En 2013, le président Ibrahim Boubacar Keïta accédait à la magistrature suprême avec un score jamais enregistré depuis l’avènement de la démocratie au Mali. La ruée des Maliens vers les urnes pour choisir le candidat du Rpm a étonné plus d’un. Aussi, les militaires et les religieux ne s’étaient autant affichés en faveur d’un candidat qui a su embobiner tout le monde. L’exercice du pouvoir ayant brisé le mythe, IBK est aujourd’hui en froid, non seulement avec son peuple, mais aussi avec tous ces soutiens d’hier, mêmes ceux qui se sont invités à la table du partage du gâteau après l’élection. C’est le clash avec les putschistes, la distance avec les religieux… Au même moment, la Convention des partis politiques de la majorité présidentielle (CMP) vole en éclats. A un pas de la prochaine présidentielle.
Autour du président IBK, adulé hier, tout s’écroule comme un château de cartes. Même le petit cercle d’opportunistes, qui se veut mordicus une majorité présidentielle digne de ce nom, n’est pas épargné par la tempête. Certains ayant été tout simplement snobés durant le mandat, et d’autres, pour avoir été sevrés alors que leurs appétits étaient loin d’être satisfaits, ont déjà lâché le président IBK. Dans le navire CMP, il n’y a plus que le Rpm, déliquescent, et une poignée de partis politiques méconnus du tiers des Maliens.
L’ADP-Maliba a donné le ton. Au sortir d’une réunion extraordinaire tenue le 11 juillet 2016, ce parti, créé en 2013 avec quatre députés, a décidé de suspendre sa participation à toutes les activités de la majorité présidentielle. Quelques jours plus tard, il claque définitivement la porte. Et étale le régime sur la place publique : «La situation générale du pays est inquiétante à bien des égards. Le processus de paix est à la traine, l’économie nationale ne profite pas aux populations, l’image du pays est fortement écornée par des scandales à répétition restés impunis», avait déclaré son président, Amadou Thiam. Ce fut un lever de boucliers. L’ADP-Maliba est vite rejoint par Sadi pour former un nouveau groupe parlementaire. Et Oumar Mariko, leader de ce parti, a aussitôt enfoncé le clou… Motif invoqué pour justifier son départ de la CMP ? L’échec de la gouvernance IBK. Et pour preuve, il déballe les mauvaises pratiques orchestrées à l’Assemblée nationale, où des députés auraient, par exemple, bénéficié de marchés en violation flagrante des textes.
Alors que les Maliens n’avaient pas fini de commenter le départ fracassant de l’ADP-Maliba et de Sadi, Racine Thiam abandonne son poste de Directeur de la communication de la Présidence. Le jeune Thiam, président du parti CAP, n’en pouvait plus de supporter son patron, carrément coupé des réalités du pays. Coup de tonnerre ! Racine formalise, le 28 octobre 2017, son rapprochement avec l’URD, principal parti de l’opposition.
Puis vint le tour du parti Yelema de l’ancien Premier ministre Moussa Mara de lâcher ses alliés d’hier. Retrait acté lors du 2è congrès du parti, les 18 et 19 novembre 2017 à Mopti. Contrairement au CAP, Yelema n’a pas rejoint l’opposition, préférant adopter une position médiane. Et dernière fissure au sein de la majorité présidentielle : le départ du Congrès d’initiative démocratique (CNID- Faso Yirawa Ton. On s’y attendait, depuis la cérémonie de présentation de vœux de Me Mountaga Tall, président du parti, à la presse. A l’occasion, il n’avait pas été tendre avec le régime en place. « La gouvernance en cours sera soumise à la sanction du peuple qui aura le dernier mot à l’issue d’élections démocratiques et transparentes », avait laissé entendre Me Mountaga qui a même souhaité la fin du régime d’IBK « afin qu’on mette un terme à la comptabilité macabre des Maliens et autres amis venus nous aider ».
En outre, l’Adema-Pasj, principal soutien du RPM, est traversé par des velléités de rupture. Le parti de l’Abeille solitaire a décidé de présenter un candidat à la prochaine présidentielle contre le président Ibrahim Boubacar Keïta. Donc, un allié de moins pour le RPM qui n’est pas non plus épargné par les secousses. Depuis le début de la législature en 2013, plus de 5 députés ont claqué la porte du parti présidentiel. La dernière en date est celle du très populaire Niamé Keïta, élu à Nara. Celui-ci, en démissionnant du Rpm, a également dénoncé la mauvaise gouvernance et l’incapacité du régime à répondre aux aspirations des populations.
