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Crise Malienne: renforcer l’appareil d’Etat et la décentralisation
Publié le mercredi 7 mars 2018  |  mediapart.fr
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La faiblesse de l’appareil d’Etat malien face à la crise appelle à aligner l’Aide publique internationale sur la volonté du gouvernement à redéployer son administration dans les régions nord et centre. Or l’actuelle tendance à déléguer cette aide aux ONG risque d’entretenir la défiance des populations vis-à-vis d’un Etat critiqué - justement - pour son absence.

Plus de deux ans et demi après la signature de l’Accord de paix, les blocages dans sa mise en œuvre demeurent intacts. Tous les facteurs traditionnels de fragilisation sociale et politique sont réunis : crises agricoles, pauvreté endémique, revendications régionales, injustices sociales, Etat failli, élites corrompues et plus encore, tensions ethniques qui ralentissent la (re)construction nationale. Par voie de conséquence, la seule réponse sécuritaire est insuffisante, car les conflits violents prospèrent et s’alimentent de la faiblesse de l’Etat, non pas seulement de celle de ses forces armées mais du faible investissement dans les services publics et plus encore de l’absence de décentralisation réelle qui permettrait pourtant de répondre aux pressions exercées par les mouvements armés cherchant à avoir davantage de contrôle et de participation dans le processus politique. Dans ce contexte, l’actuelle tendance à la privatisation de l’"aide publique" par les ONG et les agences d’exécution internationales ne risque-t-elle pas d’alimenter le discrédit de l’Etat et d’entretenir ainsi le mal, la crise, qu’elle est censée guérir ?

Le patinage de l’Accord de paix

Si les parties signataires ont pu, en décembre 2017, se mettre d’accord sur un chronogramme d’urgence attendu depuis juillet, son application est une fois de plus remise en question et les engagements pris risquent fort de ne pas être respectés. En témoigne le report sine die de la 24ème session (prévue les 12 et 13 février) du Comité de Suivi de l’Accord de paix (CSA), demandé par le nouveau Premier ministre faute d’avancées concrètes depuis le dernier CSA. Un report qui évitera au CSA d’enregistrer une énième fois les mêmes engagements qui se succèdent sans être respectés depuis 23 sessions.

Pour résumer, la réforme constitutionnelle a été reportée, l’agenda des élections demeure suspendu à l’implication de mouvements signataires de l’Accord toujours autant armés et semble-t-il réticents à déposer les armes, à intégrer le processus de cantonnement ou encore à opérationnaliser les patrouilles mixtes du mécanisme opérationnel de coordination de Tombouctou et Kidal. Les mêmes mouvements qui estiment que les Autorités intérimaires (désignées d’un commun accord entre les parties signataires de l’Accord -donc non élues- en attendant les élections) n’ont pas les moyens d’être pleinement opérationnelles. Un constat qui, outre les considérations sécuritaires, freinerait la volonté des mouvements d’aller aux élections tant que leurs autorités intérimaires n’auront pas rempli leur mandat.

Parallèlement à ces blocages, les incidents sécuritaires se multiplient au Nord tandis que la situation au Centre se dégrade. Pas un jour ne passe sans son lot d’enlèvements ou d’attaques meurtrières. De 332 morts en 2016, l’année 2017 en aura enregistré plus de 542, avec une augmentation de 300% des attaques depuis 2013 selon la Minusma. Par ailleurs, la multiplication des groupes armés parfois (mais pas toujours) liées aux dissidences internes à la CMA[1] et à la Plateforme (tels la CME, CPA, CJA, CMFP2[2], etc.) alimente l’instabilité par des divisions et recompositions d’alliances infinies.

Cela est dit et répété, mais le Nord étant une zone de transit où l’on trouve principalement des narcotrafiquants et des islamistes, les groupes armés (signataires ou non de l’Accord) n’ont-ils pas plutôt intérêt à maintenir un climat d’insécurité ? N’ont-ils pas plus à perdre dans la paix qu’à gagner dans la guerre ?

Maintenant, si l’on peut souligner le succès des raids ciblés contre les bases appartenant à Iyad Ag Ghali, premier responsable de Ançardine et autres branches terroristes, on ne peut faire l’impasse sur la dégradation de la situation au Centre du pays où le bras droit de Yyad, Amadou Kouffa du Front de Libération du Macina fait régner la terreur sur l’administration publique, tout en profitant des frustrations sociales pour rallier les communautés à sa cause. Aujourd’hui, une grande partie de la région Centre est occupée par des hommes armés souvent djihadistes avec lesquels la France refuse (et avec elle le Gouvernement malien) de dialoguer, alors qu’ils font parties de la population ayant une intimité inextricable avec les communautés locales. Ce refus du dialogue et le traitement martial ciblé des djihadistes au cœur des communautés maliennes alimentent la représentation que se font les populations locales d’une France comme puissance d’occupation.

En réalité, la crise malienne est telle, que la notion même de « pays » semble ne plus exister que sur le papier. Le vide sécuritaire et administratif dans 80% du territoire fait que les frontières, les circonscriptions et les collectivités territoriales, l’administration publique au sens large et son Gouvernement, deviennent une abstraction pour des pans entiers de la population.

