Quand dans un pays, le juge suprême comme la Cour constitutionnelle se permet de s’évader du prétoire pour descendre dans l’arène et jouer au gendarme, la démocratie peut très vite se retrouver en danger. L’institution qui tranche les litiges au plus haut niveau de l’Etat doit toujours prendre de la hauteur et éviter de se plonger dans la boue de la mêlée. La Lettre circulaire n°001/P-CCM du 20 février 2018 n’est ni plus ni moins qu’une manifestation totalement incongrue et inacceptable de la velléité de la Cour constitutionnelle à se faire passer pour le gendarme des élections.
Sommée de sortir de l’opacité qui couvre d’un voile épais sa procédure de recensement général des votes propice à voiler toutes les manipulations des résultats provisoires proclamés, Manassa et sa cour préfèrent se terrer dans du dilatoire. Plutôt que de s’attacher à panser la plaie de l’opacité son système de recensement général des votes, la Cour constitutionnelle au mépris de son statut et de ses missions, s’acharne bizarrement, à travers une Lettre circulaire n°001/P-CCM du 20 février 2018, sur la question de l’éligibilité à la fonction de Président de la République. En somme, elle menace quiconque ose s’opposer au droit d’un citoyen malien de se porter candidat à une élection au Mali, prenant à témoin les « destinataires-prétextes » de sa Lettre circulaire que sont les présidents d’institutions de la République, les ministres, les autorités indépendantes, le président du Conseil national de la société civile, les partis politiques, les syndicats, les Confessions religieuses et les Organisations de défense des Droits de l’Homme. Outre l’extrême faiblesse de la culture juridique publiciste de la Cour constitutionnelle qu’elle contribue à étaler au grand jour sur la place publique, la Lettre circulaire est foncièrement méprisante pour les institutions destinataires qui se voient ainsi traitées comme de vulgaires subordonnées de la Cour constitutionnelle. Au-delà, la scandaleuse Lettre circulaire formellement irrégulière et matériellement inappropriée, donne nettement l’impression que la Cour constitutionnelle règle les comptes d’un pur débat politique qui ne la concerne guère et dans lequel elle n’a point à se fourrer le nez loin s‘en faut.
Une Lettre circulaire inappropriée d’usurpation de pouvoir
Depuis le 20 février 2018, la Lettre circulaire n°001/P-CCM se ballade entre les institutions et pouvoirs publics de l’Etat, les partis politiques et la société civile, comme la preuve irréfutable de l’inculture juridique de la Cour constitutionnelle. La Lettre circulaire se définit comme une catégorie juridique de vecteur de communication interne à l’administration comprenant des instructions et des explications adressées par les chefs de service à leurs subordonnés dans le but de leur indiquer la manière dont il convient d’appliquer certaines dispositions législatives et règlementaires. En tant que composante essentielle du pouvoir hiérarchique, la Lettre circulaire est totalement inappropriée comme outil de communication entre la Cour constitutionnelle et les institutions et organismes destinataires à l’égard desquels elle n’assure fonctionnellement aucune mission de chef de service ni un quelconque pouvoir hiérarchique. Formellement parlant, la Cour constitutionnelle n’a pas à adresser une Lettre circulaire à des destinataires qui ne sont pas ses subordonnés.
D’ailleurs, la Lettre circulaire n°001/P-CCM du 20 février 2018 souffre autant de carence de forme que de fond. Par son contenu en effet, elle consacre irrégulièrement par un empiètement abusif, l’intervention de la Cour dans une matière étrangère à ses attributions constitutionnelle. Nous sommes face à un cas manifeste d’incompétence matérielle de la Cour constitutionnelle équivalant à un acte d’usurpation de pouvoir de sa part.
Les menaces sélectives du juge constitutionnel adressées à qui ?
Dans sa Lettre circulaire au ton inutilement guerrier, on comprend vite la focalisation obsessionnelle manifeste de la Cour sur ce qu’elle qualifie de « dispositions constitutionnelles et législatives pertinentes qui régissent le droit de toute personne, de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays…. ainsi que le droit à toute personne d’accéder dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays ». Au-delà de la Constitution et toujours avec la même hargne, elle va jusqu’à invoquer le Pacte international relatif aux droits civils et politiques où elle ne sélectionne que les passages suivants : « Tout citoyen a le droit et la possibilité… de prendre part à la direction des affaires publiques, … d’accéder aux fonctions publiques de son pays ».
Pourquoi la Cour constitutionnelle s’acharne-t-elle ainsi sur la question de l’éligibilité ? Avec qui la Cour chercherait-elle à en découdre ? Ces questions lancinantes se posent avec d’autant plus d’inquiétudes par rapport à son impartialité et son indépendance que dans sa Lettre circulaire, la Cour, à travers un tri raisonné, se braque une fois de plus sur deux dispositions répressives qu’elle se met à agiter : l’article 24 de la Constitution relatif au respect en toute circonstance de la Constitution et l’article 74 de la loi électorale interdisant les déclarations injurieuses ou diffamatoires lors des campagnes électorales. La Cour est déjà sur ses gros sabots pendant que le collège électoral n’est même pas encore convoqué ! Panique ? Au même moment, pas un mot de sa part sur le dernier alinéa de l’article 71 qui précise que c’est le Comité national de l’égal accès aux médias d’Etat qui assure la responsabilité de l’accès égal aux médias d’Etat des candidats, des partis politiques et des groupements de partis politiques en lice. La Cour constitutionnelle revendique-t-elle également le rôle du gendarme des médias d’Etat ?
