Les noms de certains joueurs dans les annales du football malien sont écrits en lettres d’or. Cette particularité peut s’expliquer certes par leur talent, mais aussi par la réalisation d’un grand exploit ou la détention d’un record. Amadou Bass fait partie de cette dernière catégorie de joueurs, pour avoir marqué, dans une compétition officielle internationale, 8 buts au cours d’une double confrontation dont 4 buts à l’Aller et autant au Retour. C’était lors des éliminatoires directes du championnat d’Afrique juniors en 1988, où les deux finalistes étaient d’office qualifiés pour la Coupe du monde. De source digne de foi, même le roi Pelé n’a pas pu réaliser un tel exploit. Autant cette campagne des Aiglons a fait découvrir une génération de joueurs pétris de talent, autant le capitaine Amadou Bass s’est distingué par ses qualités de joueur exceptionnel : sérieux, ambitieux, déterminé et volontaire. Il n’a connu que le Djoliba AC, avec des sauts dans les différentes catégories de l’équipe nationale : junior, espoir, sénior. Après une belle carrière, noircie par son exclusion de l’Ena, il finira par décrocher un diplôme à l’Ehep grâce à son courage. Aujourd’hui, Bass est employé à la Bnda de Sikasso. Et c’est après une journée de travail très rude que nous avons réalisé, au téléphone, son interview dans le cadre de votre rubrique préférée : ” Que sont-ils devenus ? “. L’homme, dans un français limpide, a bien voulu répondre à nos questions.
L’histoire sur la CAN de 1972 nous a été tellement contée, que finalement nous avions tendance à nous perdre dans ses méandres. On a parlé de la mauvaise volonté de Salif Keïta, de la déception de Cheick Fanta Mady Keïta pour le non-respect de la promesse que l’Etat aurait prise par rapport à son admission sur titre au Baccalauréat après la compétition. Heureusement que le capitaine des Aigles, Kidian Diallo, lors de son passage dans cette rubrique, a apporté des éclaircissements pour disculper Salif et dire son étonnement pour ce qui concerne le soulier d’or de la CAN camerounaise (Cheick Fanta Mady), en se basant sur la période de la compétition (février-mars 1972) et celle de l’examen du baccalauréat (juin 1972). Une façon de démontrer que cette rumeur liée au Bac de Fanta Mady Keïta n’était pas fondée. Nous avons fait ce rappel des faits, 46 ans après, pas dans le but de remuer le couteau dans les plaies ou de réveiller les vieux démons. Seulement notre héros du jour, Amadou Bass, selon ses explications, aurait été victime du football malien et la manière dont les choses se sont passées constitue pour lui une déception. Nous y reviendrons plus bas.
Sport et études riment mal…
Le nom d’Amadou Bass renvoie à ce jeune de teint clair, vers la fin des années1980. Très galant, avec une démarche de playboy, il est l’un des rares joueurs qui a atteint le sommet de son art en arpentant les escaliers et non l’ascenseur. Comment ? De cela aussi nous parlerons plus bas.
Mais faudrait-il signaler que le monde sportif malien a découvert ce jeune talentueux en 1988. A la faveur des éliminatoires directes du championnat d’Afrique des Juniors, il a marqué 8 buts en deux matches contre le Sénégal. Cet exploit dont le record n’est pas encore battu, lui a valu un cadeau de l’éminent journaliste Français Hedy Hamel. Notre confrère, séduit par la qualité du jeune joueur malien, profita du tournoi des Black Stars en France pour lui dire toute son admiration, sanctionnée par une grande interview. Cette campagne des Aiglons qui l’a propulsé au-devant de la scène a pourtant été la cause principale de son échec à l’Ena. Et c’est là où nous avons fait allusion au cas de Fanta Mady Keïta. Comment Amadou Bass a-t-il été exclu de l’Ecole nationale d’administration (Ena) ? Il revient sur sa mésaventure : ” Au match aller à Bamako contre le Sénégal, le Mali a gagné 4 buts à 0. J’avais inscrit les 4 buts maliens. Le match retour a coïncidé avec les examens partiels à l’Ena, mais la direction de l’école m’a convaincu d’effectuer le voyage de Dakar parce que les partiels ne pourraient constituer un obstacle pour la suite de l’année.