Dans ce contexte, peut-on encore parler de paix ? Peut-on encore attendre les fameux « dividendes » de l’Accord au profit des populations lorsqu’une « guerre invisible » perdure dans un vide sécuritaire toujours propice à la prolifération des groupes djihadistes et à leurs discours religieux ? Que fait l’Etat malien face à cette situation ? A-t-il les moyens de reprendre la situation en main et d’éviter que le Mali ne tombe, comme son voisin libyen, dans un chaos et une anarchie généralisés où seule règnerait la loi du plus fort ?

Les tâtonnements de l’Etat

On aimerait poser la question : que fait le Gouvernement ? Cependant il n’y a pas eu un gouvernement unitaire mais une succession, sous la Présidence d’Ibrahim Boubakar Kaïta (IBK), de cinq premiers ministres et de pas moins de sept gouvernements. Or, vu qu’un gouvernement est un outil de mise en œuvre d’une politique elle-même fondée sur une vision, ce jeu de chaise musicale ne fait qu’illustrer un pouvoir tâtonnant et l’absence d’une vision constante du Chef de l’Etat.

Toutefois, la désignation de M. Soumeylou Boubèye Maïga – spécialiste des questions de sécurité et de défense, à la tête du Gouvernement, fait penser que le Président souhaite résolument agir contre la dégradation du climat sécuritaire, notamment dans l’optique d’assurer les conditions de l’agenda électoral, dont le sien propre, soit dit en passant.

Le nouveau Premier ministre l’assure « il faut lutter contre les groupes terroristes et en même temps engager une série d’actions urgentes pour rétablir la confiance en l’Etat des habitants du Centre et du Nord ». Pour « regagner le cœur et l’esprit » des populations, le Gouvernement annonce déployer très prochainement un volume important de forces militaires et sécuritaires, le redéploiement de l’administration et l’installation de services publics pour répondre aux besoins d’éducation, de santé, de sécurité alimentaire et de justice.

Cet objectif de bon sens, pragmatique et incontestable, intervenant près de trois années après la signature de l’accord, suscite cependant des interrogations bien légitimes. Pourquoi avoir laissé la situation se dégrader avant de réaliser ces évidences et de proposer des recettes connues de tous et depuis longtemps ? Si les moyens techniques, humains et financiers sont réellement disponibles pour agir selon les orientations du nouveau Premier ministre, pourquoi ne pas les avoir déployés plus tôt ? Plus encore, quels sont les moyens effectifs de l’Etat à répondre à la crise et plus particulièrement sa capacité réelle à (re)déployer son administration et à (re)constuire ses institutions régaliennes (l’appareil d’Etat) ?

Sécurité et développement : Un Etat aux capacités rachitiques

Quelques données macroéconomiques peuvent éclairer le débat : La dépense publique malienne dans son budget 2018, avec 2 330 milliards de FCFA représente 129 444 FCFA (197 euros) par habitant et par an, avec 1 364 milliards de dépenses ordinaires (fonctionnement) et seulement 966 milliards de FCFA de dépenses en capital (investissement) qui ne représentent plus alors que 53 666 FCFA par habitant et par an, soit 81 euro.

Cette dépense publique ne représente que 12% de son PIB (1800 milliards de FCFA). En comparaison, en France, la dépense publique représente 57% du PIB, pour une moyenne des pays de l’OCDE s’établissant autour de 45%. Et pour mesurer l’écart et les limites criantes des capacités de l’Etat malien, la France injecte l’équivalent de 17 707 euro par habitant et par an, soit 90 fois plus qu’au Mali.

Un autre indicateur mérite d’être rappelé pour comprendre la faible capacité de l’Etat à répondre au défi du (re)déploiement de l’administration et des services publics dans les régions en crise : celui du nombre de fonctionnaires. Selon le Ministère de l’économie et des finances, les 519 milliards de FCFA consacrés aux dépenses du personnel du budget 2018 servent à couvrir les salaires de 110 000 fonctionnaires d’Etat et des collectivités territoriales, tous corps de métier confondus, y compris des forces de sécurité et de défense.

Ce chiffre représente ainsi 6,1 fonctionnaires pour 1 000 habitants lorsqu’aux Etats-Unis on dénombre 79 pour 1 000 habitants, en France 88 et au Danemark 160[3]. Le Gabon en compterait 55, le Cameroun 13, le Sénégal 8, mais les chiffres, dans la plupart des pays africains, Mali compris, sont difficiles à établir en l’absence d’audit (fichiers des ministères chargés de la fonction publique souvent différents de ceux des ministères chargés de l’économie et des finances).

En conséquence, quelques soient les difficultés de déploiement des fonctionnaires, notamment du secteur de l’éducation ou de la justice sur le terrain en raison des conditions sécuritaires au Nord et au Centre du Mali, le nombre de fonctionnaires restera, avec si peu de ressources, encore et pour longtemps réduit.

Cette observation s’applique par extension aux effectifs des forces de sécurité et de défense. Le ratio idéal[4] serait de minimum 10 soldats pour 1000 habitants, alors que le Mali n’en compte (hors Barkane et Minusma) que 1,2 (soit 22 150 hommes composant –ensemble- l’Armée, la Garde nationale, la Gendarmerie et la Police).

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