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Gouvernance foncière: les prédateurs défient l’État
Publié le jeudi 1 mars 2018  |  Info Matin
Cérémonie
© aBamako.com par A.S
Cérémonie de remise de logements sociaux
N`tabacoro, le 30 juillet 2015. Le premier ministre a procédé à la remise officielle des logements sociaux de la localité à leurs bénéficiaires.
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De nos jours, la terre fait l’objet d’une convoitise dans tous les centres urbains et périurbains avec leur lot de conflits sociaux. L’État, sous le diktat des prédateurs fonciers, est lui-même régulièrement au rang des victimes comme en témoignent les affaires de la zone aéroportuaire de Bamako-Sénou, le site des logements sociaux de N’Tabacoro, Kati, Dio-Gare, et le tristement célèbre dossier de Souleymanebougou. Entre temps, l’Etat est balloté entre menaces, démission et compromission !

Depuis des mois, des logements sont en train de pousser sur les titres fonciers de l’État de la zone aéroportuaire, malgré les menaces et communiqués officiels de mis en garde du ministre de tutelle.
Samedi dernier, le ministre de l’Habitat et de l’urbanisme, lors d’une visite des chantiers des logements sociaux de N’Tabacoro, a désespérément constaté un autre spectacle de la même nature (morcellement et construction anarchique du le lit du marigot, mettant en danger toute une cité, et sur les voies d’accès aux chantiers) ; à Souleymanebougou où l’Etat a porté plainte contre des prédateurs fonciers pour avoir morcelé et vendu un titre foncier de l’Etat, le dossier est pendant au niveau de la Justice.
Au même moment, les conflits fonciers continuent de menacer la quiétude sociale dans notre pays. Où va alors le Mali ?

Gouvernance foncière compromise
Aujourd’hui, l’amélioration de la gouvernance foncière doit être l’une des priorités gouvernementales et le tout nouveau chef du département est particulièrement attendu sur ce terrain afin de renforcer les acquis et préserver ce qui peut encore l’être, pour la paix et la quiétude sociale dans notre pays.
De nos jours, la pratique de la prédation foncière a atteint une proportion inquiétante et c’est le bien collectif qui subitement perd sa vocation au profit des droits individuels.
Les deniers constants de terrain en date, en la matière, remontent au samedi 24 février 2018.
Au terme d’une visite inopinée sur les chantiers des logements sociaux de N’Tabacoro, deux membres du gouvernement ont assisté au spectacle désolant : uneoccupation sauvage des voies d’accès, des servitudes et même le lit des cours d’eau qui traversent le site desdits logements.
Un programme gouvernemental où le site a été régulièrement déclaré d’utilité publique avec toutes les mesures d’accompagnement à l’appui.
Le spectacle, dont des agents de l’État, à de hauts niveaux de responsabilité, sont aussi acteurs, se passe aux vues et aux sus de tout le monde, comme dans un État où l’illégalité n’émeut personne. Comme le dirait l’autre, exactement dans un « Fars West ».
Et pourtant, il n’est un secret pour personne qu’il s’agit bien d’une attitude qui compromet dangereusement un programme d’investissement.
Malgré l’expropriation des occupants pour cause d’utilité publique à travers un décret du gouvernement, signé par le Président de la République, le Premier ministre, le ministre des Finances, ceux des Domaines, de l’Urbanisme et de l’Administration territoriale, affectant le site au ministère de l’Urbanisme, des hors-la-loi ont opté pour l’anarchie.
Ainsi, les ministres et les délégations qui les accompagnaient, samedi dernier, ont découvert le morcellement des servitudes et même le lit du marigot à l’autre extrême du site. De l’autre, ce sont les voies d’accès et les espaces publics réservés qui ont fait l’objet de hold-up par les prédateurs.

