Une évidence : ce qui fait la beauté de ” Que sont-ils devenus ? “, c’est la diversité des domaines et secteurs d’intervention de nos héros. Ainsi, après le football, le basket-ball (dames et hommes), l’athlétisme, les médias et l’art, votre rubrique préférée plonge aujourd’hui dans les méandres du judo malien en s’intéressant particulièrement à un des précurseurs de cet art martial au Mali : Raymond Coulibaly. C’est le destin qui a fait croiser nos chemins. En effet, chaque semaine nous payons des fruits chez la vendeuse installée en face de la Direction nationale des Sports où Raymond est permanemment assis, juste à côté. C’est un de nos ainés qui nous l’a conseillé et a établi le contact. Et quand nous l’avons joint au téléphone, pour lui expliquer la rubrique ” Que sont -ils devenus ?”, il n’a posé aucun problème et a même facilité le reste du travail en mettant un accent particulier sur la ponctualité. Nous avons été agréablement surpris de savoir que Raymond est ce vieux que nous avons l’habitude de voir à côté de la vendeuse de fruits. Juste à la veille des fêtes de Pâques, il nous a reçus dans le vestibule qui donne accès à la cour du Département des Sports avant d’aller à l’église. Entretien !
Raymond Coulibaly : le pionnier du judo malien
Raymond Coulibaly aux jeux olympique de Séoul en 1988anci
Le sport est ingrat”, a-t-on coutume d’entendre. Cette réflexion est employée à chaque fois qu’un ancien sportif est en mauvaise posture et sans assistance de ceux-là qui le cajolaient quand il était encore au firmament de sa carrière. Pourtant, l’emblématique Karounga Keïta dit Kéké, ancien international, ancien entraîneur et ancien président du Djoliba AC, pense plutôt que ce sont les hommes qui sont ingrats et non le sport. Quoi qu’il en soit, chacun a sa façon de voir les choses. Dommage que des anciens sportifs sont morts dans des conditions misérables. D’autres tirent le diable par la queue pour avoir leur pitance. Il y en a qui sont tombés dans l’anonymat total. C’est le cas de notre héros du jour, Raymond Coulibaly, ancien judoka et ancien entraîneur de judo.
Sa vie, le judo
Avant d’engager la conversation, Raymond Coulibaly a fait une mise au point. Parce que, de la manière dont nous l’observions, il a compris que quelque chose taraude nos esprits : son physique, sa démarche nonchalante. Il nous précise qu’il faut éviter de comparer deux périodes diamétralement opposées : la jeunesse et la vieillesse. Sinon lui Raymond, confie-t-il, mesurait 1 mètre 80 pour 80 Kg. Mais aujourd’hui, il a 76 ans et la pratique du sport intense a bouffé ses muscles. Ce qui explique la dégradation de son physique. Sa vie se résume au judo.
Pour lui, les arts martiaux ne sont pas faits pour se battre dans les rues. Est-ce à dire qu’il ne s’est jamais battu en dehors du tatami? Le vieux répond par la négative, mais il soutient avoir livré bataille seulement deux fois dans sa vie. La première fois, c’était en Corée du Nord. En plein stage, il s’est trouvé dans l’obligation de corriger un jeune insolent qui l’a provoqué. En un tour de mains, il envoya l’impoli dans un sommeil de deux heures. D’après lui-même, ce jour-là, il a eu très peur, parce qu’il pensait que le type avait succombé sous l’effet de ses prises. Son deuxième combat date de 1990 dans un métro en France, quand deux jeunes blancs ont tenté de le malmener pour soustraire son portefeuille. Face à un tel mépris et à l’indifférence des autres passagers, il a sorti le grand jeu pour assommer l’un d’eux et l’autre s’est sauvé. Il faut remonter à l’avant-veille de l’indépendance du Mali en 1960, pour comprendre les motivations de son choix sur le judo, au détriment du football, du basketball, de l’athlétisme etc. Un moment où la salle de judo de René Canvel, sise au grand marché, était une zone d’attraction des enfants de Bamako. Paradoxalement, le dojo n’était animé que par les Blancs. Les Soudanais sont interdits de la salle. Cette ségrégation raciale n’a pas découragé le jeune Raymond. Si les bagarres des élèves au retour de l’école sont monnaie courante, Raymond avait d’autres raisons en se mesurant aux grands. Il mettait en application les prises du dojo René Canvel. Les différents exploits de la rue l’ont requinqué, même s’il doit toujours se contenter de contempler le dojo des blancs à distance.
Après l’indépendance, tout a changé, en ce sens que le dojo est ouvert à toutes les couches sociales. En 1962, Raymond Coulibaly s’inscrit chez René Canvel pour apprendre à temps réel le judo. Au même moment, il décroche son diplôme et le voilà enseignant à la Mission Catholique de Bamako. En un laps de temps, Raymond a cumulé les connaissances pour impressionner les encadreurs blancs. Après un an de pratique, il est ceinture marron. Il n’est resté dans ce dojo que pendant deux ans. L’Etat, à travers le Ministère de la Jeunesse et des Sports, fait un saut dans sa vie. A l’époque, Bamako n’était pas assez grand et les activités des uns et des autres étaient connues de tous : les autorités, l’environnement. Donc, le fait qu’il soit repéré par le Département des Sports n’était pas un événement.
