Après le Régime socialiste de Modibo Kéïta et les 23 ans de dictature de Moussa Traoré qui ont pris fin un jour du 26 mars 1991. Ensuite il y a eu la mise en place d’un Comité de transition dirigé par le Jeune putschiste Amadou Toumani Touré. Le 8 juin 1992, la Démocratie malienne a pris son envol par l’investiture d’Alpha Oumar Konaré à la tête de la République. Donc, la célébration de la journée du 26 mars ne doit pas se limiter au romantisme, mais plutôt à des réflexions objectives en la mémoire des martyrs. Par conséquent, faire le bilan du parcours effectué de 1991 à nos jours.
Votre quotidien LE COMBAT s’est rendu le 26 mars 2018 chez un grand écrivain Doumbi Fakoly, auteur d’une trentaine d’œuvres. Il a été un témoin oculaire et actif des évènements de mars 1991.
Suivez son interview…
LE COMBAT :
De 1991 à nos jours, est-ce les martyrs qui sont tombés ont été vengés par les Démocrates ?
Doumbi Fakoly: Ceux qui ont pris le Pouvoir ne l’ont pas pris pour se venger, mais pour rectifier une situation qui n’était pas convenable. On ne peut pas dire que les martyrs n’ont pas été vengés ; mais on peut dire que les martyrs ne sont pas satisfaits parce que ceux qui ont pris le Pouvoir pour redresser la situation n’ont absolument rien fait. On peut même dire que ceux-là les ont trahis. Parce que la jeunesse malienne est de plus en plus persécutée moralement et spirituellement. Elle n’a pas de travail; elle n’a pas d’école ni d’éducation. Et, ça, ce n’est pas le fait du Dictateur qui a été reversé, mais plutôt le fait de ceux qui l’ont remplacé et qui ont prétendu faire du bon travail, faire du Mali un pays démocratique.
On cite parfois le multipartisme comme l’un des effets positifs de l’avènement de cette démocratie. Qu’en dîtes-vous ?
Oui, l’installation du multipartisme est bien dans un pays, mais il devient un mal quand il est exagéré. Il y a plus de 100 partis politiques dans ce pays et des partis qui ne représentent rien. Des partis qui ne sont composés que par une personne et ses camarades de grin et de sa famille. S’il y avait, à la rigueur, une dizaine de partis et c’est même beaucoup dans un pays comme le Mali. Mais 3 ou 4 partis, là c’est bien. L’effet positif n’est pas du tout l’installation du multipartisme. Ils en ont profité et ont dénaturé le multipartisme par ce que plus de cent partis politiques dans un pays comme le Mali n’est pas du multipartisme, mais plutôt du n’importe quoi.
Est-ce que les Démocrates ont donné à l’AEEM ce qu’elle mérite vu le rôle indéniable qu’elle a joué lors de l’événement en 1991 ?
L’AEEM, en son temps, était une association consciente du rôle qu’elle devait jouer. Mais l’AEEM maintenant joue un rôle de déstabilisation politique. Elle est remplie de jeunes qui ne sont pas du tout conscients du rôle de défendre le pays pour eux-mêmes parce qu’un pays c’est pour la jeunesse. Si la jeunesse s’était formée, si la jeunesse avait les traces de l’AEEM de l’époque qui s’est levée pour faire partir la dictature, etc., ce serait différent parce qu’elle lutterait pour qu’IBK parte. C’est une AEEM différente de l’AEEM de Cabral et autres. Ils veulent rentrer dans la politique pour qu’on les insère dans certaines positions, mais ne luttent pas pour les élèves et les étudiants du Mali. Quand il y a des armes dans les écoles, c’est inconsolable.
Vous êtes l’un des grands défenseurs de la tradition et des valeurs ancestrales. Selon vous, la Démocratie, pour qu’elle soit à la portée du Peuple malien, doit-elle aller avec ces valeurs ?
Tout le monde parle de la Démocratie, c’est un mot inventé par les Occidentaux qui l’ont amené chez nous. Le mot ne représente rien. C’est un mot pompé qu’on donne à quelque chose qui n’existe pas. Pour être élu dans les pays qui prétendent être démocrates, il faut avoir de l’argent. Il faut faire partie d’un groupe de prêcheurs alors que la Démocratie c’est pour la population. Et dans cette Démocratie, le mensonge, la manipulation, l’hypocrisie les portent au pouvoir. Ainsi, une fois au pouvoir, ils tournent le dos à ses promesses. La vraie Démocratie, si les Africains veulent l’appliquer, il faut qu’ils s’inspirent de leur passée, de leurs traditions. Et dans la tradition il y avait des cours royales qui regroupaient toutes les couches sociales. Ça, c’est une forme de Démocratie. On l’a vu; IBK s’est fait élire sur deux promesses : la libération de Kidal et la lutte contre la corruption. Mais il est là, rien n’est fait, et il veut briguer un deuxième mandat. Cette Démocratie, très éloignée de nos traditions, qui ne fait que suivre la tradition occidentale et pire encore elle est portée par ce qu’on appelle le Franc-maçonnerie qui est une société secrète pour les Étrangers afin de contrôler nos Dirigeants qui aussi travaillent pour eux. La Démocratie elle-même n’existe pas. Nous n’avons pas une Démocratie valable sinon IBK devrait être démis par l’Assemblée nationale. Car, la corruption et l’insécurité se sont aggravées, mais on le laisse terminer son mandat en faisant ce qu’il veut au nom de la Démocratie.
