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Le modèle afghan menace le Mali
Publié le mardi 24 avril 2018  |  mondafrique.com
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L’attaque djihadiste du 14 avril contre une base onusienne de la Minusma, à Tombouctou, marque une escalade dans la guerre sahélienne. Un moment afghan? Une chronique de Michel Galy

Sur les faits, l’attaque est d’une forme et d’une ampleur inattendues, qui n’est pas sans rappeler d’autres théâtres de conflits, tels l’Afghanistan ou le Moyen Orient. L’objectif, selon les mots même du communiqué français est de « prendre le contrôle du camp », dans cette ville qui a été un des fiefs de la rébellion indépendantiste (MNLA) et djihadiste en 2012. Les dizaines d’assaillants n’ont pas hésité à revêtir des uniformes des soldats des Nations unies, et à maquiller des véhicules aux couleurs onusiennes et maliennes. La force Barkhane(qui a succédé à Serval depuis août 2014) a dû mobiliser l’aviation pour réduire l’attaque.

Un tournant dans le conflit

On peut ne pas apprécier la littérature sensationnaliste qui peint en noir la situation sahélienne , qui la rebaptise sous l’angle d’on ne sait quel « Malinistan », voire « Sahélistan ». Ces thèses sont souvent originaires des Services occidentaux, ou d’inspiration militariste, en d’autres termes une autre forme de l’ « agit prop », c’est à dire de la désinformation militaire.

Mais comment ne pas voir par ailleurs que cette attaque marque un tournant du conflit ? De reste, le sensationnaliste déjà cité concerne le long terme d’une « rébellion djihadiste aux portes de la France », qui fantasme volontiers les communautés immigrées (particulièrement malienne) comme une sorte de 5° colonne , est radicalement symétrique de la propagande optimiste des forces françaises.



On se souvient du vocabulaire bushien de Hollande parlant de « liquider « l’ennemi… La vision à la Huntington de la « guerre de civilisation » où l’on coupe les tètes en espérant en finir avec l’insurrection a fait long feu au Mali comme ailleurs. Florence Parly, ministregt des Armées et ènième porte parole des états majors, vient de reprendre cette ritournelle militaire en se félicitant d’avoir « éradiqué plus de 450 djihadistes au Sahel » !

Il n’en est évidement rien. Le conflit s’étend dans l’ intérieur malien, se diffuse dans le Sahel et au delà. Et l’attaque récente est la marque d’une nouvelle étape d’une guerre « qui pourrait durer 15 à 20 ans », selon l’état major de Barkhane – et traduit sans doute la présence ou l’influence de nouveaux instructeurs djihadistes.

Effectivement le reflux de Syrie et d’Irak a non seulement ramené sur le sol européen et français des combattants( voire des familles) déjà aguerris, mais surtout un glissement de ces nouveaux « guerriers nomades » s’est produit petit à petit du Proche Orient vers les terrains de conflits africains.
Après la « victoire à la Pyrrhus » de la force Serval, à partir de janvier 2013, la fin de l’emprise territoriale djihadiste, de ce « proto- Etat » de l’Azawad, est acté après de très durs combats , notamment dans le milieu difficile de l’ Adar des Ifoghas.

L’intervention française, pourquoi faire?

Mais la souplesse et la mouvance djihadiste n’a fait que s’accentuer, de sorte qu’on peut légitimement se poser la question de l’intérêt d’une intervention qui n’a fait que disperser les guerriers ennemis, voire d’augmenter le danger pour les États sahéliens, les communautés européennes expatriées, voire le territoire national français.

On peut en effet distinguer plusieurs phases de la mouvance et de la stratégie djihadiste. En 2012, la volonté de création d’un proto Etat touareg, puis djihadiste (pour autant qu’en ce qui concerne les acteurs, on puisse faire des distinctions bien nettes…), s’est exercée sur le même espace du septentrion malien , rebaptisé « Azawad ».

