Le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, est arrivé ce vendredi matin dans la cité du désert, qui échappe toujours au contrôle de l'Etat malien cinq ans après que les soldats français de l'opération «Serval» en ont délogé les jihadistes qui l'occupaient.
La dernière visite d’un Premier ministre malien à Kidal remonte au 17 mai 2014. Un souvenir cuisant : le déplacement de Moussa Mara dans le fief des Touaregs du nord du Mali avait été qualifié de «Waterloo national» par la presse malienne. Dès son arrivée, des affrontements avaient éclaté entre les puissants groupes armés touaregs et les forces régulières, forçant le chef du gouvernement à quitter la ville sous les balles.
Quatre ans plus tard, son ministre de la Défense (qui n’avait pas fait le voyage à Kidal à l’époque) est devenu à son tour Premier ministre. Soumeylou Boubèye Maïga a entamé ce jeudi une tournée dans le nord du pays, qui échappe toujours largement au contrôle de l’administration malienne. Son avion devait se poser dans l’après-midi à Kidal, après un arrêt à Tessalit dans la matinée. Une première depuis l’humiliation de 2014. Mais la visite a été reportée au dernier moment au lendemain en raison d'«une tempête de sable qui empêche tout atterrissage», selon un responsable malien. Il est finalement arrivé ce vendredi en fin de matinée.
La veille, le camp de la Mission des Nations unies pour le Mali (Minusma) et des forces françaises de l’opération «Barkhane» à Kidal a été pris pour cible. «Cinq à six tirs de mortier» ont visé la base, blessant légèrement cinq soldats français, d’après l’état-major des armées. Quatre personnes «en lien plus que probable» avec l’attaque ont rapidement été interpellées. La veille, le Jamaat Nosrat al-Islam wal-Mouslimin (Jnim), le groupe jihadiste le plus meurtrier de la région, avait diffusé une vidéo montrant ses camps d’entraînements dans le désert, des attaques menées contre des casernes maliennes et burkinabé, et un appel du numéro 1 d’Al-Qaeda, Ayman al Zawahiri, à frapper la France et ses alliés en Afrique du Nord et au Sahel.
Le leader du Jnim, Iyad ag-Ghali, est une ancienne figure de la rébellion touareg. Les groupes armés membres de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), signataires de l’accord de paix d’Alger en 2015, ont officiellement rompu tout lien avec son organisation, mais Paris a par le passé accusé certains de ses responsables de jouer un «double jeu». La CMA affirme aujourd’hui être maître de Kidal. Comment a-t-elle pu laisser les tirs de mortier se produire ? «Ce n’était qu’un petit incident, minimise un de ses cadres. Même avec la surveillance aérienne de la Minusma et de Barkhane, ces choses-là arrivent.»
En amont de la visite de Soumeylou Boubèye Maiga, le président de la CMA, Alghabass Ag Intallah, a multiplié les signaux d’apaisement, se disant prêt à recevoir le Premier ministre avec «fraternité et convivialité». «C’est nous-mêmes qui avons demandé au chef de gouvernement de venir à Kidal. Nous n’avons posé aucune condition. Ses conditions sont les nôtres, a-t-il déclaré à la presse malienne. Nous sommes en train de préparer son arrivée. Nous allons l’accueillir dignement et évoquer avec lui nos préoccupations.»
Il est hors de question, pour les deux parties, de voir le fiasco de 2014 se reproduire. A quatre mois de l’élection présidentielle, Soumeylou Boubèye Maiga tente frénétiquement de prouver que l’Etat malien regagne du terrain. De leur côté, les groupes armés signataires donnent des gages de bonne volonté en espérant obtenir des concessions – dotations budgétaires, postes, avantages collectifs ou individuels – dans le cadre (ou en marge) des négociations de paix. Le processus d’Alger a pourtant pris un retard considérable. Son calendrier initial n’est plus qu’un lointain souvenir, le désarmement n’a pas encore débuté, et les autorités sont toujours largement absentes du Nord. Cette visite, hautement symbolique, permet à tout le monde de sauver les apparences.