Dans le contexte d’insécurité qui règne sur la quasi totalité du territoire du Mali, certaines ethnies s’organisent pour leur sécurité. Depuis quelques semaines, dans le cercle de Koro au centre du pays, des affrontements meurtriers opposent les Donzos (chasseurs traditionnels) dogons à la communauté peule, dont certains membres sont accusés d’appartenir ou d’entretenir des liens de proximité avec les groupes djihadistes.
Depuis deux mois, les habitants affirment que de nombreux chasseurs constitué en milice, ont abandonné les armes traditionnelles pour des armes de guerre. En deux semaines, plusieurs dizaines de personnes ont péri dans ces affrontements violents entre Dogons et Peuls.
Les deux communautés se sont retrouvées ce week-end à Bamako pour faire la paix après les affrontements de vendredi qui ont fait une vingtaine de morts à Mopti, dans le centre du pays. La rencontre organisée sous l’égide du ministère de la cohésion sociale et de la réconciliation a abouti à une entente entre les associations communautaires peules et dogons et le gouvernement, mais sur le terrain, la voix des chefs communautaires de Bamako n’a pas beaucoup de portée. Et si le risque de conflit ethnique semble écarté, le problème du banditisme n’est lui, pas résolu.
Mondafrique s’est entretenu avec Moïse, secrétaire général de « Dan na ambasagou », le groupe d’autodéfense qui réunit les chasseurs des quatre cercles du pays dogon. Pour lui, ces opérations qui visent les « djihadistes-malfaiteurs » majoritairement composé de Peuls sont nécessaire pour ramener la sécurité dans ces zones où l’État est absent. Il réfute néanmoins tout danger d’amalgame et de basculement vers une guerre intercommunautaire.
Des affrontements violents entre les chasseurs dogons et la communauté peule ont occasionné plusieurs dizaines de victimes ces dernières semaines. Ces conflits ont mis sur les routes de nombreuses familles peules qui ont préféré fuir pour leur propre sécurité. Qu’est-ce qui a déclenché ce regain de violence ?
L’insécurité grandissante en est la cause principale, notamment dans le cercle de Koro. Cette insécurité a conduit les chasseurs donzos à prendre les armes et affronter les «malfaiteurs». Nous sommes arrivés dans cette zone en août 2017 et nous avons décidé de constituer des brigades ayant pour objectif d’assurer la sécurité des populations et de leurs biens et aussi pour aider l’État. C’est pour cela que nous faisons ce travail.
Qui sont ces malfaiteurs que vous combattez et dans quelles zones les chasseurs sont-ils déployés ?
Ceux que nous ciblons et que nous appelons les «malfaiteurs» sont les djihadistes et les bandits qui viennent s’attaquer aux villages, aux populations, qui viennent leur prendre leur bien, leur vivre, leur bétail. Mais qu’ils se méfient, nous sommes très nombreux, nous sommes là, de Timissa jusqu’à Mondoro, dans le cercle de Douentza, Bankass, Bandiagara, ainsi qu’à Mopti. Nous sommes partout.
Selon nos informations, des chasseurs se diraient mandatés pour mener leurs opérations, et ils auraient troqué leurs armes traditionnelles contre des armes de guerre. Qu’en est-il ?
Nous ne sommes mandatés par aucune autorité malienne, par personne. Nous sommes avec l’État, mais nous ne sommes pas mandatés par lui. Depuis des temps immémoriaux, nous avons toujours contribué à la sécurisation de ces zones-là. Nos ancêtres sont même les fondateurs de ces villages. Concernant les armes, nous nous sommes équipés, c’est vrai et aujourd’hui cela nous permet de faire face à qui que ce soit.
D’où proviennent ces nouvelles armes ?
Nous les avons obtenues grâce aux opérations que nous menons sur le terrain. Quand nous parvenons à traquer les malfaiteurs, nous saisissons leurs armes. C’est comme cela que nous nous les sommes procurées, personne ne nous les a données. Nous disposons à présent d’armes plus sophistiquées qui en plus des pouvoirs traditionnelles hérités de nos ancêtres nous permettent d’affronter efficacement ces malfaiteurs.
À quel genre de pouvoir faites-vous allusion ?
Ces pouvoirs sont réels, tous les chasseurs qui opèrent avec nous dans ces zones sont des chasseurs valeureux dotés de pouvoir extraordinaire et d’une très bonne connaissance du terrain. Certaines de nos unités que nous appelons « commandos invisibles » ont la faculté de disparaître, ils peuvent opérer et frapper par surprise, n’importe où.
Ne pensez-vous pas qu’en vous armant, vous entravez encore plus les efforts de consolidation de la paix dans la région, dont un des processus, le DDR (désarmement, démobilisation, réintégration), peine à être mis en place par le gouvernement ?
Leur système de DDR ne nous intéresse pas. Si l’État veut nous désarmer, il faut qu’il accepte certaines conditions !
Quelles conditions ?
Il faut qu’il accepte de venir construire une base militaire permanente dans cette zone avec des forces qui seront là pour protéger les populations. Si cette condition est remplie nous rendrons les armes.
Pourtant, le gouvernement a annoncé qu’il désarmerait «tous ceux qui ne doivent pas porter des armes, sans discrimination».
