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Lettre de Bamako au Président de la République française
Publié le mardi 10 avril 2018  |  Le challenger
Arrivée
© AFP par CHRISTOPHE PETIT TESSON
Arrivée du Président Français, Emmanuel Macron à Gao
Le Président de la République Française, Emmanuel Macron est arrivé à Gao le 19 Mai 2017 pour une visite à la force Barkhane.
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Le Premier ministre français a décidé de reporter son déplacement au Mali, initialement prévu les 7 et 8 avril. La lettre ouverte que je voulais adresser, depuis Bamako, à Emmanuel Macron à cette occasion n’en est pas moins toujours d’actualité.

Monsieur le Président de la République,

Nous nous sommes rencontrés à l’ambassade de France de Bamako le 2 juillet 2017. Mon établissement « Le Campement Kangaba » venait de subir une attaque terroriste tuant 6 personnes. Vous m’avez serré chaleureusement la main, d’une poigne franche et forte, fixé intensément du regard, puis d’une pression amicale sur le haut du bras, vous m’avez assuré de votre soutien et de votre compassion.

J’ai été impressionné par la détermination qui se lisait dans vos yeux.

Moi qui n’ai jamais été d’aucun bord politique, marcheur du type nez au vent, j’ai été réconforté par cette rencontre, survenue dans un des moments les plus difficiles de ma vie.

Vous avez ensuite prononcé un discours ambitieux devant la communauté française du Mali réunie pour l’occasion dans les jardins de la résidence de l’ambassadrice.

En résumé, vous alliez renforcer l’engagement de la France pour la pacification et le développement du Mali, augmenter les budgets habituellement alloués, et fait nouveau et important, changer de méthodes. Pour cela vous alliez créer une « Alliance pour le Sahel » chargée de coordonner toutes les initiatives européennes, impliquer tous les acteurs, y compris le secteur privé, et simplifier les circuits de financement pour qu’un plus grand nombre puisse y avoir accès.

J’ai écouté votre discours avec d’autant plus d’intérêt que Le Campement est une entreprise en parfaite adéquation avec votre vision du développement qui avait besoin d’une aide d’urgence pour survivre à l’attaque de nos ennemis communs.

Le Campement, à l’origine, est une aventure humaine, faite de rencontres, d’amitiés et d’amour. C’est ensuite une vision écologique du développement, adaptée au terrain, et durable. Nous ne sommes pas au Mali pour 3 ou 5 ans, mais depuis 25 ans. Et malgré le contexte difficile que vous avez mentionné (prises d’otages, pays classé en zone orange et rouge, putsch, guerre et terrorisme), Le Campement est une entreprise qui marche !

De 20 personnes au départ, nous sommes plus de 150 aujourd’hui. Cette croissance s’est réalisée sans subvention, simplement en réinvestissant, mois après mois, l’essentiel des bénéfices engendrés par nos activités hôtelières et artisanales. En parallèle, nous avons mené de multiples actions écologiques et sociales (voir ici notre appel à projets) : création d’un parc de 20 hectares dans Bamako, sensibilisation à l’environnement, formation professionnelle, design et artisanat d’art, culture….

Le Campement participe naturellement au développement de ce pays, bien que je préfère de loin le terme d’harmonisation du monde. Il contribue également à sa pacification en favorisant la rencontre et la compréhension mutuelle, car il est autant apprécié des maliens que des expatriés, tandis que le contexte sécuritaire tend à favoriser une dangereuse ségrégation.

Votre volonté d’impliquer les entrepreneurs privés au développement m’a incité à rechercher de l’aide auprès de l’ambassade de France et des différents organismes présents à Bamako. Il y avait des emplois et de beaux projets à sauver sans que cela ne nécessite beaucoup d’argent.

Mais les choses ne se sont pas passées comme prévues. Je ne sais pas si c’est vous qui marchez trop vite, monsieur le Président, mais je peux vous assurer que derrière, tout le monde ne suit pas.

Si j’ai été bien reçu et écouté par tous, je n’en ai pas moins été débouté de toutes mes requêtes : soit les budgets étaient votés depuis longtemps et ne pouvaient être affectés ailleurs, soit ce n’était tout simplement pas dans leurs attributions de me venir en aide.

Rien de personnel bien sûr, la plupart des petites entreprises privées sont dans ce cas alors qu’elles contribuent énormément à « l’effort de guerre ».

L’aide au développement est une affaire de spécialiste, dont, comme chacun sait, le bon sens ne saute pas toujours aux yeux.

Puis pour faire bonne mesure, les ambassades ont intimé aux expatriés de ne plus fréquenter le Campement. Les militaires (Minusma, Barkhane, EUTM, EUCAP) ont également reçu l’ordre de ne plus venir. Alors que c’est justement la présence de l’un des leurs, et son intervention héroïque, qui a permis de sauver de nombreuses vies. Je vous prie de m’excuser si je ne vois dans ces décisions, ni « alliance », ni méthode.

En conclusion, la France n’a, jusqu’à ce jour, soutenu d’aucune manière le Campement, ni même manifesté le moindre intérêt à ce qu’il reste ouvert. C’est absurde et triste, et cela va radicalement à l’encontre de votre message du 2 juillet 2017.

Mais venons-en au but de ce courrier : le 18 juin prochain nous organisons au Campement une cérémonie anniversaire en hommage aux victimes, à laquelle j’ai l’honneur de vous convier Monsieur le Président. Ce sera l’occasion de réitérer vos objectifs pour l’« Alliance pour le Sahel », et comme vous l’avez proposé à la fin de votre discours, de se regarder à nouveau droit dans les yeux.

Source : https://blogs.mediapart.fr
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