Malgré le danger qui entoure leur monde, les mendiants passent la journée, souvent sous un soleil de plomb, à tendre la main aux passants. Si certains s’en sortent plus ou moins, la mendicité est devenue un piège pour d’autres
La mendicité est un phénomène de plus en plus répandu dans notre pays, notamment à Bamako. Pour s’en convaincre, il suffit de faire un tour dans les environs de la grande mosquée et des carrefours dotés de feux tricolores. On constatera de visu l’ampleur du fléau social que représentent les centaines de handicapés physiques et visuels et même de personnes valides tendant la sébile pour recevoir «la part de Dieu.» Un vrai casse-tête.
Les voyants ou les guides des aveugles jettent autour d’eux des regards vifs, à la recherche d’une main amie qui leur tendra quelque chose. Paradoxalement, la vie de «ces bouts de bois de Dieu» n’est pas de tout repos. Dans le monde des misérables qui quémandent pour manger et s’habiller, la vieille lépreuse Kadia et le vieux aveugle Bakary font souvent les mêmes rêves la nuit. «Plusieurs voitures luxueuses s’arrêtent à leur niveau. Les vitres teintées s’abaissent. Le don de Dieu sous forme d’une grosse enveloppe pleine de billets de banque tombe dans leurs mains jointes». Au lever du jour, ils se réveillent le sourire aux lèvres. Inch Allah, la journée sera bonne.
Le père mendiant Madou, les yeux fixes mais éteints, était assis au milieu des siens : sa femme, sa fille de cinq ans et son fils de trois ans.
Cette frange de la société vit un vrai calvaire au milieu du vrombissement de moteurs d’automobiles et des engins à deux roues. Les incessants va-et-vient de piétons ne semblent pas incommoder la cohorte de mendiants. Ces démunis conversent dans la gaieté à haute et intelligible voix. Des éclats de rire ou des cris stridents fusent des groupes de causerie. Bienvenue dans l’univers des mendiants.
En face de la grande mosquée de Bamako, des mendiants récitent en bambara les formules consacrées : «Aw ya di allah ma ! Aw ye ne son ! Silamaw djon bè akè allah ye». Traduction en français : «Aidez-moi !», «Donnez-moi quelque chose au nom du Tout puissant !». L’unijambiste Fanta Bagayogo déclame sa litanie assise sur un vieux sac. Elle écoute ma doléance et m’invite à prendre place à côté d’elle. Elle est vêtue d’une robe rose, avec un foulard noué sur la tête. La mendiante a accepté de parler de sa vie. «Nous sommes des créatures du Bon Dieu. On a besoin de nourriture, d’habillements, de soins médicaux, d’argent et de dortoir», s’exprime-t-elle avec une gestuelle qui accompagne les paroles. La malvoyante souffre de certaines pathologies.
Elle explique avec une pointe d’émotion s’attendre à perdre définitivement la vue. Sur l’escalier de la mosquée, Oumou Coulibaly murmure à voix basse : «donnez-moi à manger». Cette ressortissante de Fana vient épisodiquement officier dans le secteur. Mais le mois de carême reste sa période de prédilection. Assise sur un vieux carton usé, sous une canicule suffocante, elle exhibe deux grosses plaies au niveau du genou et de la cheville et s’apitoie sur son sort.
Sidiki Traoré, drapé dans un boubou blanc, une chevelure poivre et sel, le malvoyant tient sa canne. Il essaie de se frayer un passage mais cogne une moto garée au bord du goudron et se retourne cherchant son chemin à l’aide de son bâton. Il se plaint de la cherté de la vie. Son voisin d’à côté est aussi mendiant et handicapé. Malick Maïga souhaite sortir de l’impasse. Pour lui, la mendicité fait perdre la dignité humaine. « Je suis un soutien de famille et c’est aléatoire d’espérer sur quelque chose tous les jours », se lamente-t-il. Une autre mendiante du nom de Fatoumata Doumbia a les yeux collés ou presque. Elle estime que les gens ne connaissent plus la pitié, même au niveau de la mosquée.
Le visage marqué par des rides, les cils à moitié blancs, Assitan Diarra est une mendiante nouvellement installée dans les parages.
Son porte-monnaie (une petite tasse en plastique) est complètement vide. Mais elle espère simplement gagner le prix du transport. «On ne peut que se résigner. A chacun son destin», a-t-elle dit avec philosophie.
Mariam F. DIABATÉ