Le juteux marché des cartes d’électeur, qui a défrayé la chronique il y a plusieurs semaines, était le principal plat de résistance du conseil extraordinaire des ministres du vendredi 10 mai 2013. C’est dire que les représentants de l’État ont cautionné l’entente de gré à gré.
Vendredi 10 mai, le gouvernement malien, lors d’un conseil extraordinaire, a statué sur l’attribution du marché des cartes d’électeur Nina. Le marché avait, il y a quelques semaines, été déclaré infructueux car aucune des treize entreprises postulantes – dont une grande majorité de sociétés étrangères – n’avait pu emporter la conviction du ministère de l’Administration territoriale, grand manitou de l’organisation des élections.
À la suite de cette procédure infructueuse, le ministre de l’Administration territoriale, le colonel Moussa Sinko Coulibaly, a invoqué l’urgence pour obtenir du gouvernement l’autorisation de désigner, par entente directe, c’est-à-dire de gré à gré, l’entreprise qui va confectionner les cartes. Le choix du colonel, qui s’est porté sur la société française Safran-Morpho, a été confirmé par le conseil des ministres de vendredi dernier.
Pourquoi Safran-Morpho ?
La société Safran-Morpho figurait bien parmi les treize entreprises dont les offres ont été rejetées, au départ, par le gouvernement. « Elle était la moins-disante des treize entreprises et ses offres n’avaient été rejetées qu’en raison de formalités administratives et non pour des raisons techniques », témoigne un membre du gouvernement.
À présent déclarée adjudicataire du marché, Safran va engranger 8,514 milliards de francs CFA. Elle a un délai de trente jours pour fabriquer les cartes d’électeur Nina. Concrètement, elle recevra de la DGE (Délégation générale aux élections, structure liée au département de l’Administration territoriale) le fichier électoral biométrique informatisé issu du RAVEC (Recensement administratif à vocation d’état civil) et imprimera sur des cartes plastiques les noms, prénoms, résidences, photos, lieux et dates de naissance des 6,9 millions d’électeurs qui y sont inscrits. Safran-Morpho livrera les cartes imprimées à la DGE qui, à travers les services du ministère de l’Administration territoriale, procédera à leur distribution en faisant du porte-à-porte. « Pour éviter toute fraude, les cartes Nina non distribuées ne seront plus disponibles dans les bureaux de vote », nous dit-on au gouvernement. Il a été décidé qu’à compter du 30 mars 2013, le fichier issu du RAVEC ne subirait plus de changement, ce qui a pour conséquence d’exclure du vote tous ceux qui n’y sont pas recensés, notamment les 300 000 jeunes gens qui, entre 2011 et aujourd’hui, ont atteint l’âge de voter. La carte Nina aura une validité de dix ans. Elle ne sert pas seulement à voter ; elle sert aussi à effectuer tous les actes de la vie civile. D’où l’intérêt de la garder précieusement.
Si personne ne doute de la bonne foi du gouvernement quant à l’organisation d’élections propres, certains soulignent que le choix de Safran-Morpho n’est pas forcément le meilleur. Cette entreprise est celle-là même qui a fabriqué les cartes d’électeur du premier tour de la dernière présidentielle en Guinée-Conakry. Or ce scrutin, qui a failli plonger le pays dans la guerre civile, a été marqué par des fraudes massives ; après médiation sous-régionale, on a vu, au second tour, le candidat Alpha Condé (environ 20 % des voix au premier tour) battre son rival Cellou Dalein Diallo (environ 47 % des voix au premier tour) ! Comment toutes ces fraudes ont-elles pu avoir lieu malgré les cartes biométriques de Safran ?
De plus, selon des sources bien informées, l’entreprise française compte parmi ses actionnaires un certain Adama Bictogo, ministre de l’Intégration africaine limogé par le président ivoirien Alassane Ouattara pour ses liens secrets avec la junte militaire malienne. Quand on sait que la junte malienne a des intérêts majeurs dans la présidentielle de juillet et que c’est l’un de ses proches, le colonel-ministre Coulibaly, qui a choisi de gré à gré Safran-Morpho, on ne peut que s’interroger sur tant de troublantes coïncidences.