Raymond explique comment il a saisi cette opportunité du Ministère en charge de la Jeunesse et des Sports : “Un soir, à la fin des séances d’entrainements, un monsieur respectable m’a pris en aparté pour m’informer de ma convocation au Ministère, tout travail cessant. J’ai attendu le lendemain matin pour m’y rendre. Les responsables du Ministère m’ont proposé une bourse d’études sur la Corée du Nord avec un engagement décennal. C’est-à-dire après notre retour, je ne devais pas quitter le giron de l’Etat avant dix ans. J’ai accepté cette proposition, parce que convaincu que mon amour pour la discipline pourra constituer un pont pour ma réussite. J’avais beaucoup d’atouts, il suffisait seulement d’une perfection à un autre niveau”.
Jusqu’au dernier souffle
Il retourne de la Corée avec une ceinture noire en judo, 2è Dan. Il est immédiatement nommé entraineur national de judo. En plus, il est mis à la disposition du ministère des Sports pour servir à la Direction nationale des Sports. C’est dans ce cadre qu’il forma d’autres dont certains porteront plus haut la discipline, en l’occurrence Habib Sissoko, actuel président du Comité national olympique et sportif du Mali (Cnosm). Autres stagiaires qu’il a formés : Moussa Diabaté, Abenène Dara, Mahamane Touré (ancien directeur général des douanes, ancien chef d’Etat-major des Armées), Mahamadou Maïga.
En ce temps-là, il avait deux casquettes : entraîneur et combattant. Fraichement venu de la Corée du Nord, Raymond participe du 18 au 25 juillet 1965, aux Jeux Africains de Brazzaville. Il occupe la quatrième place dans la catégorie de moins 80 kg. Après ce premier grand rendez-vous, il se perfectionne lors des différents tournois sous régionaux au Niger, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Maroc, en Tunisie, en Algérie entre 1965 et 1971, date à laquelle il participe au Championnat du monde de judo en Allemagne. Suivront en 1972 les Jeux Olympiques à Munich, ceux de Montréal en 1976. Mais la délégation africaine a boycotté cet événement pour des raisons politiques.
C’est à partir de 1980 qu’il se met entièrement dans sa peau d’entraineur lors des Jeux olympiques de Moscou. Huit ans après, il se retrouve à Séoul pour diriger l’équipe malienne, dans le cadre des Jeux olympiques de Séoul et quatre ans après, à Barcelone, pour les JO.
A la question de savoir pourquoi il a arrêté de combattre, Raymond Coulibaly évoque l’âge comme facteur déterminant de sa retraite. Pour lui, cela ne devait en aucune manière être un problème pour le judo ? Parce qu’il est convaincu que la génération d’Habib Sissoko pouvait valablement le remplacer.
Avec un tel parcours, Raymond n’a pas de la peine pour évoquer ses bons souvenirs. Pour ce passé glorieux, il retient ses invitations par le Japon en compagnie d’un Sud-Africain et d’un Egyptien, en 1996 d’où il revient avec la ceinture noire 3è Dan ; le Championnat du Monde France, en Août 2011, où il passe au 5è Dan et après avoir officié lors ce grand événement comme arbitre mondial ; sa décoration comme Chevalier de l’Ordre national sous le régime Alpha au mois de septembre 1999.
Qu’en est-il de ses mauvais souvenirs ? Raymond Coulibaly parle de sa défaite aux Jeux Africains de Brazza, suite à une erreur d’arbitrage. Après avoir terrassé le Congolais N’Gasaki Pascal, il tombe sur un Camerounais qui l’élimine par la faute de l’arbitre. Et au moment de chercher la médaille de bronze, il lui manquait ce moral nécessaire pour gagner.
A défaut de trouver des anecdotes en tant que combattant, Raymond revient sur deux faits qui ont l’allure d’anecdotes.
Premier fait : “Lors des Jeux olympiques de Barcelone en 1992, le combattant malien Kader Dabo n’avait pas de kimono pour combattre. J’ai été obligé de négocier celui d’un Ivoirien du nom de Pascal Ouattara, pour ensuite le floquer du drapeau malien. Mon combattant s’est brillamment qualifié. C’est en ce moment que les responsables du Comité olympique m’ont invité dans un magasin d’équipement pour le paiement d’un kimono, alors que nous étions déjà à quelques heures du deuxième combat. Et là, j’ai rejeté d’un revers de la main leur sollicitation, qui à mon avis, comportait deux aspects : le mépris avant les combats et l’intention de s’approprier la paternité de mon succès “.
Deuxième fait : “Cela s’est produit il y a de cela quelques années. J’ai refusé de dispenser les cours parce que les élèves n’avaient pas de kimonos. Ceux-ci ont marché sur le Ministère des Sports. Devant une telle attitude des enfants, le Ministre m’a fait chercher et je me suis expliqué sur mes motivations et la réaction des élèves. Il ne m’a fait aucune remontrance, parce qu’il a su que l’argent du matériel a été détourné. Le Ministre a quand même pris ses responsabilités et nous sommes rentrés dans nos droits”.
Comme évoqué plus haut, le judo fait partie de la vie de Raymond. Cela fait plus de dix ans qu’il a pris sa retraite au niveau de la Fonction publique. Mais malgré son âge, il continue de dispenser des cours de judo à l’Injs.
Selon lui, le judo a trois aspects : le judo en tant que Sport, le judo en tant qu’Education physique et le judo en tant que Moral.
Pourquoi ne pas se reposer à 76 ans ? Le vieux judoka est convaincu que la discipline lui a tout donné et il a fait le tour du monde grâce au judo. Donc, il le servira jusqu’à son dernier souffle.