Émergence 2020, excellence pour l’émergence du Mali, émergence par-ci émergence par-là, on n’entend que cela de la part de nos autorités. Et pour s’en convaincre on brandit les taux de croissance flatteurs de ces 3 dernières années, 6% en moyenne, et on monte en épingle quelques travaux en trompe-l’œil en cours ou projetés à Bamako et l’achèvement de chantiers emblématiques (la route 2×2 de Koulikoro, les travaux urbains de Ségou et le pont de Kayo…) Mais, aujourd’hui, 4 ans et demi après l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Boubacar Kéita, on est en droit de se demander si le Mali tend vraiment vers l’émergence.
Le Mali peut-il devenir émergent en moins de 10 ans comme le promettent les tenants du pouvoir? La situation actuelle et son évolution projetée se font-elles dans l’intérêt des Maliens et des populations vivant au Mali ? Garantissent-elles un recul de la pauvreté et l’amélioration des conditions de vie des populations ? À qui profite le crime du nouveau cycle d’endettement et « d’aides » générés par la croissance actuelle ?
Sans refuser l’émergence, ces questions méritent d’être examinées sérieusement.
Le Mali enregistre une croissance forte depuis 2013, estimée à 4 % en 2014, 5 % en 2015 et prévue entre 6% en 2018. La croissance économique du Mali depuis 2013 s’explique par 3 phénomènes : 1) le rattrapage économique, consistant à remettre le compteur de la croissance à 0% dans un pays qui avait une croissance économique de 2.4% en 2010 et qui a chuté à -4.7% en 2012. Pour se faire il fallait réaliser au moins 6.1% de croissance, presque mécanique dès que les activités ont repris. Tout se passe comme si pendant un mois l’on bloque votre salaire qu’on vous reverse les mois suivants sur votre salaire, vous aurez l’impression d’avoir un salaire plus élevé mais en réalité il n’en est rien. Le taux de croissance de 5% de 2015 permet tout juste de constater une croissance réelle supplémentaire de seulement 2.7% par rapport à 2012, et ceci malgré toutes les ressources injectées dans l’économie (qui était littéralement sous perfusion) et le soutien inconditionnel de la communauté internationale ; 2) Le gouvernement a profité pour se lancer dans un ré-endettement accéléré tout azimut, l’achèvement des chantiers lancés à Koulikoro avec le concours de la Banque mondiale depuis 2013, le bitumage de la route Kolondiéba frontière Côte d’Ivoire, le pont de Kayo et un vaste programme de dépenses présidentielles non maîtrisées. C’est ce qui explique que le bond le plus important des investissements depuis 2014 est observé au niveau des investissements publics; 3) La surconsommation des élites et des ex-rebelles, consommant leur butin de guerre tandis que la majorité de la population tire le diable par la queue, s’accompagnant d’un accroissement des importations. Les importations qui se montaient à 1205.3 milliards en 2012 passent à 2835.2 milliards en 2014, et à plus de 3000 milliards en 2016. Elles sont prévues à 4675 milliards en 2018, pratiquement au même rythme que la croissance réelle projetée.
Les exportations quant à elles stagnent sur la période. Les exportations qui se montaient à 3598 milliards en 2012 passent à 3699 milliards en 2014, et à 3986 milliards en 2016. Elles sont prévues à 4568 milliards en 2018. On comprend la forte dégradation du compte courant de la balance des paiements. Le solde courant en pourcentage du PIB se monte à 10.9% en 2011, -1.9% en 2012 et -4.2%. Il est prévu à -3.1% en 2015 et -4.2% en 2017. Une telle dégradation rapide et durable des comptes courants extérieurs traduit la perte de compétitivité de l’économie. Ces tendances de la croissance de l’économie malienne ne peuvent être soutenables que si elles s’accompagnent d’un endettement extérieur continu.
Par ailleurs, la nature profonde de cette croissance explique sa fragilité et son faible impact positif sur la vie des populations.
Tout d’abord, les ressorts de la croissance sont temporaires (le rattrapage économique mécanique et les effets de la réduction du stock de la dette extérieure agissent comme un choc mou favorable. Le rattrapage économique s’est accompagné d’une explosion de l’inflation (jusqu’à 11% de taux d’inflation, près de 3 fois la norme communautaire). Si le pays était bien organisé en cette année l’évolution aurait entraîné un accroissement des recettes publiques.
Les pillages et la désorganisation des régies financières n’ont pu permettre de capter ces recettes.
L’état, qui était porté à bout de bras par la communauté internationale, s’est au contraire lancé dans une course effrénée au ré-endettement. Une partie de ces fonds a alimenté la croissance des investissements publics, exécutés essentiellement par les firmes étrangères, notamment françaises. Le pillage des entreprises ont permis à des barons de constituer une sorte d’accumulation primitive qui servira, à côté de tous les trafics et les détournements de fonds constatés dans presque tous les secteurs, à alimenter la consommation de biens importés par une petite frange de la population au détriment du plus grand nombre, maintenu dans la misère.
Tout se passe comme si le pays a vécu au cours de ces 4 dernières années sur les importations de biens d’équipements et mobiliers pour les grands travaux et les biens de consommation financées par l’endettement public et les fruits des rapines. Comme indiqué ci-dessus ces éléments ne peuvent être durables. La capacité de ré-endettement de l’État à une limite, apparemment déjà atteinte et on ne peut piller indéfiniment des biens et patrimoines (publics et privés) qui ont été constitués pendant des décennies, qui ne peuvent se renouveler du jour au lendemain. C’est le propre des systèmes qui reposent sur la prédation et qui dépérissent à l’épuisement des ressources pillées.
La stratégie de relance adoptée par le pouvoir, tirée essentiellement par la demande publique aurait dû être relayée par une simulation des ressorts d’une croissance tirée par l’offre avec un appareil de production revigoré.
Ce n’est pas le cas, il n’y a donc pas de création significative de richesses pouvant permettre de faire face à un endettement continu. Le règne de l’insécurité provoqué par des désœuvrés en arme faisant office de force de sécurité, ne milite pas en faveur d’investissements durables et créateurs de richesses. On constate l’absence d’une politique de stimulation de l’offre et de la compétitivité (forte hausse des importations et stagnation des exportations).
Ensuite, la croissance de ces dernières années au Mali n’est pas inclusive, elle est même exclusive. La majorité des Maliens ne voient pas les taux de croissance extrêmement élevés impacter positivement leurs conditions de vie. Les emplois sont toujours aussi rares malgré le « vuvuzela » du gouvernement sur la création d’emplois, la vie est toujours aussi chère, les services publics délabrés (peu de nouvelles écoles primaires, de nouveaux lycées, et ceux existant sont peu entretenus, pas de nouveaux hôpitaux et centres de santé, ceux existant sont à l’abandon, dépourvus de médicaments, même les CHU ne sont pas mieux lotis, on parle de plan d’urgence de remise en état des services des urgences).
En fait, la croissance économique qu’on observe au Mali depuis 2013 traduit le retour à une économie totalement extravertie, désarticulée, et qui ne profite point au plus grand nombre de Maliens. Les Maliens assistent, impuissants, à la gloutonnerie des pillards et leurs alliés abusivement baptisée croissance économique.