L’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali ? On en parle de moins en moins. Sur la question, c’est un calme plat. Il fragilise davantage l’Etat, met à nu ses insuffisances, il profite aux rebelles. Les voici, tranquilles à Kidal, un des leurs à la tête de l’autorité intérimaire qui y a été installé à leur grande satisfaction, au grand dam de la République. La question se pose : le processus n’est-il pas bloqué ? Question que suggèrent les issues des dernières réunions du CSA (Comité de Suivi de l’Accord). D’où la question de notre précédente livraison : face à la rébellion, les réactions ont-elles appropriées ?
Quand elle a éclaté en 1963, sous une forme plutôt archaïque, Modibo Keïta, soucieux d’édifier un Etat moderne ne souffrant d’aucune force centrifuge, l’a maté avec la dernière rigueur avant de jeter les bases du développement de la région. En 1990, Moussa Traoré, après l’avoir circonscrite militairement, a offert à la même région, la possibilité de mieux s’intégrer à la République grâce à une décentralisation mûrement réfléchie.
Après sa chute, ont commencé les longs processus aboutissant à des accords impossibles à mettre en œuvre. Le coup d’envoi en est donné par Amadou Toumani Touré sous la Transition. Il veut imprimer son cachet au traitement de la question. Sur les conseils d’Edgard Pisani, il va se laisser « trimbaler » de Ségou à Mopti, de Mopti à El Goléa, d’El Goléa à Alger où, après trois rounds de négociations, est signé, dans la précipitation, le « Pacte National … consacrant le statut particulier du Nord du Mali ».
Alpha Oumar Konaré en hérite, veut gérer le dossier par le verbe. Lui aussi se laissera « trimbaler », de Bamako à Tamanrasset, de Tamanrasset à Tripoli pour des négociations à valises ouvertes avec les rebelles. L’échec est au bout de l’entreprise. Une guerre civile larvée se déclare dans le Nord. Les rencontres intercommunautaires ramènent la paix. Mais les résolutions du Pacte ne peuvent être mises en œuvre. Aussi, de retour au pouvoir, Amadou Toumani Touré aura-t-il à gérer trois rébellions : 2006, 2007 et 2012. Avec l’aide de la médiation algérienne, il trouve une solution aux deux premières, la troisième emportera son régime. Pour avoir refusé de faire la guerre, il l’a imposée au peuple malien.
Ibrahim Boubacar Keïta hérite du dossier. D’entrée de jeu, il adopte le ton de la fermeté : « Je ne me laisserai pas trimbaler », « Nul homme armé ne se hissera à ma hauteur ». Le résultat est connu : les avancées obtenues avec l’Accord préliminaire de Ouagadougou sont perdues et, à la suite de la mésaventure de Kidal (mai 2014), la majeure partie du Nord est perdue. Il a fallu s’y résoudre : se laisser « trimballer ». Au bout de cinq rounds de négociation est signé l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger. Le texte est d’une perfection telle que sa réalisation se situe au-dessus de toute capacité humaine.
Aujourd’hui, dans le Nord, l’Etat n’est présent que dans les agglomérations le long du fleuve. L’armée nationale a cessé d’être présente à Aguelhok, Anéfis, Ber, Djebock, Tabankort, Tinzawatène. Si elle l’est à Ménaka et à Tessalit, c’est pour se résoudre à accepter d’y être cantonnée. L’armée nationale obligée de s’imposer l’immobilisme sur le territoire national !
A cause des réactions inappropriées, la rébellion triomphe. Cependant, elle doit comprendre que le temps joue contre elle. Tôt ou tard, cette situation de ni guerre ni paix prendra fin. Les populations l’exigeront, au nom de leur sécurité et de leur développement. La Communauté internationale sera obligée de s’investir pour lutter à la fois contre le terrorisme qui menace ses intérêts et le trafic de drogue. L’Etat ne saurait rester passif. Une réaction appropriée est attendue de sa part. Comment va-t-il s’y prendre ? Vaste question à laquelle les aspirants au pouvoir en cette année électorale devront proposer au peuple une réponse. Mais, d’avance, ils devront méditer cette phrase du médiateur français lors des négociations de Linas-Marcoussis. A la délégation gouvernementale qui faisait observer que trop de faveurs sont accordées aux rebelles, le médiateur a répondu : « Ce sont eux qui ont les armes. » Le verbe seul, la bonne volonté seule ne suffisent pas : un Etat se fait respecter adossé à une puissante armée.