Au retour de l’équipe, on me demanda de faire l’examen partiel spécial. En toutesincérité, je n’avais rien préparé, parce que je ne m’attendais pas à un tel scénario dans l’immédiat. Malheureusement, je me suis retrouvé en deuxième session, avec des matières à valider. Entre temps, l’entraineur Kidian Diallo m’avait convoqué en équipe nationale sénior, pour le tournoi des Black Stars en France. Avant notre retour de cette compétition, la deuxième session a été programmée et je me suis retrouvé sur la liste d’exclusion. Cela a été un problème au niveau des ministères des Sports et de l’Education nationale. Finalement, mes parents ont apporté tous mes relevés de notes, du primaire au lycée. Une façon de convaincre les autorités scolaires, que n’eut été la cause nationale, je n’aurais pas été dans une situation extrême comme l’exclusion. C’est ainsi qu’on m’avait proposé une bourse sur l’Algérie, que j’ai refusée. Le Ministère m’orienta à l’Ecole des Hautes études pratiques (Ehep). Et c’est à ce niveau que j’ai pu avoir un diplôme en comptabilité. Cette affaire a été pour moi une déception”.
Après sa sortie de l’Ehep et après avoir fait un an à Oman par contrat, Amadou Bass, handicapé par un mal de genou, décida de mettre fin à sa carrière. Une autre paire de manches commença pour lui : la recherche de l’emploi. A ce niveau aussi, les relations footballistiques n’ont pas eu le répondant adéquat pour le sortir de ce guêpier du chômage. Mais grâce à un ami il décrocha un poste de comptable dans une entreprise togolaise où il a assuré la comptabilité durant trois ans.
Pendant tout ce temps, d’après Bass, il a tourné dos au monde sportif et cela pour plusieurs raisons. A la fin de l’année 2001, il est admis au concours de recrutement de la Banque nationale de développement agricole (Bnda). Et actuellement, il sert à Sikasso.
Ayant commencé à jouer au football dans le quartier populaire de Ouolofobougou Bolibana, avec le FC Ajax, Amadou Bass rejoint le centre de formation du Djoliba en 1984. Sous la houlette de l’infatigable Aly Koïta dit Faye, il a eu comme compagnon, dans la pépinière Rouge, les Moussa Koné, Kassim Touré, Mamoutou Tolo, Solo Banzé. Rarement, chez Faye, un jeune brulait les étapes pour se retrouver dans la tanière des ténors du Djoliba à l’époque. C’est-à-dire les Poker, Muller, Bourama Traoré, Fagnéry Diarra, Mamadou Doumbia dit Ouolof, Seyba Coulibaly, Seyba Sangaré, etc… Donc la génération de Bass se conforma à sa maturité au niveau des différentes étapes du centre de formation des Rouges. En pleine progression, Bass et ses commandes ne rêvaient mieux que d’une intégration dans l’équipe première. Mais comment ? C’était là toute la problématique de leurs désirs.
En 1987, malgré le fait que les supporters sont unanimes qu’ils ne sont pas tous aptes pour l’examen de passage du niveau sénior, un argument plaide en leur faveur : le talent. Ainsi, Amadou Bass et ses compagnons rejoignent la cour des grands. Feu Moussa Koné les avait déjà devancés.
Pour répondre à la question de savoir, comment les jeunes ont pu relever le défi d’intégration de l’équipe sénior du Djoliba, Amadou Bass pense que l’entraineur Karounga Keïta dit Kéké avait son plan en tête. Pour cela, il les suivait de très près, et échangeait beaucoup avec leur coach. C’est après cela qu’ils ont su cet état de fait. Kéké, entraineur aussi de la Banque internationale pour le Mali ( Bim-sa) profita de la coupe Corpo pour se faire une idée sur leurs potentialités, avant de prendre la décision de les intégrer. Contrairement à leurs inquiétudes, Amadou Bass soutient que son groupe n’a pas souffert des problèmes d’adaptation par rapport aux réalités du nouveau milieu, dont les tenants et les aboutissants les effrayaient beaucoup. Mais les anciens les ont bien encadrés et leur discipline vis-à-vis des ainés a facilité les choses.
Et l’heure de la gloire sonna !
Une fois dans la catégorie suprême du Djoliba, Amadou Bass qui a évolué comme milieu offensif ou défensif et même avant-centre, n’avait qu’une seule ambition : ne rien ménager comme effort pour s’imposer. Parce qu’il est convaincu que sa valeur intrinsèque pouvait lui permettre de se faire valoir.
