A l’ère d’internet et des réseaux sociaux, les anglicismes font florès. Concernant le 4ème pouvoir, ceux qui ont pignon sur rue sont, depuis un certain temps, les « fake news » (fausses nouvelles) et le « média bashing » (dénigrement des médias). Ces attitudes négatives sont, en général, le fait d’hommes politiques en difficulté qui n’hésitent pas d’accuser les médias de tous les péchés d’Israël. Le premier qui nous vient à l’esprit est incontestablement le président américain,
Donald Trump, qui n’a de cesse d’avoir l’invective à la bouche ou de brandir le glaive dans ses relations tumultueuses avec la presse, tentant ainsi de camoufler ses propres ses turpitudes et de justifier sa gouvernance chaotique. Dans toutes les grandes démocraties occidentales et même chez nous, il est de bon ton de faire porter le chapeau aux médias coupables de mentir délibérément, de désinformer, de publier des informations non recoupées ou de s’aligner sur les positions des adversaires et de la concurrence parfois contre des espèces sonnantes et trébuchantes.
Se faisant, ceux qui adoptent une telle ligne de défense se complaisent-ils dans le rôle de la victime expiatoire et, inversant habilement les rôles, jettent l’honneur des médias aux chiens. Rendant hommage à son Premier ministre Pierre Bérégovoy, François Mitterrand ne disait-il pas : « Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l'on ait pu livrer aux chiens l'honneur d'un homme et finalement sa vie au prix d'un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d'entre nous ».
L’une des récentes pépites en la matière, c’est la virulente réplique de Nicolas Sarkozy à David Pujadas lors du troisième débat de la primaire de la droite française, diffusé sur France2 le 17 novembre 2016. Invité de réagir aux révélations de Ziad Takieddine, un « porte-valises », qui soutient lui avoir remis de l'argent libyen pour financer sa campagne électorale de 2007, la réponse de Sarkozy a fusé, cinglante : « Quelle indignité. Sur le service public, vous n'avez pas honte de donner crédit à un homme qui a fait de la prison qui a été condamné à d'innombrables reprises pour diffamation et qui est un menteur. Ce n'est pas l'idée que je me fais du service public. C'est une honte ». Comme si la sincérité de sa défense se mesurait à l’aune de sa virulence et à la charge contre le journaliste !
Ce ne sont là que quelques morceaux choisis. On pourrait remonter le cours de la vie politique dans chacun de nos pays pour déterrer des épisodes croustillants où les médias ont eu le rôle peu glorieux de démolisseur de l’image de marque d’honnêtes hommes publics ou de simples citoyens. Le « média bashing » est un fait ; une réalité contre laquelle la presse est très peu préparée. Dans certains cas, elle aboutit à de la violence verbale et/ou physique ; dans d’autres, elle conduit au drame. Reporters Sans Frontières tient régulièrement le décompte des journalistes d’investigation assassinés pour avoir fait simplement leur travail.
Le cas le plus emblématique dans notre sous-région est celui de Norbert Zongo,assassiné le 13 décembre 1998, avec trois personnes qui l'accompagnaient, pour s’être trop intéressé à la mort mystérieuse de David Ouedraogo, le chauffeur de François Compaoré et jeune frère du président burkinabè Blaise Compaoré. En Europe, deux assassinats continuent d’émouvoir l’opinion publique : l’assassinat de la journaliste anti-corruption maltaise Daphne Caruana Galizia, tuée dans l’explosion de sa voiture, au nord de Malte (octobre 2017), et celui de Ján Kuciak et sa compagne, abattus de plusieurs balles à Veľká Mača, non loin de Bratislava, la capitale de la Slovaquie (février 2018).
Face à la recrudescence de toutes les formes de violences contre les médias dont le « média bashing » n’est que la partie immergée de l’iceberg, l'Observatoire français de la déontologie du journalisme (ODI) tire la sonnette d’alarme dans un rapport présenté le jeudi dernier aux Assises du journalisme à Tours (www.odi.media). Le rapport cible particulièrement la période de la dernière élection présidentielle qui est riche en exemples où les politiques s’en prennent violemment aux médias. Plus grave, le rapport de l’ODI note la persistance du « média bashing » en ces termes : "Le plus préoccupant est sans doute que ces tendances se soient prolongées une fois la fièvre des scrutins retombée ».
Des partis traditionnels aux partis populistes en passant par la droite nationaliste, chaque courant politique y va de son couplet. Il fait bon casser son sucre sur le dos des médias qui, selon l’ODI, ne sont pas exempts de critiques. Il reproche aux médias « un relâchement de la rigueur sous l'influence de débats publics virulents et très polarisés et une fréquente confusion entre les faits et les opinions, ainsi qu'entre animateur, chroniqueur invité et journaliste ». Toute chose qui contribue « à nourrir l'accusation de parti pris systématique, de mensonges, de manipulation portée contre les médias » selon l'ODI. A mots couverts, l’ODI invite les médias français à balayer aussi devant leurs propres maisons. Invitation qui pourrait être aussi adressée aux médias du Sud.