sans prendre de bottes, pardon!, sans prendre de gants: « Quand les troupes françaises venaient, en janvier 2013, au secours de notre pays, il pleuvait dans leur pays. Pourquoi devrions-nous reporter les futures élections pour cause d’hivernage? ».La comparaison que fait gaîment le colonel-ministre n’est pas du genre que l’on ose dans les salons diplomatiques mais il faut bien avouer qu’il a raison au fond: si les pluies n’ont pas empêché les salvateurs combats contre les jihadistes, elles ne devraient pas empêcher un citoyen de voter. A moins que ledit citoyen ne soit pas très décidé, faute d’avoir reçu des candidats un sac de mil, une liasse de billets ou le traditionnel colis de pagnes Wax. Bien entendu, le taux de participation électorale, par temps de pluies, peut raser le plancher (10 ou 15%, par exemple) mais ça, c’est le cadet des soucis du brave ministre Coulibaly, n’est-ce pas?
Deuxième question des députés à l’excellent ministre-colonel Moussa Sinko Coulibaly:« L’élection de juillet va correspondre au mois de carême: cela ne sera-t-il pas gênant pour la mobilisation des électeurs? ». Réponse, aiguisée au couteau-commando, de l’officier:« Nous sommes en train de combattre les jihadistes du nord parce nous tenons à la séparation de l’Etat et de la religion. Par conséquent, le carême n’a rien à voir avec les élections et ne peut servir de prétexte pour les reporter! ». Euh…Là, je crois que mon colonel a trop compris la notion de laïcité. Cette vieille notion, qui signifie ce qu’elle signifie, n’empêche nullement de tenir compte des contraintes qui pèsent, au mois de carême, sur les fidèles musulmans lesquels, selon les statistiques courantes, constituent 95% de l’électorat. En clair, le carême fait peser sur 95% des électeurs potentiels la faim, la soif, la fatigue et, peut-être, des difficultés financières et sociales.Toutes choses qui rendent préférable de tenir l’élection dans un autre mois que celui du ramadan. De là à parler d’atteinte à la laïcité et de sympathie avec les jihadistes d’Abou Zéid ou de Belmokhtar, il y a un océan de sable que seul un colonel-ministre diplômé de Saint-Cyr peut s’amuser à sauter !
A bien écouter le colonel Moussa Sinko Coulibaly, on se rend compte qu’il a lu sur les lèvres et dans les yeux du président français, François Hollande, avant de venir s’adresser à l’Assemblée nationale du Mali.Le président français a, en effet, publiquement promis de se montrer « intraitable » sur la tenue de l’élection présidentielle malienne en juillet 2013. Et quand François Hollande dit « intraitable », cela veut dire « intraitable », ce qui s’appelle« intraitable ». Même un type têtu comme Iyad Ag Ghali sait ce que cela coûte de tenir tête à l’« intraitable » Hollande ! Aux dernières nouvelles, pour avoir défié les ultimatums de François Hollande, Iyad reposerait par trois mètres sous terre. Or donc, non seulement Hollande se montre effectivement « intraitable » sur le dossier électoral malien, mais en outre, il envoie régulièrement ses ministres rappeler sa position aux autorités de ce pays récemment délivré, par ses soins, de la colonisation jihadiste. A la suite du chef de la diplomatie, Laurent Fabius, le ministre de la défense Jean Ives Le Drian a tenu le message lors de son séjour au Mali: l’élection doit se tenir en juillet!
Pourquoi Hollande et ses ministres s’accrochent-ils à ce point au mois de juillet comme si le calendrier grégorien ne contenait pas d’autres mois ? J’y vois deux raisons principales. D’abord, Hollande a très mal pris le fait que son prédecesseur, Nicolas Sazkozy, l’ait accusé d’avoir volé au secours d’un « régime putschiste »: il veut donc, dans les meilleurs délais, un régime démocratique au Mali. Ensuite, les Etats-Unis, frère aîné de la France, ne veulent pas travailler avec un pouvoir de transition qui sent à plein nez la main-mise des pustchistes. En outre, l’ONU ne veut rien faire au Mali tant qu’un président élu, débarrasé de l’emprise des putschistes, n’a pas pris ses quartiers à Koulouba. Or sans l’ONU et la superpuissance américaine, la France, malgré sa bonne volonté, ne peut durablement porter le fardeau (environ 70 milliards de FCFA par mois!) de la guerre et du maintien de la paix au Mali. François Hollande n’est pas du tout prêt à continuer à mettre 70 milliards dans le gouffre malien simplement parce que des gens ne veulent pas aller voter sous la pluie !
Autant le colonel-ministre Coulibaly fut « intraitable » dans ses réponses aux députés, autant il le fut à l’égard de la CENI. Quand le président de cette institution, l’imam Mamadou Diamounténé, a prétendu n’avoir pas assez de fonds pour superviser l’élection, le colonel a failli lui indiquer le chemin de Dakar, devenue, depuis le 22 mars 2012, une terre d’exil du « Vieux Commando » et des Maliens les plus dérangeants.