Le cas de l’article 73 de la loi électorale totalement ignoré, est encore plus patent, étant donné sa pertinence évidente dans le contexte actuel : « Les pratiques publicitaires à caractère politiques et commercial (offre de tissus, de tee-shirt, d’ustensiles de cuisine, de stylos, de calendriers) ainsi que leur port et leur usage, les dons et libéralités en argent ou en nature à des fins de propagande pour influencer ou tenter d’influencer le vote durant la campagne électorale sont interdits dès la convocation du collège électorale. De même, l’utilisation des biens ou moyens d’une personne morale publique, institution ou organisme public aux mêmes fins est interdite dans les mêmes conditions qu’à l’alinéa précédent. Toute campagne est interdite dans les lieux de culte ».
L’article 73 de la loi électorale ne fait certainement pas l’affaire de la Cour constitutionnelle, pas plus d’ailleurs que les dispositions pénales de la loi électorale (articles 115 à 136) sur lesquelles, de manière incompréhensible, la Cour a fait l’impasse totale, leur préférant de loin le maquis de la loi sur la presse dans lequel elle est allée s’égarer ?
Il faut d’ailleurs préciser à ce propos que cette excursion s’est avérée juridiquement maladroite. C’est ainsi que gambadant allègrement de la loi électorale à la loi sur la presse dans un exercice acrobatique à vous donner le tournis, la Cour « invite tout citoyen(électeur ou éligible) aux fonctions de l’Etat(Président de la République, Députés) au strict respect de la Constitution et de la loi électorale avant, pendant et après la campagne électorale en ces dispositions ci-dessus visées dont la violation les exposerait à des condamnations et conduirait à leur inéligibilité auxdites fonctions conformément aux articles 33, 37, 39, et 40 de la loi n°00-46 du 07 juillet 2000 portant régime de la presse et délit de presse….». La Lettre circulaire ajoute plus loin que « toute condamnation peut entrainer une inéligibilité ». Ses vrais destinataires sont bien avertis !
Si la Cour veut ainsi faire croire que les inéligibilités aux fonctions de Président de la République et de député dépendent de la loi sur la presse, elle s’est totalement plantée et devrait pour ce motif être renvoyé aux béaba du droit électoral.
La loi n°00-46 du 07 juillet 2000 portant régime de la presse et délit de presse n’est pas la référence adéquate en matière d’éligibilité aux fonctions de Président de la République et de député. C’est plutôt la loi électorale qui régit pour l’essentiel le régime des inéligibilités aux fonctions de Président de la République et de député à l’Assemblée nationale conformément à son Chapitre VI constitué des articles 63 à 67. En particulier, l’article 67 dispose : « Les conditions d’éligibilité et d’inéligibilité propres à chaque type de consultation électorale sont déterminées par la présente loi au titre des dispositions particulières à l’élection du Président de la République, des dispositions particulières à l’élection des députés, ainsi que des dispositions particulières à l’élection des conseillers des collectivités territoriales et des conseillers nationaux ».Il est à préciser en outre qu’en ce qui concerne les députés, c’est toute une loi organique qui régit la question. Par ailleurs si la Cour ajoute dans sa Lettre circulaire que « toute condamnation peut entrainer une inéligibilité », on pourrait lui retorquer que toute condamnation n’entraine pas une inéligibilité si l’on se réfère en particulier aux dispositions pénales de la loi électorale.
La Cour s’arroge les prérogatives de la CENI !
Quand dans un pays, le juge suprême comme la Cour constitutionnelle se permet de s’évader du prétoire pour descendre dans l’arène et jouer au gendarme, la démocratie peut très vite se retrouver en danger. L’institution qui tranche les litiges au plus haut niveau de l’Etat doit toujours prendre de la hauteur et éviter de se plonger dans la boue de la mêlée. La Lettre circulaire n°001/P-CCM du 20 février 2018 n’est ni plus ni moins qu’une manifestation totalement incongrue et inacceptable de la velléité de la Cour constitutionnelle à se faire passer pour le gendarme des élections. Or, s’il existe un seul gendarme des élections au Mali, c’est bien la CENI qui, soit dit en passant, et contrairement à la Cour constitutionnelle, n’est responsable d’aucun contentieux électoral et n’assure aucune fonction judiciaire. Manassa DANIOKO et ses Conseillers de la Cour ne le savent très probablement pas ou feignent de l’ignorer, la CENI a pour missions fondamentales de veiller à la régularité des élections et du référendum à travers leur supervision et suivi et de garantir aux électeurs ainsi qu’aux candidats, le libre exercice de leurs droits. Plus spécifiquement, c’est à elle que la loi électorale à travers son article 16, a confié le rôle de gendarme du processus électoral : « La C.E.N.I. veille à ce que la loi électorale soit, appliquée aussi bien par les autorités administratives que par les partis politiques, les candidats et les électeurs. En cas de non-respect des dispositions législatives et réglementaires relatives aux élections par une autorité administrative, la C.E.N.I. l’invite à prendre les mesures de correction appropriées. Si l’autorité administrative ne s’exécute pas, la C.E.N.I. saisit le supérieur hiérarchique et, le cas échéant, les juridictions compétentes qui statuent sans délai ». En aucun cas, le juge du contentieux électoral ne peut en même temps se vêtir de l’uniforme du gendarme du même processus électoral. Ce mélange des genres est totalement contraire aux compétences constitutionnelles de la Cour et il est vain de penser le contraire comme la Lettre circulaire veut ne le faire avaler.