Jeune lycéen, il se cachait pour aller aux entrainements. Ses parents tenaient plus aux études qu’au football. Son premier match, sous la forme de son baptême de feu, fut la finale d’un tournoi de la Ligue. Amadou Bass laissa une tâche indélébile dans le cœur de nombreux spectateurs. Le Djoliba s’imposa par 3 buts à 0, dont deux buts du jeune Bass. Désormais, les Djolibistes pouvaient compter sur lui pour assurer la relève, surtout que la plupart des cadres lorgnaient vers la sortie. A la fin de l’année, il est sélectionné dans l’équipe nationale junior. C’est le début d’une longue histoire de sa carrière.
C’est donc après le départ d’une grande partie des doyens, le groupe de Bass composé de Bouba Diabaté, Oumar Guindo (venu de Mopti), Samba Sow, Moussa Koné, Drissa Keïta sera le porte flambeau de la famille Rouge, sous l’ombre de Poker, Bakary Diakité dit Bakaryni et Muller, que le jeune Amadou Bass a connu l’apogée de sa carrière, avec cette épopée des Aiglons dirigés par Nany et Doudou.
Au début, pour ces jeunes, le soutien indéfectible de l’Etat et des supporters n’était pas acquis d’office. Mais après avoir étrillé le Sénégal par 8 buts à 2 sur l’ensemble des deux matches ; éliminé le Maroc et l’Egypte, l’engouement se créa autour d’eux. Ces juniors se qualifieront pour la finale (perdue contre le Nigéria) et pour la Coupe du monde, jouée en Arabie Saoudite en 1989.
Capitaine d’équipe, Amadou Bass était en quelque sorte l’éclaireur du groupe. C’est-à-dire que sa forme reflétait la qualité de l’équipe. Pourtant, sur ce plan, il estime que leurs forces résidaient dans le travail collégial et la complicité. Mieux, ils se disaient les quatre vérités s’il le fallait, pour ensuite continuer la vie de groupe sans haine et sans rancune.
Après avoir séduit le monde par son exploit, Kidian Diallo, à l’époque entraineur des Aigles, sélectionna Bass pour le tournoi des Blacks Star en France. Il démontra également son savoir faire à cette compétition, avec à la clef un but splendide dont les spectateurs se souviendront pendant longtemps. Sans pour autant être titulaire attitré au sein des Aigles, Amadou Bass a participé aux différentes campagnes des éliminatoires des CAN d’Algérie 1990 et Dakar 1992. Il a pris part aussi aux Jeux africains de Caire en 1991 où le Mali a été éliminé en quart de finale aux tirs aux buts.
Avec le Djoliba, il a gagné une coupe du Mali en 1991, et deux titres de champions.
A l’analyse, on parvient à la conclusion que la carrière de Amadou Bass a été riche : un parcours honorable en championnat d’Afrique des juniors, une coupe du monde junior, une phase finale de Jeux africains espoirs, une coupe du Mali, deux titres de champions, un tournoi international en France, des campagnes aves les Aigles, un contrat professionnel à Oman.
Comme souvenir, Bass retient la découverte du monde à travers les nombreux voyages, la rencontre des grands footballeurs comme Salif Kéïta, l’Ivoirien Laurent Pokou, sa visite à la Kaba lors de la coupe du monde qui s’est déroulée en Arabie Saoudite.
Son seul mauvais souvenir est cette débâcle des Aiglons maliens face au Brésil. Ce jour, l’entraineur, contre toute attente, l’écarta pour insuffisance d’efforts. Cela lui avait fait mal au même titre que Sory Ibrahim Touré dit Binkè, qui avait même commencé à tempêter sur le banc de touche. Mais Bass se rappelle avoir dit au jeune Binkè qu’il exposait son père en se comportant ainsi. Surtout que ce jour, un recruteur Belge est descendu dans les vestiaires pour conseiller à l’encadrement technique malien l’entrée de Bass et de Binkè pour stabiliser le milieu malien, qui avait commencé à vaciller sous la pression brésilienne. La suite est connue : le Mali finira par s’incliner par 5 buts à 0.
A-t-il des ambitions dans l’avenir ? Amadou Bass répond : “En un moment donné, j’avais commencé à m’intéresser au football, à l’Unafom et j’avais également une vision pour le Djoliba. Malheureusement, ma mutation à Sikasso a été un coup d’arrêt pour tous ces projets. Avec la distance, j’ai tendance à perdre le bout du fil”.