Un cas d’école ?
Cette situation est similaire à celle de Souleymanebougou où des maisons ont été construites dans le lit du fleuve. À la suite d’une sortie du ministre, une cinquantaine de bâtiments ont été démolis et les victimes réunies au sein d’un collectif, ont décidé d’ester l’État malien en justice. L’affaire est toujours devant les tribunaux. De son côté, l’Etat, qui avait porté plainte contre des agents l’Etat et des particuliers, attend toujours l’ouverture de ces enquêtes.
« L’État ne doit pas laisser les vies humaines périr parce que certains pensent que leurs besoins de maison doivent faire courir des risques à toute une communauté. Parce que s’ils bouchent la rivière, l’eau va faire des dégâts ailleurs », avait déclaré Me Mohamed Ali Bathily, à l’époque ministre des Affaires foncières. Mais la suite, on la connait.
La zone aéroportuaire de Bamako Sénou, vaste de plusieurs centaines d’hectares, classée domaine public de l’État, régi par décret n° 02-111/P-RM du 6 mars 2002 n’échappe pas aussi à cette mainmise des prédateurs fonciers, qui, il faut le reconnaitre recrutent en leur sein toutes les catégories socio professionnelles de notre pays. Faisant ainsi de cette pratique qui ronge l’Etat et compromet la quiétude sociale, une véritable mafia.
Aujourd’hui, à la zone aéroportuaire, les constructions sont, en certains endroits, à moins de deux Km de la piste d’atterrissage, donc, sous les ailes mêmes des avions. Qui dit mieux ?
Face à des constats d’agissement illégaux sur le même site, le ministre des Domaines de l’État et des Affaires foncières avait réagi, à travers un communiqué, en date du 10 février 2016.
« Il ressort en effet, des investigations des services compétents de l’État que des piquets et des bornes ont été implantés sur une superficie de plus d’un hectare. La présence de manœuvres qui confectionnent des briques et la disposition des piquets et bornes indiquent manifestement l’exécution d’opérations de morcellement de la zone aéroportuaire en parcelles de 10/15 », disait le communiqué.
À la fin d’une visite de terrain, sur les lieux en 2016, le ministre a soutenu : « Les auteurs de cette violation sont pires que les rebelles, car ils sont entrain de défier l’autorité de l’État, peu importe les décisions des autorités administratives et coutumières qui sont en train de les motiver dans ce sens ».

Quand des élus de la nation s’y mêlent
Au cœur de ce bourbier foncier se retrouvent des élus de la nation, ceux-ci mêmes qui ont bénéficié de la confiance des Maliens pour adopter des lois devant les protéger. Trahison ou conflit d’intérêts ?
En tout cas, un des points de désaccord entre l’ancien ministre des Affaires foncières, Mohamed Ali BATHILY, et le promoteur de la société Banga Immobilière, l’honorable Hady NIAGADOU, concernait la présence de cette agence dans une partie de la zone déclarée d’utilité publique à N’Tabacoro, réservée à la réalisation des logements sociaux.
« On ne peut pas exproprier certains pour cause d’utilité publique et les redonner à des élus, pas par la voie de l’expropriation pour cause d’utilité publique, mais par une cession privée, alors que le site a été exproprié. Là, il y a une démarche juridique que je ne comprends pas. Et j’aimerais savoir pourquoi et comment cela est intervenu », s’était indigné l’ancien ministre.

Foncier, première source de conflit
Dans son rapport de l’Espace d’interpellation démocratique (EID) de 2017, le Médiateur de la République a déclaré que le foncier constituait la première source de conflit entre les Maliens et les affaires domaniales avec 32,75 % de l’ensemble des réclamations à l’État.
Aussi, en 2016, plus de 80 % des décisions rendues par le Tribunal de première instance de Kati concernaient le foncier.
Il n’est pas rare de se voir attribuer une parcelle par une autorité communale au Mali, qui a déjà fait l’objet d’attributions antérieures au compte d’une ou de plusieurs personnes différentes de soi. Chacun disposant pour autant d’une lettre, ou d’un permis d’occuper, dûment établi en son nom avec des reçus de payement des frais d’édilité ou de taxes préfectorales.
Jusqu’à quand opterons-nous pour la loi afin de mettre fin à cette anarchie ? Ce qui est évident, c’est qu’aucun pays ne peut vivre dans la violation éternelle et générale de ses lois.
Sur le plan légal et réglementaire en particulier, les états généraux tenus en 2008 et 2009 ont relevé la difficulté de mettre en œuvre une législation foncière et domaniale inadaptée et peu harmonisée. Plusieurs textes de loi régissent la matière : le Code domanial et foncier, le Code minier, le Code forestier, le Code de l’eau, la Loi d’orientation agricole, etc.

Par Sidi DAO et Abdoulaye OUATTARA

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