De quoi se mêle la Cour constitutionnelle ?
Sans nullement convaincre, la Cour tente de justifier la Lettre circulaire à travers ses prérogatives constitutionnelles de juge de la constitutionnalité des lois et engagements internationaux, de garante des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques, d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics, et d’organe statuant sur la régularité de la présidentielle, des législatives ainsi que des opérations référendaires. Prétextant de manière fallacieuse de ces prérogatives constitutionnelles, elle s’invente ainsi une soi-disant « obligation de rappeler aux pouvoirs publics et aux acteurs politiques certaines dispositions constitutionnelles et législatives… ». Mais de quel droit ? La Cour n’ose tout de même pas soutenir qu’il suffit d’aligner de petits morceaux d’attributions pour se fabriquer de toute pièce une toute nouvelle compétence qu’on ne tient nullement d’aucun texte de la République ? En aucun cas, l’addition mécanique des missions visées pour justifier la Lettre circulaire n’a pu constitutionnellement dotée la Cour d’une toute nouvelle compétence du gendarme du processus électoral. En vérité, ce n’est pas de cette manière totalement anarchique et arbitraire que la Cour, qui n’est pas au-dessus de la Constitution, est fondée à exercer ses prérogatives et son rôle de garante des droits fondamentaux et des libertés publiques. L’ensemble des prérogatives constitutionnelles de la Cour sont totalement encadrées quant à leurs modalités précises d’exercice et de mise en œuvre. La Cour ne bénéficie en la matière d’aucun pouvoir discrétionnaire l’habilitant à faire ce qu’elle veut ou plutôt du n’importe quoi, simplement parce que c’est la Cour constitutionnelle. C’est le principe même de la Lettre circulaire n°001/P-CCM du 20 février et 2018 qui pose problème. Aucune prérogative constitutionnelle de la Cour constitutionnelle y compris en matière électorale, ne l’autorise à s’épandre ainsi sur la place publique à s’improviser en gendarme menaçant les uns et les autres de sanctions pénales dont elle-même n’a aucune compétence pour infliger.
De quoi se même-t-elle enfin ! Au service de quoi et pour quelle cause précise la Cour s’agite-t-elle ainsi ? En fait la question se pose de savoir si la Lettre circulaire n’aurait pas de lien avec l’actualité politique du moment qui pourtant, ne concerne nullement la Cour constitutionnelle.
Nous le savons tous, on entend aujourd’hui dans notre pays, des voix qui ne voudraient pas d’une candidature de second mandat pour le Président IBK. Mais chacun sait que ce combat est avant tout de nature purement politique et qu’en aucun moment, ceux qui le mènent ne se sont placés sur le terrain juridique de l’inéligibilité du Président sortant. On les entend même parfois préciser que le droit constitutionnel du Président IBK à un second mandat n’est pas juridiquement mis en cause.Dès lors, la vague qui a pour but de dissuader le Président IBK de se porter candidat à un second mandat ne saurait relever que d’un combat purement politique entre adversaires politiques.
Dr Brahima Fomba
En improvisant par usurpation de pouvoir, une Lettre circulaire menaçante, obsessionnellement focalisée sur la question juridique de l’éligibilité et des inéligibilités au moment où cette question politique autour de la candidature du Président IBK fait rage, quelle image renvoie la Cour constitutionnelle à l’Etat de droit et à la démocratie malienne ? Ne donne-t-elle pas l’impression, de manière quelque peu détournée, de s’emparer à travers une Lettre circulaire, d’une question éminemment politique sous l’angle d’un argumentaire juridique inapproprié et mal venu ? Et l’on s’étonne après coup, de voir fleurir des suspicions de politisation des institutions suprêmes de la République ! C’est toute la question que pose l’incongrue Lettre circulaire n°001/P-CCM du 20 février 2018 totalement inappropriée qui tend à consacrer la descente en pleine arène politique de la Cour constitutionnelle du Mali. Elle a intérêt, et la République avec elle, à rester sur le terrain qui est et reste le sein dans l’ordre des institutions : le terrain purement juridique.
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako(USJP)