Après l’opération Serval de janvier 2013, la dissémination : grosso modo, un tiers des djihadistes non capturés ou tués ont établi de nouvelles katiba, réseaux ou bases, vers le Niger ou la Mauritanie, reflué vers les sanctuaires algériens ou libyens. Des alliances nouvelles ont été passées, notamment du coté de Boko Haram . Aux éclatements entre factions proches d’Al Qaida et d’autres affiliées à l’État islamique ont succédé des coalescences plus récentes(tel le Groupe de soutien à l’ islam et aux musulmans :GSIM, dirigé par Ilyad Ag ghaly)- bien qu’en fait la descente des divers mouvement vers Gao et Tombouctou qui a bousculé armée malienne et observateurs français en un laps de temps très court, fin 2012, avait déjà montré l’artificialité de telles distinctions.

La guerre au Mali n’est pas finie

Il faut parler désormais de guerre saharo sahélienne, en expansion, et en mouvement. Mouvance des lieux , en même temps que des mouvements et des formes : en l’absence de solution politique, les armées étrangères, notamment Barkhane et Minusma- en attendant les supplétifs du G5, semblent toujours avoir un temps de retard , ou être souvent pris en contre pied.
Que les forces françaises nomadisent aux frontières, et c est en plein Bamako et Ouagadougou que les djihadistes attaquent.

Que l’on proclame avoir supprimé tel chef de katiba, et c est une embuscade pour les venger. Plus grave, à cette dimension archaïque et limitée de vendetta, vient de succéder une guerre de position et de contre attaque djihadiste, qui ne sont pas sans rappeler d autres formes de guérilla- et le « moment afghan » pourrait présager un tournant vers une guerre de plus grande ampleur.

L’armée djihadiste a voulu prendre d’ assaut une base militaire. Certes en s’ attaquant à la Minusma, maillon faible du dispositif à dominante francaise, tout comme d’ailleurs est bien vulnérable l’armée malienne , encore très peu autonome.

Quelles nouvelles formes à venir de cet « état de guerre », permanent ? Rappelons la conquête diffuse et récente du centre Mali, où la rébellion à dominante peul s’ appuie sur le souvenir d’ anciennes formes politiques, comme l’Empire du Macina. Souvenons nous qu’ une partie des capitales sahéliennes se réclament d’ un wahhabisme rigoriste.

Que la mouvance djihadiste a bien une base sociale chez les déshérités urbains, tout comme dans de multiples villages, autour de Gao par exemple.

Sans le dire, les forces internationales ont un programme ciblé de liquidation physique des responsables djihadistes- au risque de véritable rétribution sur les ressortissants occidentaux.

La guérilla s ‘inspire t elle des thèses maoïstes d’encerclement de villes petit à petit paralysées par une conquête progressive des campagnes ? Toujours est il qu’à ce jeu de go de la guérilla et de la contre guérilla, il y a longtemps que les forces onusiennes, comme ailleurs, s’enferment dans leur bases- tout comme les citoyens expatriés, les militaires et humanitaires.

Significatives cartographies des « zones à risque », décrivant les pays sahéliens comme d’immenses zones rouges, où leurs déplacements sont interdits- ou comme dans les capitales, sérieusement limités et contrôlés : une vie d’entre soi, limitée à des « zones sûres ».

« Des sociétés guerrières »

L’État nation, au Mali comme ailleurs, est largement absent des communautés villageoises, bien au delà du manque criant des forces de sécurité dans les villages. L’emprise des appareil techniques d’ Etat , comme disait Althusser, est particulièrement faible au Sahel ; le pouvoir officiel se réduit à un « pays utile » centré sur la capitale et quelques places fortes urbaines.

Devant cette paralysie progressive,, initiative et l’innovation guerrière se trouve du coté djihadiste, de plus en plus déterritorialisé et audacieux. On ne se risquera pas à imaginer une prochaine cible, si ce n’est son caractère inédit. Lieux de concentration d ‘expatriés, embuscades guerrières, symboles de l’État… On est passé d’opérations ponctuelles à une coordination sahélienne- et de fait devant les nouvelles tactiques, comme celle de la tentative de conquérir un camp militaire, à des opérations coordonnées qui fait penser à celles d’une véritable armée.

Les contre attaques basées sur la technologie et l’appui aérien, la formation de milices, la surveillance généralisée confirment bien l’appréhension du politologue Bertrand Badie devant ce militarisme et interventionnisme croissant : le danger , en l’absence de solution politique, de« transformer la zone sahélienne en sociétés guerrières ».

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