Au Mali, la nécessité de préserver les manuscrits de Tombouctou et de Djenné est d’autant plus grande que la situation politique est instable et le risque de détérioration physique important. La British Library, bibliothèque nationale du Royaume-Uni, a lancé dans les deux villes l’Endangered Archives Programme (programme des archives en péril) pour sauvegarder ce patrimoine menacé.
La Bibliothèque Al Wangara / Endangered archives blog
À l’origine, comme l’explique Sophie Sarin sur le blog de la British Library (BL) — celle-ci subventionne 5 programmes des archives en péril au Mali —, Tombouctou était une ville prospère, avec plus de cinquante bibliothèques familiales privées. Les manuscrits arabes font partie du trésor de la ville, en raison de sa position privilégiée sur la route transsaharienne depuis le début du Moyen Âge.
Si elle est le plus important dépôt de ces manuscrits anciens, d’autres villes, comme Djenné, en reçoivent. Cette dernière est située à 500 km au sud de Tombouctou, au centre du Mali. Important lieu de commerce et d'érudition, elle est l'une des portes d'entrée de l'Islam au XIIIe siècle et dépositaire de milliers de manuscrits conservés par les familles depuis des siècles.
Comme le rappelle Sophie Sarin, les manuscrits traitent principalement de sujets islamiques traditionnels tels que les hadiths (dictons traditionnels et histoires attribuées au prophète Mahomet), la jurisprudence islamique de l'école malikite (une des quatre écoles classiques du droit musulman sunnite), la poésie religieuse, les sermons…
Ils abordent aussi la philosophie, à travers l’éthique et la logique, la langue arabe et la grammaire, l’histoire, l’astronomie et l’astrologie.
Une grande partie des manuscrits, en particulier à Djenné, sont ésotériques : on peut y lire des incantations ou des formules magiques qui prétendent dire l'avenir ou influencer le cours des événements en utilisant des phrases du Coran tout en manipulant de la matière végétale ou en faisant des sacrifices d'animaux.
Ces sortes de pratiques sont désapprouvées par certains courants au sein de l'Islam et certains pensent que cela a provoqué la destruction des manuscrits de Tombouctou par les fondamentalistes.
L'Imam de Sankore à la Bibliothèque Al Aquib / Endangered archives blog
Un patrimoine en danger
En effet, pendant l'occupation du nord du Mali par des groupes d’islamistes en 2012, les extrémistes brûlent 4500 manuscrits de l'Institut Ahmed Baba avant que les forces françaises et maliennes ne reprennent Tombouctou.
Héros avant l’heure, le bibliothécaire Abdel Kader Haidara avait réussi à sauver des centaines de manuscrits, les transportant secrètement à Bamako. Son histoire a d’ailleurs été racontée dans deux best-sellers, The Bad Ass Librarians of Timbuktu (2016) de Joshua Hammer et The Book Smugglers of Timbuktu (2017) de Charlie English.
Aujourd’hui, certaines bibliothèques de Tombouctou ont été transférées dans la capitale. Les manuscrits sont conservés et numérisés par SAVAMA, une association des bibliothèques de Tombouctou, dirigée par Abdel Kader Haidara.
Cependant, certaines bibliothèques ont refusé de participer à cette mission de sauvetage. Elles ont choisi de cacher leurs précieux manuscrits dans des lieux secrets, notamment dans le désert de Tombouctou et ses environs. Ainsi des bibliothèques de l’Imam Essayouti, Al Aquib et Al Wangara, rattachées aux trois anciennes mosquées de Tombouctou, Djinguereber (construite en 1327), Sankoré (construite peu de temps après) et Sidi Yahya (1440). Ensemble, elles composaient ce qu’on appelait l’Université de Tombouctou.
Numérisation à Djenné / Endangered archives blog
Une campagne de numérisation
La BL, grâce au programme des archives en péril, en partenariat avec le Hill Museum and Manuscript Library du Minnesota aux États-Unis, entreprend la numérisation des manuscrits, in situ, à Tombouctou, tandis que les travaux sont en cours à la bibliothèque de l'Imam Essayouti depuis octobre 2017 et commenceront à Al Wangara en ce mois d'avril 2018.
En 2009, le programme des archives en péril de la BL avait mené un projet pilote à Djenné. Près de 400 000 images ont été réalisées à partir des 8 500 manuscrits actuellement stockés à la Bibliothèque des manuscrits de ville.
De surcroît, la BL fournit un environnement physiquement sûr pour le stockage des documents à Djenné. Ces derniers avaient précédemment été conservés dans des situations très précaires, au sein de maisons familiales sensibles aux aléas du climat.
Sophie Sarin explique qu’encore aujourd’hui, la situation politique du Mali, instable, menace la sauvegarde physique de ces manuscrits. Malgré une trêve à Tombouctou, les extrémistes, postés dans le désert environnant, attaquent fréquemment la ville, sans tenir compte de la présence des forces de maintien de la paix des Nations Unies. De même, l’escalade de la crise sécuritaire au centre du Mali rend l’avenir de la Bibliothèque des manuscrits de Djenné incertain.