Au Mali, les conditions sécuritaires restent inquiétantes cinq ans après l’intervention militaire franco-africaine pour chasser les groupes terroristes qui écumaient le nord du pays. Les forces armées maliennes et étrangères présentes au Mali continuent de payer un lourd tribut dans une guerre qui ne dit pas son nom. Il y a deux jours, deux militaires français de la force Barkhane sont morts, venant s’ajouter à une liste déjà longue. Des voix émergent pour remettre en cause le contreterrorisme musclé appliqué au Mali et dans une région sahélienne ployant sous de nombreux défis : éducation, islam radical, sécurité, pauvreté…
Deux soldats français sont morts avant-hier, venant s’ajouter à une longue de liste de militaires français tombés sur un front malien voire sahélien qui n’existe pas. Pensez-vous que cela pourrait amener la France à changer de cap, c’est-à-dire ne plus donner la priorité au contre-terrorisme musclé qu’elle applique ?
Ne soyons pas naïfs. Les troupes françaises, avec leurs amis maliens, africains et européens voire américains, sont déjà engagées dans des opérations de renseignement, via drones, écoutes téléphoniques et personnel infiltré aux quatre coins du pays. De ce côté-là, l’attaque près de Tinzawaten en début de semaine, qui s’est soldée par la mort de plusieurs jihadistes dont un proche de Iyad Ag Ghali, prouve que l’opération Barkhane n’est pas complètement à côté de la plaque, comme certains voudraient le croire ou le dire. D’ailleurs, je constate que les tribunes anti-Barkhane sont écrites par des experts parfois français mais qui travaillent tous pour la plupart pour des institutions anglo-saxonnes, dont on connait la propension à critiquer tout ce que fait la France en Afrique. Je ne suis pas non plus un béni-oui-oui de l’intervention française au Sahel, mais une chose est sûre, quoiqu’on dise sur ses résultats concrets, si les Français partaient aujourd’hui, les jihadistes planteraient leur drapeau noir à Bamako dans les semaines qui suivraient. Même si le G5 Sahel est une noble idée, et qu’il faut demain que l’Afrique assure sa propre défense, ces armées ne sont pas assez expérimentées et tout à fait au point, face à un ennemi qui certes est local (peul ou touareg), mais qui de plus en plus prend une forme internationale, avec l’arrivée dans la zone de combattants aguerris en provenance d’Irak, de Syrie ou d’Afghanistan. C’est une guerre mondiale qui se profile qui va durer aussi longtemps qu’il existera de trop grosses différences économiques et sociales entre nord et sud. D’où le défi du développement.
Maintenant, comme l’a dit fort justement le président IBK (Ibrahim Boubacar Keïta, ndlr), dans une récente interview accordée au Monde, « l’ennemi est invisible ». Je le sais, puisque j’étais en juillet dernier « embbeded » dans un convoi militaire franco-malien entre Ansongo et Indelimane- j’en parle dans mon livre Mali Au-delà du Jihad-, là même où le nouveau groupe État islamique dans le grand Sahara, dirigé par l’émir Adnan Abou Walid al Sarahoui, frappe régulièrement par surprise. On met trois jours pour faire 100 kilomètres, et l’on ne voit personne. Ça s’appelle du « maillage », on marque sa présence. Mais les jihadistes disparaissent le temps du convoi et reviennent. Pas sûr que ça soit efficace effectivement. En plus, ça demande beaucoup de moyens. C’est d’ailleurs la zone où les deux militaires français sont morts cette semaine en passant avec leur véhicule sur une mine. Alors, pour connaitre la réalité du terrain, effectivement, c’est très difficile de sécuriser chaque parcelle du Mali. Le pays est vaste. Il est clair que la guerre est aussi dans une plus grande collaboration avec les populations locales, dont on sait parfois les accointances, faute de vraie réponse à leurs problèmes quotidiens. Seul le développement et l’éducation pourront venir à bout du terrorisme. Mais ça ne se fera pas par un coup de baguette magique. Il faut du temps, et on le sait, pas de sécurité sans développement et pas de développement sans sécurité. C’est le serpent qui se mord la queue.
La solution au Mali peut-elle passer par la négociation avec les djihadistes qui sont maliens, à savoir Iyad ag Ghaly, Hamadoun Kouffa…?
Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut faire revenir Iyad Ag Ghaly dans les discussions. Pourquoi ? Parce qu’il est Malien, et qu’il a d’immenses liens familiaux du côté de Kidal. Ok, c’est un terroriste. Mais, pour le coup, je le considère moins dangereux qu’un Belmoktar ou un autre fanatique d’Aqmi (Al-Qaëda au Maghreb islamique, ndlr). Je pense que c’est un homme qui s’est enfermé dans une logique de guerre, parce qu’on lui a refermé toutes les portes du dialogue. C’est un homme acculé. Je n’ai pas oublié ce qu’on a raconté sur lui, qu’il aimait faire la fête, qu’il jouait de la basse avec Tinariwen. Tous ceux qui m’ont parlé d’Ag Ghaly me l’ont décrit comme un type sympa autrefois, qui s’est perdu dans l’islamisme radical. Cela ne veut pas dire qu’il faut le blanchir, il a du sang sur les mains. Mais, il faut trouver un compromis. Disons que je le trouve moins dogmatique que les illuminés d’Aqmi ou Daech. Et là, je lui trouve un tout petit peu de crédit. D’ailleurs, que ce soit IBK ou ATT (Amadou Toumani Touré), ils ont longtemps discuté avec lui. La France doit peut-être davantage écouter les solutions africaines à un tel conflit. Quant à Kouffa, c’est à peu près la même chose, en plus d’être radical et peut-être encore plus opportuniste.
« Mais qu’ils n’oublient jamais, les Maliens, que leur culture, ce n’est pas Victor Hugo pas plus que Mahomet, c’est les chasseurs Donzo, c’est les griots, c’est les fétichistes, c’est les sorciers, c’est tout ça la richesse du Mali, son origine, sa culture ».
Quel regard portez-vous sur l’évolution de la situation sécuritaire au Mali ?
Je trouve que ça va mieux qu’en 2012. Souvenez-vous de la peur qui avait gagné Bamako à la fin novembre 2012. Je me souviens, j’y étais, et je ne reconnaissais plus la rue. Il y avait dans cette ville d’habitude vivante, une lourdeur dans l’air : la peur que les jihadistes déferlent sur Bamako pour y planter leur drapeau noir. Dans mon livre, vous avez vu comment en parlaient à l’époque des gens comme Salif Keita ou même Oumou Sangare. Ils se préparaient à la guerre ! On n’en est plus là, mais la menace perdure, car les groupuscules se sont réorganisés, renforcés, notamment avec l’arrivée sur le territoire malien de combattants aguerris en provenance d’Irak ou de Syrie via la Libye. On est passé d’une guerre sahélienne à une guerre mondiale. Je le crains, et le Mali paye les frais de sa gentillesse. Moi, je me souviens toujours de ce beau Mali ensoleillé et lumineux lorsque j’y étais pour la première fois en 2002. A l’époque, le malien moyen allait à la mosquée une fois de temps en temps, les femmes n’étaient pas voilées comme aujourd’hui, on allait au maquis le soir, danser comme dans les photos de Malick Sidibé, les femmes se lavaient dans le fleuve Niger à moitié nue, il y avait les bals poussières. Regardez comment l’islam radical s’est propagé en 10 ou 15 ans là où l’état a reculé. C’est ça le vrai danger, et c’est contre cet obscurantisme là qu’il faut lutter, en renforçant l’éducation publique, laïque au détriment de ces écoles coraniques, qui, malheureusement bien souvent, préparent le terrain du fanatisme… Les gens se tournent vers le plus offrant. Mais qu’ils n’oublient jamais, les Maliens, que leur culture, ce n’est pas Victor Hugo pas plus que Mahomet, c’est les chasseurs Donzo, c’est les griots, c’est les fétichistes, c’est les sorciers, c’est tout ça la richesse du Mali, son origine, sa culture. Et tout cela est mis en péril, par cette colonisation des esprits à travers un islam intolérant.
« Les présidents se suivent et se ressemblent. Chacun protège son clan. La corruption n’a pas disparu. L’opposition promet le grand changement et à chaque fois c’est pareil, la même démission, la même trahison ».
Et sur le plan politique ?
Sur le plan politique, je ne vois pas d’amélioration… Les présidents se suivent et se ressemblent. Chacun protège son clan. La corruption n’a pas disparu. L’opposition promet le grand changement et à chaque fois c’est pareil, la même démission, la même trahison. Le président IBK aime beaucoup le mot « Excellence », qu’il commence par balayer devant sa porte. Je pense qu’IBK ne fait pas un sale boulot, il fait ce qu’il peut et qu’on arrête de le rendre coupable de tout, mais là où il est impardonnable, c’est que les affaires ont explosé sous son mandat. Et là, s’il veut prétendre rester au pouvoir, il doit impérativement s’entourer de gens honnêtes au service du pays. Quant aux opposants, je les attends au tournant. Je pense qu’il faut une nouvelle génération d’hommes politiques moins dogmatiques, plus concrets.
