Au Mali, la preuve en a été donnée : « Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne ». Le 17 novembre 1968, Ségou réserve un accueil triomphal à Modibo Keïta. Le lendemain, Modibo Keïta est renversé, Moussa Traoré triomphe. Le 26 mars 1991, la IIè République est renversée, assimilée à « vingt-trois ans de dictature corrompue et sanguinaire », Amadou Toumani Touré triomphe. Le 22 mars 2012, l’univers, abasourdi, apprend la chute d’Amadou Toumani Touré, chassé du pouvoir pour « incompétence » par un groupe d’officiers subalternes sans que cela émeuve outre mesure le petit peuple. Amadou Haya Sanogo triomphe. Aujourd’hui, abandonné, aux dires de certains, par ses alliés, il médite sur son sort dans une situation de privation de liberté. Et « ainsi passe la gloire du monde ».
26 mars 1991, 22 mars 2102 : deux dates anniversaires en moins d’une semaine. La seconde, jeudi dernier, est passée inaperçue. Totalement. La première sera, sinon célébrée, du moins commémorée : jour chômé et payé, marche silencieuse vers le Carré des Martyrs, message à la Nation du président de la République, dépôt de gerbes de fleurs aux pieds de la femme éplorée pleurant sur le corps de son enfant à l’entrée du pont des Martyrs, sonnerie aux morts, hommages aux « victimes de la répression ». Et après, l’oubli. Jusqu’à l’an prochain, à la même date pour les mêmes cérémonials. Pourtant, à y regarder de près, il existe un lien entre les deux dates : le 22 mars 2012 signe, bien que difficile à admettre, l’échec du 26 mars 1991.
Du reste, chacun a sa lecture du 26 mars 1991. L’événement est présenté, par certains, comme « l’Aube transparente d’un jour nouveau ». Après « vingt-trois ans de mensonge », le peuple, selon les acteurs du « Mouvement démocratique », recouvrait la liberté. L’homme par qui cela a pu être possible, Amadou Toumani Touré, sera célébré comme « le soldat de la démocratie ».
Alpha Oumar Konaré, professeur de son état, n’aura de cesse à nous asséner des cours sur la démocratie, à nous, Maliens mais aussi Africains, présents sur tous les fronts, condamnant tous les coups d’Etat, sauf, et on ne comprend pas pourquoi, celui perpétré au Nigéria pas Sanni Abacha, pourtant le plus sanguinaire de tous les putschistes, assassin du Nobel alternatif, Ken Saro Wiwa et de ses compagnons d’infortune. La démocratie est présentée comme la panacée. Le Mali, après « vingt-trois ans d’obscurantisme, de descente aux enfers », renouait avec l’espoir et était présenté comme un modèle.
Pourtant, tout le monde n’a pas cette lecture du 26 mars 1991. En voici une autre : En 1991, il y avait une nouvelle donne : la démocratisation, qui était dans tous les discours. C’était bien et c’est encore, je le répète, un phénomène de mode. Je ne crois pas beaucoup ce phénomène de démocratie occidentale pour nous. (…)
A la conférence de La Baule, en juin 1990, on nous a quasiment annoncé qu’on allait exiger des Etats africains un certificat de bonne conduite démocratique. En 1993, changement de disque : « la démocratie, c’est très bien, mais ce qui importe, c’est l’efficacité. » Voilà pour les conseils. Regardons les faits. La démocratie émerge très difficilement. Pourquoi ? Je ne crois pas que les institutions et les règles que les uns et les autres essaient de mettre en place établissent le type de démocratie qui nous convient. Nous avons pris un modèle de démocratie tel que nous l’avons trouvé en Occident, prêt à importer. Dans presque tous les pays francophones, nous avons à peine démarqué la Constitution française de 1958.
On n’a tenu aucun compte des systèmes politiques et des organisations administratives et militaires qui ont fait leurs preuves jadis chez nous, tels ceux des grands empires. Nous aurions dû établir les bases en partant de notre propre culture.
[…]On peut concevoir une démocratie sans élections ; il peut y avoir multipartisme sans démocratie. Il faut reprendre aujourd’hui, sereinement et sur la lace publique, le débat sur la démocratie en Afrique. L’auteur de ces propos se nomme Amadou Toumani Touré, « le soldat de la démocratie ». Ils ont été prononcés lors de son interview accordée à Hammid Barada et Philippe Gaillard pour le compte du supplément au numéro double 1753-1754 de Jeune Afrique. Ils se passent de commentaire.