Après avoir lutté pour l’indépendance du Nord-Mali, le combattant touareg est devenu le terroriste islamiste le plus recherché du continent.
« Pourquoi est-il devenu islamiste ? C’est la question à 1 milliard de dollars ! » Allongé sur un long coussin touareg posé à même le sol, cet ancien combattant du Front de libération de l’Aïr et de l’Azawad (FLAA) s’étrangle de rire en se souvenant d’« Iyad », un amateur de Berketu, la vodka confectionnée en Libye et vendue sous le manteau dans des bidons de 5 litres. « C’était un type carré, un bon chef, toujours devant, pas très religieux », se souvient Aguibou – le surnom de combattant de notre interlocuteur qui a bien connu le leader du GSIM dans les années 1990. Il en est convaincu : le seul moteur d’Iyad Ag Ghaly, c’est l’Azawad. Les compromis avec Bamako, les alliances avec les islamistes ou les Peuls… tout cela répond à un calcul stratégique dont la finalité est l’autonomie du territoire de l’Azawad, au nord du Mali. Cette version romantique ne compte pas beaucoup d’adeptes parmi les responsables français qui, depuis cinq ans, traquent ce chef terroriste dont la tête est mise à prix.
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Aguibou pose sa cigarette. Exilé politique en France, il a participé à plusieurs rébellions contre l’Etat nigérien. Comme la majorité de ses « frères d’armes », il a combattu en Libye aux côtés d’« Iyad ». Dans les années 1980, Kadhafi finance de nombreux mouvements autonomistes : de l’Ira en Irlande au MPLA en Angola, en passant par les indépendantistes corses. Logiquement, il s’est pris d’affection pour la cause touareg. Ces derniers contestent le tracé des frontières issu de la décolonisation qui divise leur territoire en cinq (Mali, Niger, Libye, Algérie et Burkina Faso).
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Kadhafi les héberge, les finance et les instrumentalise. Les réseaux commencent à fleurir à Tripoli en 1983, nous dit Aguibou. Au sein de l’armée libyenne, une compagnie est alors dédiée à l’entraînement des rebelles. « J’avais la carte du Front de Libération Niger n° 1 », se souvient Aguibou. Ceux qui possèdent la carte « Niger 2 » sont Maliens. De crainte de fragiliser ses bonnes relations avec le Mali, Kadhafi préfère les enregistrer comme des Nigériens. C’est donc sous cette couverture qu’Iyad Ag Ghaly commence sa carrière. Envoyé aux quatre coins du pays, il gravit les échelons jusqu’au grade de général et forme les combattants qui transitent par les camps libyens, qu’ils soient indonésiens, philippins ou même libériens. « Un jour, à Tripoli, on jouait au billard, un type me fait signe de venir avec ses deux petits doigts d’un air méprisant, je lui ai donné un coup de poing et lui ai embarqué son écran de télévision, raconte Aguibou dans un éclat de rire. C’était Charles Taylor et je ne lui ai jamais rendu sa télé ! » A Sebha, dans le sud du pays, Ag Ghaly commande bientôt la compagnie Maghawir (« Les braves » en arabe). Ses hommes, des Touareg maliens, se font surnommer « les enfants de l’Azawad ».
Cinq ans après le déclenchement de l’opération Serval, Iyad Ag Ghaly continue de passer entre les mailles du filet
Quinquagénaire aux allures de notable bedonnant, Iyad Ag Ghaly semble avoir perdu l’énergie du fougueux chef de guerre. Mais il n’en est rien. Au lieu de livrer la bonne parole de Bamako, l’ancien chef du MPA encourage les troupes d’Ag Bahanga à prendre l’Azawad par les armes. Il reste avec eux et participe à la prise de l’aéroport de Tessalit et au massacre d’Aguelhok. La chute de Kadhafi en 2011 va abreuver son groupe en armes et en combattants et leur permettre d’arriver à leurs fins. La suite est connue. Avec l’aide de ses sponsors, Ag Ghaly fonde Ansar Dine, sous l’œil indulgent des services algériens qui voient en lui un pion utile pour cantonner les velléités indépendantistes touareg à l’intérieur des frontières maliennes. Quand l’armée française balaie l’occupation du Nord-Mali, les chefs des différents groupes se réfugient en Libye et au Soudan. Le leader d’Ansar Dine choisit le Sud algérien, où les populations, qu’elles soient touareg ou chamba – l’ethnie de Mokhtar Belmokhtar –, lui sont favorables, tout comme les forces de sécurité. Tout le monde sait où se trouve le nouvel ennemi n° 1 des Occidentaux, mais personne ne bouge. Peu à peu, la France étend sa présence militaire dans le Sahel et lance l’opération Barkhane en 2014. La traque d’Iyad Ag Ghaly rappelle celle, dix ans plus tôt, de Ben Laden pourchassé en Afghanistan et réfugié au Pakistan, sous les bons offices de l’ISI (les services secrets pakistanais).
Cinq ans après le déclenchement de l’opération Serval, Iyad Ag Ghaly continue de passer entre les mailles du filet. Pis, il a revu ses ambitions à la hausse et embrigadé les combattants peuls du Front de libération du Macina. « Cette terre est à vous, pourquoi avez-vous suivi les vaches ? » aurait-il dit à leur chef, le prédicateur Amadou Koufa.
Auditionné par l’Assemblée nationale, Jean-François Ferlet, le directeur du renseignement militaire français, déclarait, le 8 mars, que la situation sécuritaire au Sahel ne se dégrade pas. « Les djihadistes nous harcèlent, mais cela s’inscrit dans la continuité. Si l’on regarde le nombre d’attaques sur trois ans, mois par mois, quel qu’en soit le type, le bruit de fond est le même. Ce n’est pas une situation satisfaisante, et je ne conseillerais à personne d’aller faire du trekking à Tessalit, mais on ne peut pas parler de dégradation sécuritaire, objectivement. » Ce « bruit de fond » traduit la volonté d’Iyad Ag Ghaly et de ses alliés d’entretenir un sentiment d’insécurité et de démontrer que les forces occidentales ne sont pas capables d’assurer la sécurité, ni la prospérité dans une région où les Etats peinent à marquer leur présence sur l’ensemble de leur territoire.