En dehors de la CMP, IBK est aussi abandonné par certains religieux influents et des militaires qui, sous l’impulsion de la junte de Kati, ont contribué à son ascension. Nul besoin de rappeler qu’aussitôt installés à Kati à la faveur du coup d’Etat du 22 mars 2012, les militaires ont ouvertement prouvé qu’ils ont pris le pouvoir pour IBK. A cet effet, les tractations entre Kati et Sébénicoro n’étaient qu’un secret de polichinelle, alors qu’au même moment, des leaders politiques étaient interpellés et maltraités. Mieux, IBK est resté très discret au moment du coup d’Etat… Fin tacticien, il avait pris soin de ne pas condamner le putsch militaire du capitaine Amadou Haya Sanogo et sa bande. Par ailleurs, tout le monde se souvient que le Rpm a rapidement quitté le FDR (le front anti putsch) auquel il n’a d’ailleurs jamais adhéré réellement. Aussi, l’opinion a pu découvrir les moyens déployés, ainsi que les stratégies et intimidations employées dans et en dehors des garnisons pour faire élire IBK qui, une fois sur les hauteurs de Koulouba, a tourné le dos à junte. Aujourd’hui, Amadou Haya et toute sa bande sont enfermés entre quatre murs…
Et ceux qui ont été épargnés, à juste titre d’ailleurs, sont aujourd’hui très amers contre le président Keïta. Il s’agit notamment du Général Moussa Sinko Coulibaly qui ne rate plus aucune occasion pour fustiger la gestion d’IBK. « Pendant ces premières années, le pays n’a progressé dans aucun secteur de la vie de l’Etat. Au contraire, nous avons régressé dans tous les domaines. L’insécurité s’est généralisée, la corruption est devenue un mode de gouvernance, la justice est à plusieurs vitesses et les gouvernants (le président Keïta et son équipe) ne s’occupent que de leurs propres affaires », selon Moussa Sinko. Il estime que IBK doit démissionner pour abréger la souffrance des Maliens ou ne pas se représenter pour continuer de se moquer du peuple.
Autres soutiens d’IBK qui l’ont lâché ? Les religieux qu’il avait charmé avec des discours emberlificoteurs. En 2013, le candidat du Rpm a joué à fond la carte de l’islam. Ainsi, il ne commençait jamais ses meetings sans déclamer quelques versets du Coran. Convaincus de la bonne foi d’IBK, le Haut conseil islamique a créé une plateforme politique baptisée «Sabati 2012» qui a auditionné plusieurs candidats à la présidentielle, avant de trancher en faveur d’IBK. «Après l’avoir entendu pendant trois heures, nous avons estimé qu’il était le mieux à même de diriger le pays au moment où nous sortons de la plus grave crise de notre histoire», confiait à la presse Moussa Boubacar Bah, le président de Sabati, par ailleurs chargé de la jeunesse au sein du HCI. «Nous ne sommes pas un parti religieux et notre action s’inscrit dans le cadre de la République laïque et multiconfessionnelle du Mali. Notre but est simplement d’avertir les politiques sur la défense de nos valeurs. Nous sommes notamment opposés à la diffusion d’une culture mondialisée qui tend à imposer certaines normes internationales dans lesquelles nous ne nous reconnaissons pas : l’homosexualité, l’euthanasie, etc.», expliquait Moussa Boubacar Bah. Certes, durant cette élection, IBK s’était gardé de reprendre à son compte les thèmes du HCI, mais il avait accueilli avec bienveillance le soutien de cette structure, très influente. Notre confrère Le Sphinx était allé plus loin en dévoilant un contrat secret qui liait IBK et les leaders religieux musulmans ; une entente conclue à la veille de l’élection présidentielle de 2013. Le fameux deal prévoyait la relecture du Code de la famille non plus par l’administration et l’Etat, mais cette fois-ci par un groupe de travail sous l’égide du Haut Conseil Islamique du Mali ; interdiction des débits de boisson, boites de nuit et maisons closes ; interdiction des films pornographiques et érotiques ; interdiction totale des jeux de hasard ; aménagement des lieux de prière dans les ministères et les administrations publiques au frais de l’Etat avec une participation des musulmans. Ajoutez-y la réaffirmation par décret du caractère sacré du mois de Ramadan avec interdiction des festivités et fermeture des débits de boissons, des boites de nuit et des centres de loisirs ; la médicalisation de l’excision et non pas suppression de cette pratique ; la prise en charge des imams des mosquées de vendredi et leurs adjoints par un salaire net d’impôts de 300 000 F CFA pour les premiers et 200 000 F CFA pour les seconds ainsi que l’instauration d’une allocation annuelle à allouer aux mosquées de vendredi. Sans commentaire!
Au-delà du Haut conseil islamique, Mohamed Ould Cheicknè, le Chérif de Nioro, a pesé lourd et même très lourd dans le plébiscite d’IBK. Plus de quatre ans après, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. La confiance a pris un coup.
Aujourd’hui, ni le Chérif, ni Mahmoud Dicko, encore moins Moussa Boubacar Bah de Sabati 2012, ne sont en bon terme avec IBK. L’absence très remarquée du Président du Haut Conseil Islamique, Mahamoud Dicko, à la cérémonie de présentation des vœux de nouvel an à Koulouba, une première depuis quatre ans, est illustrateurs du malaise qui règne entre le chef de l’Etat et ses désormais ex-alliés. Aussi, Dicko est, ces derniers mois, devenu très critique à l’égard de la gestion du régime.
Pour les uns, cette rupture entre le président Keïta et ses alliées est tout simplement le signe de la mauvaise gouvernance au sommet de l’Etat. IBK n’a pas su donner une réponse aux attentes légitimes du peuple malien.