« Je pense qu’IBK ne fait pas un sale boulot, il fait ce qu’il peut et qu’on arrête de le rendre coupable de tout, mais là où il est impardonnable, c’est que les affaires ont explosé sous son mandat ».
Pensez-vous que le problème au Mali soit seulement le terrorisme et la rébellion armée ?
Le problème du Mali, c’est le niveau très bas d’éducation. Les niveaux d’analphabétisme touchent des niveaux record. Comment voulez-vous qu’on vote sincèrement avec motivation quand on ne sait même pas lire le nom du candidat sur un bulletin de vote. Pas d’éducation, pas de culture politique et d’opinion indépendante.
« Depuis, les autorités successives ont reculé et laissé la place à des idéologues religieux venus de l’étranger, la plupart du temps, des pays du golfe. Pas d’éducation, pas de développement local. Où sont les techniciens maliens ? A Paris ! En Europe ! »
Le vrai problème il est là, c’est la démission de l’état malien depuis Modibo Keita qui est le seul à avoir misé sur cette mission au début de son mandat. Depuis, les autorités successives ont reculé et laissé la place à des idéologues religieux venus de l’étranger, la plupart du temps, des pays du golfe. Pas d’éducation, pas de développement local. Où sont les techniciens maliens ? A Paris ! En Europe ! Pas d’éducation, pas de mémoire. Donc, en 20 ans le Mali ne ressemble plus à ce qu’il était, et il n’y a que des gens comme vous et moi pour s’en souvenir, car les autres n’ont pas de repères. Et n’oublions pas que 50 ou 60 % de la population à moins de 25 ans. Ce n’est pas du mépris, bien loin de moi, car je pense que les maliens sont des gens extrêmement fins, humbles et philosophes ; mais ils se sont laissés piéger par les discours faciles, populistes, comme souvent là où la pauvreté et les inégalités croissent.
Sur le terrain avec les forces de sécurité du Mali
Au-delà du djihad, quel regard portez-vous sur le Mali d’aujourd’hui ?
J’ai beaucoup voyagé dans ma vie. J’ai vécu en province en France, je suis breton né à Vannes, j’ai grandi jusqu’à mon adolescence à Nantes, puis je suis devenu parisien d’adoption. J’ai vécu ensuite à Buenos Aires, Madrid, Antananarivo, Bamako deux ans entre 2006 et 2008, Caracas, etc. Et c’est ce qui m’a permis d’avoir du recul parfois sur beaucoup de réalités notamment en Afrique et d’éviter d’être dans la posture ou la critique facile. Je dis souvent aux diplomates ou journalistes français : « arrêtez d’avoir une vision franco-africaine du Mali ! Prenez la distance, le monde a évolué ». Je veux dire par là : il y a ceux qui défendent le vieux schéma postcolonial et ceux qui le caricaturent en permanence, et en réalité, aucune de ces deux opinions dominantes ne font avancer les choses. Pour ma part, de vivre à Caracas entre autres, ça m’a permis d’avoir un regard différent sur la France, et de minimiser souvent les fautes, les responsabilités des uns et des autres, ou plutôt de les mettre toutes sur le même niveau. La France a sa part de responsabilité sur la crise au Mali. Mais ça reste, le plus fidèle soutien de ce pays aujourd’hui. Maintenant, c’est dit, on avance. Le Mali est à nouveau souverain depuis 1960, c’est donc le premier responsable de cette situation chaotique. Alors qu’il ne se trouve pas de fausses excuses ou de bouc émissaire.
Tout ça pour dire quoi ? J’ai fait le tour du monde et je me rends régulièrement au Mali depuis 2002. J’étais encore à Gao, en juillet 2017. Je pense sincèrement que le Mali est l’un des plus beaux pays du monde, que le Mali est l’un des plus riches culturellement du monde, que les Maliens sont les gens les plus sympathiques et ouverts que je n’ai jamais connus dans ma vie. Peut-être qu’ils étaient trop bons et que certains esprits pervers en ont profité. Je pense sans vouloir plagier un célèbre film de Sergio Leone, qu’il vaut mieux être le bon, que la brute ou le truand dans l’histoire. De par mon métier de reporter, j’ai fait le tour du monde, alors si j’ai un petit conseil d’ami du Mali, à donner, c’est que les Maliens n’oublient jamais ce qu’ils sont, qu’ils restent des gens humbles, philosophes et ouverts, qu’ils ne s’enferment pas dans un socle culturel ou religieux qui n’est pas le leur, qui n’a rien à voir avec leur histoire. Et si les Maliens ont des doutes, qu’ils relisent la charte du Manden, pleine de tolérance et d’humanisme.