Nous ne leur remettrons pas nos armes, pas question ! Il ne faut même pas qu’ils essaient de nous désarmer. Quand la force du G5 Sahel et les Famas seront sur place et qu’ils seront en mesure de sécuriser durablement ces territoires, dans ce cas-là il n’y aura pas de problème et nous pourrons rendre les armes. Mais, nous ne sommes pas d’accord pour désarmer alors qu’ils ne sont pas capables de sécuriser ces zones. Nous n’allons pas rendre nos armes et laisser des voyous venir maltraiter les paisibles populations.
Respectez-vous la mesure de restriction à la mobilité qui interdit formellement d’user de pick-ups ou de motos comme moyens de déplacement dans la région de Mopti notamment ?
Je vais être clair, nous ne respectons pas cette mesure-là, ni hier, ni aujourd’hui, ni demain. Les Famas brûlent les motos des personnes qui n’applique pas ce décret. Mais dans la zone où nous opérons, les Famas ne font pas de patrouille, ils ne viennent pas jusque-là. Donc, il n’y a pas de contrôle, c’est ce qui nous motive aussi à continuer de circuler à moto dans la zone et c’est ce que nous continuerons de faire. Vous savez, les «djihadistes-malfaiteurs» que nous combattons utilisent des motos. Nous sommes obligés d’en utiliser pour patrouiller ces zones. Si nous respectons cette mesure, nous sommes sûrs de perdre la bataille.
Quels sont vont relations avec les forces de sécurité malienne sur le terrain ?
Il faut que les gens comprennent que le travaille que nous faisons sert à aider l’État qui n’est pas présent dans ces zones. Nous n’avons aucun problème avec les forces de sécurité. Dès que nous avons des informations par rapport aux mouvements de ces gens, nous partageons nos informations avec les Famas quand nous les voyons. Nous collaborons très bien ensemble. Quand nous arrivons à appréhender un malfaiteur, s’il y a un poste militaire pas trop éloigné de la zone d’opérations, nous les livrons aux Famas. Nous ne leur réclamons rien, nous sommes là comme eux pour sécuriser.
Aujourd’hui dans les zones que vous sécurisez, le simple fait d’être Peul constitue-t-il un danger ?
Nous ne ciblons pas les Peuls au hasard, nous n’attaquons que ceux qui sont liés de près ou de loin aux malfaiteurs. La plupart des gens que nous avons eu à traquer, qui attaquent les villages, commettent des méfaits, sont majoritairement issus de la communauté peule. C’est la raison pour laquelle les gens pensent que ce sont notre principale cible.
Comment faites-vous pour identifier ces « malfaiteurs » qui seraient issus majoritairement de la communauté peule ? Ne craignez-vous pas de faire des amalgames ?
Non, nous ne tombons pas dans l’amalgame. Nous n’attaquons pas directement, ce sont eux qui viennent attaquer les populations, nous nous défendons et les poursuivons. Quand nous sommes attaqués, nous ripostons. Ceux qui agissent dans ces zones et commettent ces exactions sont majoritairement des Peuls, bien qu’il y ait d’autres ethnies avec eux. Pour nous, les choses sont claires. Il ne peut y avoir d’amalgame de notre part à ce niveau. Vous savez, nous vivons avec les Peuls depuis des siècles, donc il n’y a pas de problème entre Dogons et Peuls. Nous sommes loin d’un conflit intercommunautaire comme ont peut l’entendre. Encore une fois, notre rôle n’est pas de combattre les Peuls, mais de combattre les malfaiteurs. Qu’ils soient Peuls, Dogons ou autres, nous les ciblons et les combattons, de quelques ethnies qu’ils soient.
Ne craignez-vous pas d’être entraîné dans un long cycle de violence fait d’attaque et de représailles ?
Nous devons faire face à ces malfrats parce que personne ne le fera pour nous. Nous avons les armes et nous sommes prêts à riposter dès qu’il le faut. Si nous déposons les armes ce soir, demain c’en sera fini de nous. Nous devons aller jusqu’au bout.
À Bamako, l’État avec les chefs des associations peules et dogons, travaillent au dialogue et à la réconciliation entre ces deux communautés, soutenez-vous ces initiatives ?
Les chefs communautaires peuls et dogons, ces gens que l’État écoute à Bamako, ils ne peuvent rien apporter comme solution. C’est nous qui sommes-là. C’est nous qui subissons ces conflits. Ces gens sont en train de parler en notre nom à Bamako auprès du président de la République, du Premier ministre, des ministres. Ils prennent beaucoup d’argent, ont leur donne des véhicules climatisés, ils sont bien logés. ils vous donnent des instructions par téléphone, puis ils viennent avec leur discours, s’en retournent et c’est fini, ça n’a aucun impact. Nous continuons à nous faire tuer, nous continuons à subir cette situation.
Quelles solutions proposez-vous ?
Pour apaiser les tensions, il faut s’asseoir avec les vrais acteurs qui sont sur le terrain : les représentants de Dan na ambasagou, les représentants de ces combattants peuls et à partir de là, on met tout sur la table pour résoudre les problèmes et ce sera terminé. Les associations communautaires comme Tabital Pulaaku, Ginna Dogon, ça ne sert à rien, ils ne peuvent qu’organiser des festivals.