Du Comité transitoire d’Amadou Toumani Touré en passant par Alpha Oumar Konaré puis encore d’ATT à Ibrahim Boubacar Kéïta, quel bilan donnez-vous à ces Démocrates qui ont dirigé ce pays pendant 27 ans ?
J’ai écrit un livre lors du Cinquantenaire de 2010 intitulé »Le Mali 50 ans après Modibo Kéïta à Amadou Toumani Touré » dans lequel je fais le bilan de tout. Aucun d’eux n’est arrivé à la cheville de Modibo Kéïta. Le bilan est négatif et de ces Chefs d’État, on ne sait pas qui est pire. Alpha Oumar Konaré a volé des milliers d’armes et les a brûlés au nom du soi-disant flambeau de la paix. Et Amadou Toumani Touré est venu en tant que Général 5 étoiles et a nommé plus de 50 Généraux en 10 ans de pouvoir pour faire plaisir à des gens. Des Généraux incapables d’assumer. Des djihadistes et des terroristes ont envahi le Mali. Amadou Toumani Touré a refusé d’acheter les armes, et empruntait les armements à Kadhafi lors des cérémonies militaires nationales. Et c’est ce qui a fait que l’armée n’avait pas d’armes et les braves soldats mouraient comme des mouches au front. L’armée malienne jusqu’à présent n’a pas d’armes, même IBK n’a pas acheté les armes. Il a fini par reconnaître tout récemment qu’on l’interdit d’acheter les armes et il n’a pas dit qui l’interdit, mais c’est la France qui l’interdit.
On ne peut pas parler des événements de 1991 sans parler des femmes. Ce sont elles qui sont sorties nombreuses pour soutenir leurs enfants qui étaient les élèves et les étudiants. Quand nous regardions les grandes structures de l’État qui sont suffisamment occupées par les hommes, la démocratie n’a-t-elle pas oublié ces actrices ?
Les femmes n’ont pas eu leur part en parlant d’égalité à tous les postes qui nécessite 50%. La société africaine ne raisonne plus sinon une vraie société africaine sait que la femme mérite beaucoup. Si en 1991 les femmes ont soutenu leurs enfants, c’est parce qu’elles connaissent plus la valeur de la vie. C’est la femme qui est enceintée pendant 9 mois. Après cela, ce sont les sœurs qui viennent au secours de l’homme en nettoyant ses habits. Et après c’est une autre femme qui vient comme épouse. Donc, l’homme n’est rien sans la femme. Dans tous les pays, quand ça chauffe, ce sont les femmes qui sortent et elles méritent un grand regard, pas d’égalité, mais de complémentarité.
Pensez-vous qu’une Démocratie alliée avec nos valeurs ancestrales sera le chemin sauveur de l’Afrique en général et du Mali en particulier ?
Sans le ressourcement culturel et spirituel, c’est-à-dire, sans nos traditions, sans une renaissance culturelle et spirituelle, …, jamais l’Afrique ne sortira de cette situation. Il faut revenir, il faut reconnaître que nous avons des ancêtres. Les Asiatiques ont été colonisés par les Occidentaux, mais ils sont restés asiatiques. Et quand tu suis un autre, tu considéras que leur Dieu est préférable que ton Dieu. Tu considères forcément qu’il est supérieur à toi. Nous attendons tout de l’extérieur. Donc, pour que cela change, il faut impérativement que les Africains reviennent à leur source.
Nous sommes à quelques encablures de l’élection présidentielle qui est un grand rendez-vous de changement de la vie d’une nation. Que suggérez-vous aux Maliens ?
On est à trois mois de l’élection présidentielle, rien n’est encore fait. Les cartes électorales ne sont pas prêtes. Je suis de ceux qui pensent que l’élection présidentielle n’aura pas lieu. IBK fait du boucan, il trompe les gens en faisant comme s’il y aura l’élection, mais il n’y aura pas d’élection. L’insécurité est de plus en plus grande. Il y aura des endroits où on ne pourra même pas voter. C’est le même que Kabila a fait en République Démocratique du Congo (RDC) qui s’est basé sur l’insécurité dans son pays pour se faire reconduire. Comme l’Assemblée Nationale est à son solde, elle va voter la reconduction d’IBK jusqu’à ce que la situation sécuritaire idéale soit rétablie.
Votre dernier mot aux lecteurs du Journal LE COMBAT.
Le travail que nous faisions s’adresse aux jeunes. Nous avions une qui prône la réhabilitation des valeurs ancestrales. Nous sommes les premiers à être créés par Dieu et il ne faut pas se laisser terroriser. Il faut qu’ils s’intéressent à ce que nos ancêtres ont fait en essayant de les découvrir. Et vous verrez que vous serez fiers de vos ancêtres et le Mali va changer dans le sens positif.